Ce jour-là : le 5 mai 1947 à Moramanga, l’armée coloniale française tire sur un train transportant 166 prisonniers malgaches

Le 5 mai 1947 dans le district de Moramanga, à une centaine de kilomètres à l’est de Tananarive, l’armée coloniale française ouvre le feu sur trois wagons à l’arrêt. 166 Malgaches y sont retenus en otage. Cet épisode macabre marque le début d’une longue période de massacres au cours de laquelle des dizaines de milliers d’habitants de la Grande Île seront tués.

Chemin de fer à Moramanga, où le 5 mai 1947 l’armée coloniale française a ouvert le feu sur trois wagons alors que 166 prisonniers malgaches se trouvaient à l’intérieur. © CC Krishna Naudin

Chemin de fer à Moramanga, où le 5 mai 1947 l’armée coloniale française a ouvert le feu sur trois wagons alors que 166 prisonniers malgaches se trouvaient à l’intérieur. © CC Krishna Naudin

Publié le 5 mai 2017 Lecture : 5 minutes.

Il est trois heures du matin, le 5 mai 1947 dans le district d’Ambatondrazaka, quand les 166 militants indépendantistes retenus en otage par l’armée coloniale prennent sans le savoir leur dernier repas. Du manioc sec. Les tirailleurs sénégalais qui les escortent, envoyés en renfort par le gouvernement français pour mater l’insurrection, procèdent à l’appel, avant de les charger brutalement dans des camions.

Le jour se lève à peine quand le convoi prend la route de la gare d’Ambatondrazaka. Cela fait trois jours que les otages sont enfermés dans des petites cellules sombres. Trois jours que le gouvernement français  a institué l’état de siège et triplé les effectifs de l’armée sur l’île. Pas moins de 18 000 soldats, principalement des tirailleurs sénégalais, placés sous l’autorité du général Pellet, ont été envoyés pour réprimer la volonté du peuple, celle de vivre dignement.

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Du pain

Sous tutelle coloniale française depuis 1896, les Malgaches se sont vus octroyer le statut d’indigène. Juridiquement considérés comme inférieurs aux Européens, ils sont assujettis aux travaux forcés et subissent régulièrement les exactions du pouvoir colonial. La faim grouille partout sur l’île alors que les colons européens vivent dans l’opulence. Mais une nuit, pris d’une fièvre vengeresse, des Malgaches se lèvent pour réclamer du pain.

En effet, dans la nuit du 29 mars 1947, villageois, pécheurs et paysans pauvres, armés de coupe-coupes et de sagaies, attaquent le camp militaire de Moramanga. Une dizaine, puis des centaines de civils s’en prennent violemment aux colons européens, tuant 150 à 300 d’entre-deux. Postes de gendarmerie, bâtiments administratifs et plantations de colons sont visés. Un vent de colère et de liberté souffle sur l’Île rouge, de Moramanga à Manakara en passant par le Bas-Faranoy. Malgré les forces engagées et la violence de ces dernières, il faudra 15 ans aux autorités pour étouffer la révolte.

Le 2 mai 1947 la nouvelle de la rébellion tombe à Paris. Outré, le gouvernement accuse les leaders du Mouvement démocratique de la rénovation malgache (MDRM), premier parti indigène du pays (300 000 membres) d’être à l’origine de l’attaque. Bien que ces derniers démentent toute implication dans ces crimes qu’ils jugent « barbares », le parti est immédiatement dissous.

Le chef du district d’Ambatondrazaka, M. Le Chevanton, fait procéder à des arrestations massives : 166 militants du MDRM, hommes, femmes, intellectuels, médecins, instituteurs… sont arrêtés. Les colons européens exigent qu’ils soient immédiatement expulsés vers la prison de Moramanga, ville dans laquelle a débuté l’insurrection.

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Chargés dans un train transportant du bétail

Au petit matin, ce 5 mai 1947,  le convoi des 166 otages arrive à la gare d’Ambatondrazaka. Les prisonniers sont transférés dans trois wagons d’un train d’ordinaire affecté au bétail, à destination de Moramanga. En chemin, la locomotive s’arrête dans chaque gare pour s’approvisionner en eau et en bois.

