Côte d’Ivoire : bienvenue dans le quartier « bébés-mamans » de la Maca
De très jeunes enfants vivent avec leur mère à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca), où certains sont nés. Ni prisonniers, ni libres, ils ne sont référencés sous aucun titre d’incarcération car ils n’ont évidemment commis aucun crime ni délit. Administrativement, ils n’ont aucun statut. Reportage.
Maëlis, 7 mois : née en détention. Samaké, 2 ans : entré en détention à l’âge de 6 mois. Marie-Yvonne, 1 an : née en détention… En épluchant les registres carcéraux, on trouve des prisonniers à la situation pour le moins déconcertante. De fait, en Côte d’Ivoire, seize enfants ne possédant aucun titre de détention vivent dans les trente-quatre prisons que compte le pays.
C’est un paradoxe du Code pénal ivoirien. L’article 48 stipule bien que « la femme enceinte condamnée à une peine privative de liberté ne doit subir sa peine que huit semaines au moins après son accouchement. » Mais au ministère de la Justice, on peine à justifier la présence de ces femmes et nouveau-nés en détention au sein de la prison. « Un article inconnu des magistrats », « une loi peu appliquée », « le juge a le dernier mot »… Officiellement inexistants, ces enfants sont ainsi les grands oubliés des budgets alloués à l’alimentation ou à la santé.
Maëlis, 7 mois, n’a jamais connu d’autre univers que la prison
À l’entrée de la cour de la Maca, une phrase à la peinture bleue effritée annonce l’entrée du bâtiment des femmes. Derrière, se trouve le quartier « bébés-mamans ». Une pièce de 18m2 où s’entassent quatre enfants de 6 mois à 2 ans et demi, accompagnés de leurs mères, ainsi que de trois femmes enceintes. « C’est une chambre prévue pour deux personnes mais on manque un peu de place », avance maladroitement la gardienne en entrant dans la cellule.
La prison, censée accueillir 1 500 personnes, héberge aujourd’hui 4 165 détenus. Au milieu de la cellule, en train de tirer frénétiquement sur une des moustiquaires, Maëlis, 7 mois, n’a jamais connu d’autre univers que la prison. Avec pour tout cadre de vie une cour, une cellule surpeuplée et, de temps à autre, l’infirmerie. Dès qu’elle tente de rejoindre une cellule voisine en rampant, sa mère la rattrape rapidement. « Je ne peux pas la laisser s’éloigner », justifie Juliana. « À l’extérieur ce serait différent. Ici, je n’ai pas confiance. Une des détenues est parfois violente. »
Enfants morts-nés
Pour l’accouchement, Juliana a pu sortir de prison. Sans menottes, mais sous la surveillance constante de deux gardiennes en treillis. Arrivée un mardi à 15h à l’hôpital de Yopougon, elle en est sorti moins de 24h plus tard, direction la Maca. « Parfois la femme enceinte voit les signes trop tard et accouche sur place, mais c’est rare », assure Bouaffou Kouamé, le médecin chef de la prison. Quelques cas d’enfants morts-nés sont évoqués. On n’en parlera pas plus : « c’est marginal », assure-t-il.
Depuis un an, le suivi médical des enfants se fait entièrement en interne. Le personnel de la prison achète les vaccins à l’extérieur et deux sages-femmes s’occupent de les administrer. « Comme ça les enfants n’ont plus à sortir », se félicite l’administration pénitentiaire.
Quand ils sortent, les enfants doivent se détacher de leur maman mais également de la prison
Sortir de la prison. Passé l’âge de deux ans, cette question devient une urgence pour ces « enfants-Maca. » Emmanuel a quitté la prison il y a un an, après plus de quatre années passées au sein du bâtiment des femmes. Au moment de sa sortie, le diagnostic du médecin chef est alarmant. « Comportement agressif, violent. Il renvoie aux autres l’environnement hostile qu’il perçoit et pense être sa norme. »
Pourtant, Emmanuel fait partie des rares enfants à avoir pu sortir pendant le temps de leur incarcération. En 2013, l’association Mireille Hanty a mis en place un projet de scolarisation des enfants en détention. Les débuts ne sont pas faciles. « C’est d’autant plus anxiogène pour ces enfants qu’ils doivent se détacher de leur maman mais également de la prison, le seul environnement qu’ils connaissent », explique Christelle Dezaké, en charge du programme auprès de l’association.
Détention illégale pour les enfants de plus de deux ans
Cris, pleurs… La première fois qu’il a croisé une poule sur le chemin de l’école, Emmanuel s’est enfui en courant. Qu’en est-il de sa scolarisation ? Chaque matin, un bénévole de l’association vient chercher un des enfant à la Maca pour le conduire jusqu’à l’école et le ramener le soir. Une logistique complexe puisque la prison ouvre à 10h quand l’école commence à 8h.
« Ce ne sont techniquement pas des prisonniers, mais ils restent soumis aux horaires carcéraux », se désole Christelle. Aujourd’hui, le programme est à l’arrêt par manque de financements. Interrogé sur la présence de ces enfants en prison, Amonku Monsan, le directeur de la Maca, assume une situation… illégale. « Dans la loi, les enfants de plus de deux ans ne peuvent pas rester en détention. Mais dans la pratique, beaucoup de femmes veulent rester avec leur enfant alors on les laisse. » Quid de l’article 48 qui interdit la présence des femmes enceintes ? Le discours est le même qu’au ministère.
« Un article inconnu des magistrats ». « Une loi peu appliquée ». « Le juge a le dernier mot ».
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