Theodor Michael Wonja : Moi, Allemand et Noir, rescapé des camps nazis
Né à Berlin en 1925 d’un père camerounais et d’une mère allemande, il a connu la persécution sous le régime nazi et dans l’Allemagne de l’après-guerre. À l’occasion de la sortie de son autobiographie traduite en français, Theodor Michael Wonja s’est confié jeudi à Jeune Afrique.
Affaibli par le poids des années, Theodor Michael Wonja s’appuie sur le bras droit du fils de son éditeur pour s’avancer à notre rencontre. À bientôt 92 ans, il est l’un des derniers rescapés noirs du nazisme. Son autobiographie traduite en français (Allemand et Noir en plus !, aux éd. Duboiris), best-seller en Allemagne avec 40 000 exemplaires, paraît le 29 octobre en France.
Une fois assis sur le canapé de la réception d’un hôtel du 18e arrondissement de Paris où il a donné rendez-vous à Jeune Afrique, jeudi 27 octobre, ce benjamin d’une fratrie de quatre enfants se livre et remémore son enfance mais surtout les discriminations et le racisme dont il a eu à faire face sous le régime nazi et dans l’Allemagne de l’après-guerre. Tiraillé entre ses origines africaines et ses « valeurs prussiennes », l’auteur revient également sur son attachement au continent et au Cameroun en particulier, pays d’origine de son père.
Jeune Afrique : Comment s’est passée la rencontre entre votre père camerounais et votre mère allemande ?
Theodor Michael Wonja : Mon grand-père faisait partie des autorités locales qui avaient accepté de conclure un traité colonial avec les Allemands. Mon père, lui, était de cette génération de jeunes qui voulaient quitter le Cameroun, alors colonie allemande, pour aller voir ailleurs. C’est ainsi qu’il a été envoyé en Allemagne vers la fin des années 1800 ou le début des années 1900. C’est à Berlin qu’il a rencontré ma mère et ils se sont mariés en 1915. Il y a cent ans ! Quatre enfants, deux garçons et deux filles, sont nées de cette union.
Nous avons été aussi des figurants dans des spectacles d’exhibition d’indigènes
Votre père vous parlait-il du Cameroun lorsque vous étiez petits ?
Il nous parlait beaucoup du Cameroun. Il est resté attaché à son pays d’origine. Mais il n’a pas pu y retourner parce qu’il est mort en 1934 alors qu’il était très jeune. Il n’avait que 55 ans. Ma mère nous a quittés quand je n’avais qu’une année.
À cette époque, il n’y avait pas de travail pour les gens « de couleur » [comme on disait à l’époque] en Allemagne. L’une des rares opportunités de trouver du boulot, c’était de jouer dans des films muets. C’est ce que mon père a fait et plus tard mes sœurs ; mon frère et moi avons également fait notre apparition au cinéma. Nous avons aussi été figurants dans des spectacles d’exhibition d’indigènes. Ce n’est que plus tard que je me suis rendu compte à quel point nous étions humiliés. Mon père lui a travaillé par ailleurs comme ouvrier durant la construction du métro de Berlin.
Quels souvenirs votre père avait-il gardé de la colonisation allemande au Cameroun ?
Il avait gardé une bonne impression de la présence des Allemands au Cameroun. C’est lorsqu’il est arrivé en Allemagne que les rapports avec les Allemands se sont compliqués. Il s’est senti étranger. Ce fut un énorme choc culturel pour lui.
Dès son arrivée, il a été victime de discriminations. Lorsque je suis né, après la première guerre mondiale, les actes discriminants envers les personnes « de couleur » s’étaient aggravés.
À l’époque, beaucoup considéraient déjà que les Noirs étaient là pour leur prendre leur travail
Comment l’avez-vous vécu ?
Les Allemands ont commencé à se demander si les Noirs avaient la capacité, comme eux, de lire ou d’écrire. Pouvaient-ils être réellement utiles à la société ? Était-ce possible qu’ils soient au même niveau qu’eux ? Des interrogations qui ont jeté les bases de la discrimination. À l’époque, beaucoup considéraient déjà que les Noirs étaient là pour leur prendre leur travail. Et nous sommes là à la fin de la première guerre mondiale !
Plus tard, vous vous êtes retrouvé interné dans un camp de travail tenu par les nazis…
Nous étions en 1943. J’ai reçu une convocation écrite m’ordonnant formellement, sans aucune formule de politesse, de me présenter à telle date, telle heure et tel endroit. Je n’avais qu’à obéir à cet ordre et me rendre dans ce camp de travail près de Berlin.
N’avez-vous pas tenté de vous échapper ?
Avec ce visage ? (rires).
Nous travaillions 12 heures par jour
Quelles étaient les conditions de vie dans ce camp de travail ?
C’est difficile à décrire. Elles étaient très difficiles. Nous étions logés dans les baraquements à l’intérieur desquels des lits étaient superposés. Derrière, il y avait une espèce de baignoire où nous devions nous laver avec de l’eau froide, bien entendu. Dans la même pièce, il y avait aussi deux toilettes.
