Sécurité alimentaire, coopération Asie-Afrique… Ce qui s’est dit lors de la réunion annuelle de la BAD en Inde
Des chefs d’États, des délégations de ministres des Finances et des gouverneurs de banques centrales se sont réunis à Ahmedabad, en Inde, pour assister à la conférence annuelle de la BAD, qui se tient du 23 au 25 mai. Elle met l’accent sur l’agriculture et la coopération entre l’Afrique et l’Asie. Compte-rendu.
Les vents chauds et secs et l’absence d’alcool — interdit dans l’État du Gujarat — n’ont pas découragé les participants, réunis du 23 au 25 mai à Ahmedabad, à l’occasion de la conférence annuelle de la Banque africaine de développement (BAD).
Le premier ministre indien Narendra Modi a ouvert la conférence en insistant fortement sur les liens historiques, les similitudes et la solidarité entre l’Inde et le continent africain : « Comme le disait Mandela pendant la lutte contre l’apartheid, ‘l’Inde est venue à notre secours quand le reste du monde se taisait. Quand les portes des conseils internationaux étaient closes, l’Inde a ouvert la voie’ ».
Augmenter les capitaux de la BAD
Pour le président de la BAD, Akinwumi Adesina, cette réunion représente un immense défi. S’il veut réaliser son ambitieux programme, il doit augmenter les capitaux de la banque de développement. Une mission difficile dans le contexte économique actuel : la croissance du continent africain a chuté à 2,2% en 2016 mais elle devrait s’établir à 3,6% cette année.
Adesina pense pourtant avoir déjà montré de quoi il était capable, ayant déjà levé 10,5 milliards de dollars et décaissé 6,5 milliards de dollars en 2016, un record pour la banque. « Nous multiplions par quatre chaque dollars dépensé par la banque, grâce à l’effet de levier, à l’instar de notre prêt syndiqué avec neuf banque pour construire une centrale d’Eskom à 1 milliards de dollars en Afrique du Sud », a déclaré Adesina. Et d’ajouter : « le temps de l’Afrique est arrivé, nous ne pouvons pas ralentir, nous devons accélérer le rythme ».
Le savoir-faire indien
Il a été rejoint sur scène par les présidents du Sénégal et du Bénin, Macky Sall et Patrice Talon, ainsi que par le vice-président ivoirien Daniel Kablan Duncan, le ministre indien des Finances Arun Jaitley et le ministre en chef de l’État du Gujurat Vijay Rupani. Le milliardaire Bill Gates a, lui, envoyé un message vidéo.
Le président indien Modi leur a volé la vedette, en déclarant que l’Inde ne pourrait jamais rivaliser avec les coureurs africains de longues distances, mais que son pays se tiendrait toujours aux côtés du continent dans son grand marathon vers le développement.
Car, concernant le développement, l’Inde dispose d’un certain savoir-faire. Du développement des systèmes informatiques modernes à la gestion des infrastructures ferroviaires, le passé récent de l’Inde est le présent d’Afrique : « D’ici 2018, tous les villages de l’Inde auront accès à l’électricité » a promis Modi, qui fut durant 15 ans le ministre en chef du Gujarat, l’État natal de Gandhi.
Échanges dominés par les matières premières
Les échanges commerciaux entre l’Inde et l’Afrique ont atteint 57 milliards de dollars en 2016. « Nous prévoyons qu’ils atteindront 100 milliards de dollars en 2018 », a déclaré Adesina. Néanmoins, ces échanges concernent surtout les matières premières. De fait, les grandes entreprises pétrolières et minières indiennes, comme Coal India et la compagnie nationale Oil and Natural Gas Company (ONGC), dominent ces relations commerciales.
La BAD se donne toutes les peines pour sortir les pays africains de leur dépendance aux matières premières et les pousser vers la transformation. Nulle part le potentiel de coopération n’est plus frappant que dans l’agriculture, le thème de cette rencontre. “On ne peut pas parler d’émergence si on ne peut pas nourrir sa population”, a déclaré le président Macky Sall, en faisant référence à la révolution verte menée en Inde.
Le président de la BAD Adesina, qui a démarré sa carrière en Inde, chez Rockefeller, est convaincu que le continent peut faire mieux qu’assurer sa sécurité alimentaire. »Personne ne boit de l’huile, personne ne fume du gaz. Mais tout le monde mange de la nourriture », a-t-il déclaré, ajoutant que “quand l’homme noir le plus riche du monde, Aliko Dangote, investit un milliard de dollars dans le riz au Nigeria, on voit toute de suite l’opportunité”.
Le rôle des entreprises indiennes
Les entreprises indiennes estiment avoir un rôle à jouer sur ce point, et tentent d’avancer leurs pions. « Nous avons les mêmes standards de qualité que les entreprises européennes, mais avec des prix qui n’atteignent que 65% des leurs », a déclaré Rajesh Subramaniam, le directeur exécutif de Indian Dairy Machinery Company (IDMC), groupe agroalimentaire indien, qui estime que les similitudes climatiques concernant l’agriculture rendent les entreprises indiennes particulièrement adaptées au continent. « En Inde comme en Afrique, il faut refroidir le lait de vache juste après la traite. »
Cette rencontre de la BAD s’inscrit dans une série de conférences africaines tournées vers l’Asie, à l’instar du sommet chinois pour la Nouvelle route de la soie, le 14 mai dernier, ou de la 6ème conférence nippo-africaine Ticad, qui s’est tenue à Nairobi en août 2016.
La concurrence chinoise
S. Kuppuswamy, le directeur Afrique de l’une des plus grosses entreprises indiennes de construction, the Shapoorji Pallonji Group (SPG), a admis que la concurrence était rude, en particulier avec les groupes chinois soutenus par Pékin « qui a inondé le marché avec ses financements ». SPG construit actuellement une voie ferrée au Ghana, entre le port de Tema et Akosombo.
Kuppuswamy reste confiant dans la capacité de l’Inde a garder des avantages comparatifs pour rester concurrentielle, et souligne de nouvelles voies de coopérations avec le Japon, alliant des produits japonais de haute technologie à l’ingénierie indienne, pour investir en Afrique. « C’est le célèbre gagnant-gagnant ».
Pour Adesina, le plus tôt sera le mieux. Le président de la BAD a d’ailleurs émaillé son discours d’une citation de John Lennon : « le futur a commencé hier, et nous sommes déjà en retard ».
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