Égypte : que signifie l’allégeance du principal groupe terroriste du pays à l’État islamique ?
Le groupe terroriste le plus actif en Égypte, Ansar Bayt al-Maqdis, vient de prêter allégeance à l’État islamique (Daesh). Une alliance qui est tout sauf anecdotique. Décryptage avec Agnès Levallois, consultante spécialiste du Moyen-Orient, et Sophie Pommier, professeur à l’Institut d’études politique de Paris et spécialiste de l’Égypte.
Le groupe est devenu en quelques mois, le principal acteur des nombreux attentats qui visent les forces de sécurité en Égypte. Ansar Bayt al-Maqdis (ABM), les "partisans de Jérusalem" ont ce matin prêté allégeance aux combattants de l’État islamique. "Nous annonçons prêter allégeance au calife Ibrahim Ibn Awad… pour écouter et obéir", explique celui qui se présente comme "membre de la cellule d’information" de l’organisation. Dans un enregistrement de 9 minutes posté sur un site jihadiste et relayé sur Twitter, il explique se rallier à la cause de Daesh et appelle les islamistes modérés à "mourir avec honneur".
- Que représente l’allégeance d’Ansar Bayt al-Maqdis pour Daesh ?
Cette allégeance d’ABM représente le plus important ralliement depuis la proclamation du Califat de l’État islamique le 29 juin 2014. Bien que de plus en plus puissant, Daesh a conscience que ses moyens sont limités et doit former des coalitions pour continuer son expansion, mais "il y a une contradiction entre l’objectif de Daesh qui entend s’établir sur le territoire Syro-irakien et les groupes qui lui font allégeance", précise Agnès Levallois.
Jusqu’à présent, ABM se revendiquait plutôt de la mouvance Al Qaïda, organisation "hors sol avec des groupes franchisés, ce qui n’est pas le cas de Daesh. La question est donc est de savoir si c’est Daesh qui a souhaité ce ralliement ou le groupe qui souhaite bénéficier de "l’aura" dont bénéficie Daesh aujourd’hui et qui participe à sa communication", explique la spécialiste.
>> Lire aussi : État islamique : naissance d’un monstre de guerre (#1)
- Pourquoi maintenant ?
"Il y a eu désaccord dans les rangs de ABM sur cette option. Le mouvement se présente comme très ancré dans la réalité locale, composé de Bédouins. Là, il change de registre", souligne Sophie Pommier. Plus qu’un possible retour en Égypte de certains combattants en territoire égyptien, "c’est très probablement l’intensification de la campagne militaire et plus encore peut-être la création d’une zone tampon dans le Sinaï qui ont emporté le morceau". La question de la notoriété semble également essentielle. "ABM entend lancer des opérations et veut bénéficier de plus de ‘publicité’ grâce à son allégeance à Daesh", précise Agnès Levallois.
- Ansar Bayt al-Maqdis est-il un mouvement important ?
Considéré comme l’un des groupes les plus nuisibles en Égypte, ABM est un groupe "qui met à mal le discours des autorités égyptiennes selon lequel elles ont la situation en main", souligne Agnès Levallois. Il représente donc un défi colossal pour Al-Sissi qui a fondé toute sa popularité sur la stabilité et l’argument sécuritaire.
Prêter allégeance à Daesh, c’est aussi un moyen pour ABM de faire parler de lui, d’inquiéter.
Le groupe a revendiqué de nombreuses attaques contre les forces de sécurité égyptiennes en réponse à la répression dont les Frères musulmans font l’objet depuis la destitution de Mohamed Morsi par l’armée. Il est notamment soupçonné d’être l’auteur de l’attentat ayant couté la vie à 30 soldats égyptiens près de la frontière avec la bande de Gaza il y a 10 jours. Cet été, il avait également bombardé les sièges de la police au Caire et à Mansoura, et tenté d’assassiner le ministre de l’intérieur, le général Mohamed Ibrahim. "L’allégeance à Daesh est donc importante pour ABM car c’est aussi un moyen pour ce groupe de faire parler de lui, d’inquiéter et d’accroître sa capacité de nuisance au moins en termes de perception", précise la spécialiste.
- Comment l’État égyptien répond à la multiplication des attaques dans le Sinaï ?
Depuis plusieurs semaines, l’Égypte intensifie sa lutte contre le terrorisme et exhibe fièrement les arrestations et les exécutions de terroristes dans la presse. "Le combat contre le terrorisme sera long, douloureux et sanglant" a mis en garde le président Al-Sissi. Un combat qui s’illustre "par la seule répression", explique Sophie Pommier. "Pas de programme de développement à la clé, pas de solution inclusive pour les populations locales", alors qu’une zone tampon et un couvre-feu viennent d’être mis en place dans le nord-Sinaï.
Si cette allégeance peut rendre difficile le recrutement sectaire dont ABM a l’habitude, elle peut aussi encourager les sympathisants de Daesh en Égypte à intégrer de facto le groupe armé et devenir des combattants actifs. Dans son enregistrement, ABM a d’ailleurs demandé aux islamistes plus modérés, tels que les membres des Frères musulmans, "déçus par le processus démocratique" de rejoindre le mouvement. "Il vaut mieux mourir avec honneur que de vivre dans l’humiliation", explique l’enregistrement.
>> Lire aussi : deux policiers tués dans l’explosion d’une bombe dans un train
- Quels sont les alliés de l’Égypte face à la menace jihadiste dans le Sinaï ?
Si de nombreuses puissances occidentales, à l’image des États-Unis ou de la France ont apporté leur soutien à la lutte contre le terrorisme dans la péninsule, sur le terrain, la lutte anti-terroriste est une affaire nationale. Aucun accord de coalition n’est pour le moment envisagé dans cette région. Mais cette allégeance pourrait rebattre les cartes. "Alors que les autorités égyptiennes ont refusé de s’impliquer dans la coalition anti-Daesh, en dépit des appels pressants des Occidentaux., ce fait nouveau pourrait les faire changer d’avis. Le gain pour Daesh serait alors discutable", explique Sophie Pommier.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Politique
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?
- Législatives au Sénégal : Pastef donné vainqueur
- Au Bénin, arrestation de l’ancien directeur de la police
- L’Algérie doit-elle avoir peur de Marco Rubio, le nouveau secrétaire d’État améric...
- Mali : les soutiens de la junte ripostent après les propos incendiaires de Choguel...