En début d’après-midi, le train entre en gare de Moramanga. Des soldats placés sous l’autorité du commandant Joubert entourent la voie ferrée, située à proximité d’un camp militaire. À 22h, alors que le convoi est toujours à l’arrêt et que les otages sont maintenus dans les wagons, des bruits de pas aux alentours de la gare inquiètent les soldats. Une sirène retentit au loin. Au fil des heures, elle résonne de plus en plus fort. La tension monte chez les militaires.

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Une heure de massacre

À minuit, craignant que des autochtones ne tentent de libérer les otages, le général Pellet donne l’ordre à ses tirailleurs de tirer sur les 3 wagons, et avec eux les 166 prisonniers. Ils s’exécutent et ouvrent le feu pendant plus d’une heure, jusqu’à ce que les cris étouffés des victimes cessent.

Au lever du jour, les autorités coloniales se réunissent devant le train. « Ouvrez les portes, dépêchez-vous ! » lance M. Le Chevanton. Dans le premier wagon, un spectacle macabre : trois survivants s’agenouillent devant les militaires, les autres ont été abattus. Dans les deux autres wagons, 112 cadavres gisent dans une marre de sang. Sur les 166 prisonniers, 71 ont survécu à la fusillade. Ils sont conduits à la prison de Moramanga où quelques-uns mourront de faim et de mauvais traitements dans les trois jours suivants.

Le 8 mai, un convoi transportant des civils et militaires de haut rang arrive à Moramanga. Les autorités font sortir les otages ligotés deux par deux. Interrompant l’appel, l’un d’eux sort du rang et hurle : « Vive M. le président de la République française ! Vive M. Le Chevanton, chef du district ! Vive Madagascar ! » Chaque phrase est reprise à l’unisson par les autres prisonniers. Mais la soumission volontaire n’y fera rien.

Fosses communes

Violemment entassés dans des camions, ils arrivent au bout de quelques minutes dans une forêt avoisinante. Le convoi s’arrête devant des mottes de terre rouge fraîchement retournées. Les militaires les font sortir. Divisés en trois groupes de vingt, ils sont alignés devant des fosses de six mètres de long sur trois mètres de large. Les soldats s’agenouillent devant le premier groupe, chargent leur arme et tirent en plein cœur. Ils passent ensuite au deuxième groupe, puis au troisième. Un officier s’approche et porte le coup fatal à ceux qui semblent encore en vie. Les militaires renversent les corps restants avant de les recouvrir de chaux. Miraculeusement, l’un d’entre-eux, M. Rakotoniaima, passé pour mort, parviendra à s’échapper. C’est grâce à son témoignage qu’il a été possible de reconstituer les faits avec autant de précision.

Après 21 mois d’une véritable chasse à l’homme, les rebelles malgaches, affamés et affaiblis, finissent par sortir de la forêt pour « adresser leur soumission aux autorités françaises et implorer à genoux le pardon du représentant de la France. »

La France reconnaît la mort de 89 000 Malgaches

Loin d’être un crime isolé, ce massacre marque le début de quinze années de « pacification » menée par l’armée coloniale. Une « pacification » qui coûtera la vie à des centaines de milliers de civils. L’un des tirailleurs sénégalais, qui étaient surnommés « les dogues noirs de l’armée française », déclarera : « On abat sans sommation tous les paysans, hommes et femmes qu’on rencontre ». Si le bilan chiffré fait polémique (de 10 000 à 100 000), les autorités françaises reconnaissent officiellement 89 000 victimes malgaches.

Des villages entiers ont été rayés de la carte. Viols, humiliations, meurtres : certains auteurs parlent d’une « répétition » pour les méthodes de tortures qui seront utilisées plus tard en Algérie. Dans son journal intime, le président français Vincent Auriol, au pouvoir à l’époque, écrit : « Il y a eu des excès dans la répression. On a fusillé un peu à tort et à travers ».

La responsabilité de ces « excès » sera par la suite reconnue par Jacques Chirac en déplacement à Madagascar, en juillet 2005. Puis par François Hollande, en novembre 2016 à Tananarive. Pour autant, aux yeux du sociologue malgache Jean Claude Rabeherifara, dont l’oncle a été fusillé pendant la répression, la France n’a toujours pas reconnu ce crime car, s’interroge-t-il, « que vaut une reconnaissance sans excuse ni réparations » ?

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