Côte d’Ivoire : Laurent Pokou, un diamant brut au pays du silence éternel

En 2007, un jeune policier interpelle un homme au volant de sa voiture. Contrôle de routine à Port-Bouët, dans le district d’Abidjan.

Laurent Pokou à Malabo, le 30 janvier 2012. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Laurent Pokou à Malabo, le 30 janvier 2012. © Rebecca Blackwell/AP/SIPA

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  • Fernand Dédeh

    Fernand Dédeh est journaliste sportif et blogueur, ancien directeur du département des sports de la Radio télévision ivoirienne (RTI).

Publié le 15 novembre 2016 Lecture : 4 minutes.

Le policier ne reconnaît pas l’homme au volant, il est trop jeune. Le conducteur ne comprend pas que quelqu’un à Abidjan se méprenne sur son identité. Les rapports deviennent orageux. Le policier décide d’emmener l’usager de la route au poste. C’est alors que le chef de service s’en rend compte : son jeune collègue venait ainsi de créer une affaire d’État. Il essaie de régler au mieux l’affaire, mais c’est déjà trop tard. Elle prend des proportions considérables, le pays entier est sous le choc. L’émotion est vive. Arrêter Laurent Pokou pour un contrôle de routine, oui. S’en prendre à lui, violemment, pour une raison ou une autre et le jeter en cellule, la Côte d’Ivoire ne l’accepte pas.

Le président de la République de l’époque, Laurent Gbagbo, présente personnellement les excuses de la nation à l’ancien international. Les responsables ivoiriens, les célébrités, les passionnés de sport et des admirateurs défilent pendant un trimestre au domicile abidjanais de celui que les Ivoiriens surnomment « l’empereur baoulé », les Africains, « l’homme d’Asmara » et les Bretons, « le Duc de Bretagne ». On ne touche pas impunément à une idole…

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Le génie du football ivoirien

Car Laurent Pokou exprimait à lui tout seul, le génie du football ivoirien. Il portait en lui, tout le respect dû à un empereur. Longtemps après la fin de sa carrière sportive, le natif de Tiassalé, à 100 Km au nord d’Abidjan, restait pour la Côte d’Ivoire un symbole de l’unité nationale. N’dri Laurent Pokou à l’état civil, est né le 10 octobre 1947 à Treichville. Il n’aura comme joueur que deux clubs en Côte d’Ivoire : l’USFRAN de Bouaké et l’Asec Mimosas, où il établira sa renommée.

Il détient à ce jour le record du plus grand nombre de buts marqués en une phase finale de CAN

L’Asec est son club de cœur. Il l’intègre en tant que junior, en 1957, y fait ses armes avant d’y exploser en 1966. Il est doué, racé. C’est dribbleur fou, un buteur. Laurent Pokou est à lui seul un spectacle. Il est le spectacle. En Côte d’Ivoire, il est vite baptisé « l’empereur baoulé ». Il ne laissait personne indifférent. Le couple présidentiel de l’époque, le couple Houphouët-Boigny, l’avait adopté. Plus généralement, la génération Laurent Pokou avait le football dans le sang, le sens de l’honneur dans la tête. Les joueurs de l’époque n’étaient pas des produits formatés dans des centres de formation. Ils avaient un rapport au ballon et au jeu inné. Laurent Pokou était de ces joueurs qui « parlaient au ballon, qui intimaient l’ordre au ballon » comme disait un autre orfèvre du football ivoirien, Ernest Bially Kallet.

L’homme d’Asmara

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1968. La Côte d’Ivoire termine la Coupe d’Afrique des nations en bronze, mais Laurent Pokou est sacré meilleur buteur avec six buts. L’Afrique découvre alors le talent qui illuminait le championnat ivoirien. « J’étais comme un chef d’État. À chacune de mes apparitions sur le terrain, le public scandait mon nom », racontait l’homme d’Asmara en 2014.

Deux ans plus tard, Laurent Pokou explose au Soudan. De nouveau, meilleur buteur avec cette fois huit réalisations. Il détient à ce jour le record du plus grand nombre de buts marqués en une phase finale de Coupe d’Afrique des nations.

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Le Duc de Bretagne

En 1973, Laurent Pokou a 27 ans. Il est au sommet de son art. En Côte d’Ivoire, il a tout gagné avec l’Asec Mimosas, l’idée d’embrasser une carrière internationale germe dans son esprit. La séparation avec le football national sera douloureuse, au propre comme au figuré. Les supporters de l’Asec Mimosas ne l’acceptent pas. Pas facile de laisser filer une légende. La veille du départ en Europe, Laurent Pokou joue son dernier match en Côte d’Ivoire, le classique Asec-Africa. Lors d’une action comme il en a le secret, un face à face avec le gardien de l’Africa Sport, Fanny Ibrahima, il se blesse. Un choc, un claquement des os, une fracture.

L’émotion est vive, mais retardera seulement son départ pour Rennes. Jean Yves-Augel, auteur du livre biographique, « Laurent Pokou, un destin de foot » était adolescent quand l’Ivoirien est arrivé dans le club breton. Il se souvient : « J’avais accompagné mon père au stade. J’ai été impressionné par les qualités de Laurent Pokou. J’ai décidé de consacrer mes études et ma vie à ce joueur. »

Il évolue trois ans à Rennes où il inscrira 46 buts. En 1978, l’As Nancy recrute celui que les supporters de Rennes se plaisent à appeler « Le Duc de Bretagne ». Laurent Pokou doit affronter la concurrence avec celui qui est considéré à l’époque comme le futur du football français, Michel Platini. Il retourne à Rennes une année plus tard mais le cœur n’y est plus. En 1980, il décide de retourner à l’Asec Mimosas.

À 34 ans, Laurent Pokou embrasse alors une carrière d’entraîneur – il a toujours le talent et l’envie mais les muscles ne tiennent plus. Il prend place sur le banc du RIO Sport d’Anyama, qu’il fait monter en 1ère division, puis de l’US Yamoussoukro en 1988. Il n’ira pas plus loin mais restera une voix écoutée dans le milieu du football. Un milieu qu’il n’abandonnera jamais. Enfin, jusqu’à ce que l’éclat du diamant qu’il était palisse ce dimanche 13 novembre 2016. Des suites d’une longue maladie.

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