Mali – Yero Ould Daha : « Le Mujao nous protégeait du MNLA »
Yero Ould Daha, ancien cadre du Mujao à Gao, a rejoint le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA), groupe armé opposé au MNLA qui participe aux négociations d’Alger en vue d’un accord de paix. Arrêté par les forces françaises, transféré à Bamako, il a finalement été relâché. Interview.
Jeune Afrique : quelles ont été les conditions de votre arrestation par la force Barkhane ?
Yero Ould Daha : C’était le jour de la fête de l’Aid el-Fitr. J’ai quitté la base militaire de Tarkint, où je dirige 200 hommes, pour Gao. À cinq heures du matin, plusieurs véhicules ont encerclé ma maison. Pendant quatre jours, les Français m’ont interrogé nuit et jour. Ils croyaient que j’étais responsable de l’attentat du 14 juillet, de l’enlèvement du personnel du CICR… Un soir, le colonel est venu : "Demain on t’amène à Bamako, dans deux jours tu seras relâché, et alors tu travailleras avec nous." On m’a relâché. La loi m’a sauvé.
Vous avez été un membre actif du Mujao. Pour quelles raisons avez-vous rejoint le mouvement ?
À l’époque, soit on s’appuyait sur l’armée, mais elle avait fui, soit on entrait dans le MNLA, soit on était avec les jihadistes. Leur chef, Ahmed Tilemsi, a été blessé. On l’a amené chez moi pour le soigner et le cacher. Après ça, ils m’ont recruté. Puis, le MNLA [Mouvement national de libération de l’Azawad, NDLR] a créé son espèce de gouvernement de l’Azawad. Nous les Arabes, on est pour le Mali alors on s’est battus contre le MNLA. Le Mujao nous protégeait des exactions de ce groupe. C’est deux ou trois mois plus tard que le mouvement a parlé de charia. Là, il n’y avait plus de MNLA, plus de Mali. Est-ce qu’on avait un autre choix ? À 80%, le Mujao est constitué de trafiquants, de commerçants, de gens qui cherchent de l’argent. On est des broussards !
Quels ont été vos rapports avec les chefs du Mujao, à l’époque ?
Ahmed Tilemsi, il nous faisait peur. On le connaît depuis la guerre contre les kounta (ethnie arabe), avant 2 000 : il avait volé nos armes pour les donner à Belmokhtar. Il est réapparu avec lui, en 2012. C’est un vrai terroriste. Belmokhar, lui, voulait toujours arranger les populations de Gao. C’est un homme très simple, très accessible, il dormait à même le sol, nous demandait de fermer les yeux sur certaines erreurs des habitants. Quant à Oumar Ould Amaha, il était à moitié fou, tous les jours il changeait de groupe ! Il disait qu’il voulait attaquer les États-Unis, mais il n’osait même pas se battre contre le MNLA.
Après votre fuite en Algérie, juste avant l’intervention Serval, vos deux maisons ont été détruites par les habitants, qui vous ont désigné comme membre actif du Mujao. Comment vous positionnez-vous par rapport à eux aujourd’hui ?
Les Maliens me considèrent comme leur frère. Le MAA a toujours été pour le Mali. Ma maison a été pillée, c’est vrai. Tout le monde fait des erreurs. Moi aussi. Maintenant j’ai rejoint le MAA, depuis quatre mois. Je ne suis pas un terroriste. Tous ceux qui étaient avec Iyad Ag Ghali sont aujourd’hui au HCUA [Haut conseil pour l’unité de l’Azawad, NDLR] et au MNLA. Ils n’ont pas de problème. Pourquoi la France est-elle contre nous, pourquoi aide-t-elle le MNLA ? On se demande si les Français ne donnent pas nos positions au MNLA. On a signé un accord de cessez-le-feu avec le MNLA, mais ils continuent d’attaquer nos bases.
Comment expliquez-vous les divergences actuelles, au sein du MAA ?
Une partie du MAA a rejoint le MNLA. Les conflits étaient déjà présents du temps du Mujao. C’est pour des histoires de drogue, de valeurs, de politique. Ceux qui sont passés avec le MNLA étaient dans le groupe "Salah ad-Din", lié au général Ould Maidou, au narcotrafiquant Awainat, et à Sultan Ould Badi. C’est lui qui avait l’otage Gilberto Rodrigues Léal, il avait fait transiter par Gao. Moi, j’étais avec la brigade "Oussama Ben Laden", d’Ahmed Tilemsi. Je travaillais avec des narcotrafiquants rivaux, avant l’arrivée même du Mujao.
Quelle est maintenant votre position par rapport aux forces internationales présentes dans le nord ?
La Minusma travaille beaucoup avec nous. Les Hollandais [dont les forces spéciales sont présentes dans la zone, NDLR] viennent souvent à notre base, on travaille ensemble. Seuls les Français semblent nous considérer comme des ennemis. Ils m’ont pris quatre fois. Mais je leur montre mon ordre de mission, et ils me laissent circuler. Tout le monde est armé. Les militaires ferment les yeux.
Si vous n’obtenez pas satisfaction lors des négociations, un alignement de certains combattants du MAA à la cause jihadiste vous paraît-il possible ?
Nous sommes un groupe armé. Belmokhtar est un terroriste. Il est contre nous. Peut-être que trois ou quatre éléments pourraient être tentés de le rejoindre, par frustration, mais je ne crois pas. Nous sommes pour le Mali. Nous ne nous battrons pas contre la France. La France est notre dernière chance.
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Propos recueillis par Dotothée Thiénot, à Bamako
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