Le CFA, une monnaie forte pour des économies faibles
Bruno Tinel est coauteur, avec Kako Nubukpo, Martial Ze Belinga et Demba Moussa Dembélé (dir.) de l’ouvrage collectif « Sortir l’Afrique de la servitude monétaire : à qui appartient le franc CFA ? », aux éditions La Dispute, paru en octobre 2016.
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Bruno Tinel
Bruno Tinel est économiste. Il est maître de conférences à l’Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne.
Publié le 26 octobre 2016 Lecture : 2 minutes.
Le taux de change fixe entre le franc CFA et l’euro est garanti par la France, il est actuellement de 1 euro pour 655,957 francs CFA. Le CFA n’est pas côté sur les marchés des changes. Il est convertible uniquement en euros et seules les autorités françaises sont habilitées échanger l’une de ces deux monnaies contre l’autre. Les traités stipulent que la France accepte d’échanger des euros contre des CFA, et réciproquement, avec ses correspondants tant que les réserves en devises des pays africains de la zone franc (PAZF) couvrent au moins 20 % des émissions monétaires en CFA.
Les réserves en devises proviennent pour l’essentiel des excédents commerciaux des PAZF en matières premières (cacao, pétrole, coton etc). La moitié de ces réserves est tenue d’être centralisée auprès du Trésor français sur des comptes d’opérations. Ainsi, les euros offerts contre CFA par les autorités françaises à leurs correspondants sont en fait gagés sur ces devises.
L’objectif externe d’un arrimage à l’euro ne permet pas de répondre correctement aux besoins monétaires liés au développement des PAZF. En effet, étant aussi bon que l’euro, le CFA est une monnaie forte pour des économies faibles. Il rend les importations des PAZF en biens manufacturés très peu chères, si bien qu’il n’est pas profitable de produire ces biens sur place. Une monnaie forte confère en outre un désavantage en matière de compétitivité prix à l’export, ce qui ne stimule pas non plus le développement de filières manufacturières exportatrices. C’est ainsi que les PAZF perpétuent leur spécialisation dans l’exportation de biens primaires et éprouvent les plus grandes difficultés à simplement assurer leur propre sécurité alimentaire.
Le risque d’une nouvelle dévaluation forcée
Quand bien même nous ferions abstraction de cette inadaptation du change, il faut constater que dans le cadre actuel les autorités monétaires des PAZF doivent nécessairement mener une politique de restriction du crédit, sinon l’abondance de liquidités dans une économie peu productive et peu diversifiée conduit à accroître les importations. Ceci vient éroder les réserves de changes, dans le contexte actuelle elles tendent à se réduire du fait du repli des prix des produits primaires sur les marchés mondiaux, et fait encourir le risque d’une dévaluation forcée, comme ce fut le cas en janvier 1994 suite à la baisse des réserves en dessous du seuil des 20 %. Pourtant, les économies des PAZF ont précisément besoin d’un crédit suffisamment abondant pour financer les biens d’investissements indispensables pour constituer les infrastructures et les bases industrielles à même de répondre à un développement endogène.
Le taux de change du CFA avec les autres monnaies devrait au contraire permettre d’amortir comme il se doit les différences de développement entre les PAZF et leurs partenaires du Nord. Une monnaie moins forte permettrait en outre de mener, sur le plan interne, une politique monétaire qui réponde avec plus de souplesse aux importants besoins de financement qu’imposent les nécessités du développement.
Pour aller plus loin : Sortir l’Afrique de la servitude monétaire. À qui profite le franc CFA ? Éditions La Dispute, octobre 2016, 248 p., 15 euros.
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