Ils nous servaient le soir le petit-déjeuner pour le jour d’après. Celui-ci était souvent composé d’un peu de pain, de fromage ou de charcuterie. Nous travaillions 12 heures par jour, avec une courte pause à midi pour prendre une soupe. Et le soir nous recevions un autre morceau de pain et un bout de fromage.
Aujourd’hui père de quatre enfants, comment avez-vous pu échapper à la stérilisation forcée pratiquée par les autorités du Reich sur des enfants d’origine africaine ?
J’ai eu beaucoup de chance. L’administration m’avait sans doute oublié. D’autant que je m’appelle Theodor Michael. Il est difficile sans me voir de savoir si je suis noir ou blanc. Wonja qui est un titre honorifique à Bimbia, localité d’origine de mon père, ne figure pas sur mes papiers allemands. Je n’ai jamais reçu de convocation pour me rendre et subir cette stérilisation. Peut-être aussi grâce aux spectacles d’exhibition d’indigènes qui nous ont fait voyager dans plusieurs pays les autorités ont-elles perdu notre adresse…
Acteur, comédien, journaliste… Comment vous êtes-vous ensuite retrouvé dans les services allemands de renseignement ?
J’étais acteur mais pas comédien. Pour être comédien, il faut avoir fait des études et aussi savoir faire rire. Moi je ne me suis retrouvé dans le cinéma que par la force des choses. Pour survivre.
J’éprouvais un immense respect pour Léopold Sédar Senghor
À cause des origines de mon père, je me suis toujours intéressé à l’Afrique. Jeune, je me posais déjà plein de questions sur ce continent. Je suis allé me former en sciences économiques à Hambourg, puis je suis venu à Paris pendant une année dans une école des hautes études en sciences sociales. C’est dans la capitale française que j’ai fait connaissance d’ailleurs de la jeune élite africaine. Naturellement, je partageais les idées de liberté qu’elle proclamait. J’éprouvais même un immense respect pour Léopold Sédar Senghor. Je l’ai toujours admiré.
Et c’est grâce à ma connaissance du continent africain que j’ai été recruté dans les services de renseignement après avoir été journaliste.
Ne risquez-vous pas d’être perçu comme un descendant d’Africain qui a choisi de travailler pour une ex-puissance coloniale contre les intérêts du continent ?
Soyons clair à ce sujet : j’étais avant tout allemand. Mon grand-père et mon père qui ont vécu sous la colonisation allemande l’étaient aussi. L’Allemagne, c’était mon pays, ma maison.
Mais je n’ai jamais été contre l’Afrique. Déjà en tant que journaliste, je me suis rendu sur le continent et je rapportais les faits d’une Afrique positive. Lorsque je suis devenu fonctionnaire, j’ai à maintes reprises traité les questions africaines et aidé les autorités allemandes à bien les cerner.
Après avoir connu les discriminations sous le régime nazi, que vous inspire aujourd’hui la montée du racisme en Allemagne et dans plusieurs autres pays d’Europe ?
Je continue à lutter au quotidien contre cette montée du racisme. Tenez, à l’aéroport, lorsque je me présente à la police d’immigration pour le contrôle des passeports, je me fais systématiquement interrogé alors que tous les autres passagers blancs ne sont pas dérangés. Lorsque les agents exigent mon passeport avant de passer, je leur demande toujours de faire autant avec les autres passagers avant d’obtempérer. Ce sont des actes discriminants auxquels on se trouve aujourd’hui confronté partout en Europe.
Je porte en moi tout ce que le monde reproche aux Allemands et tous les préjugés et stéréotypes collés aux Noirs
Pensez-vous que les Allemands d’origine africaine sont suffisamment intégrés aujourd’hui en Allemagne, en tout cas plus qu’à votre époque ?
Aujourd’hui, il faut s’appuyer sur la Loi fondamentale allemande qui exclut toute discrimination. Il n’existe donc plus de différences. Les Noirs d’Allemagne doivent s’intégrer dans la société en s’appuyant sur la Constitution.
À bientôt 92 ans, que reste-t-il de camerounais ou d’africain en vous ?
Le flegme (rires) ! J’ai gardé ce calme de l’Africain, mais je suis prussien. Je trouve que c’est un bon mélange, cela me rappelle mes origines.
Je suis allé au Cameroun dans les années 1960 et me suis rendu compte que j’étais un étranger. Sur la terre de mon père, j’étais le fils perdu de l’empire allemand.
Est-ce à cause de cette double identité que vous avez nommé votre autobiographie Allemand et Noir en plus! ?
Je suis allemand de nationalité, de langue maternelle, de culture. Cet Allemand responsable aussi de la deuxième guerre mondiale, de l’extermination des Juifs. Et en plus, je suis Noir. Je porte en moi tout ce que le monde reproche aux Allemands et tous les préjugés et stéréotypes collés aux Noirs. Mais c’est surtout un témoignage de cette époque hitlérienne que j’ai voulu produire.
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