Aqmi : rançons au Sahel, le terreau du terrorisme ?
Les conditions de libération des otages français constituent un casse-tête sahélien. La France se serait bien passée d’une récente enquête du « New York Times ». L’article accuse tout simplement Paris de payer les terroristes.
Faute avouée est à moitié pardonnée. Mais rançon avouée est plus que le début de la moitié d’un problème. Pas besoin d’un doctorat en psychologie terroriste pour concevoir que les pactoles versés aux preneurs d’otages sont un appel au kidnapping. L’enlèvement apparaît instantanément comme un "business" bien juteux, suffisant pour financer une partie des activités spirituellement plus en phase avec le jihad. Il ne reste alors aux États victimes que deux options. Primo, refuser officiellement le principe d’un quelconque paiement et se tenir à cet engagement. Secundo, refuser officiellement le principe d’un quelconque paiement et… chut !
Mais voilà, d’impudents journalistes de conférence de presse obligent les responsables à passer du mensonge par omission au mensonge "en parole". Et leurs collègues investigateurs, frustrés par ce secret de polichinelle, finissent par trahir la pieuse omerta. Surtout quand les hommes d’État sur la sellette viennent d’un continent et les hommes de plume d’un autre. Après plusieurs prises d’otages en Afrique, la presse américaine vient ainsi de dénoncer certains pays européens qui céderaient au chantage.
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C’est une récente enquête du très sérieux New York Times qui met Paris mal à l’aise. La publication contredit les déclarations françaises qui martèlent inlassablement qu’aucune rançon ne fut, n’est et ne sera versée en échange de libération d’otages. Selon le quotidien américain, ce sont près de 58 millions de dollars qui auraient été versés, par la France, à Al-Qaïda ou des groupes affiliés, entre 2008 et 2014. Pour les seuls cas de Thierry Dol, Daniel Larribe, Pierre Legrand et Marc Féret, le New York Times avance la somme de 40 millions de dollars. C’est trois ans plus tôt que les quatre Français avaient été enlevés au Niger, dans ce même Niger où furent kidnappés, en 2011, Antoine de Léocour et Vincent Delory, deux Français décédés moins d’une journée après leur rapt. Le respect de la politique de non-paiement de rançons avait inspiré une infructueuse tentative d’interception des ravisseurs…
Impliquée dans la crise malienne, la France serait-elle à la fois la première victime d’Al-Qaïda au Maghreb islamique et sa "vache à lait", l’un entraînant l’autre, si l’on met le doigt dans l’engrenage du chantage ? C’est l’Allemagne qui aurait commis le "péché originel" en cédant, en 2006, au GSPC, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat. Au cours de la période évoquée pour les versements français – de 2008 à 2014 –, la Suisse aurait versé 12,4 millions de dollars, l’Espagne 5,9 millions et l’Autriche 3,2 millions de dollars. Dans cette "pluie" européenne de 125 millions de dollars, la France serait bien le pays le plus "généreux".
Le refus de payer pour la libération d’Edwin Dyer aurait contribué à faire chuter le "cours" des otages anglophones sur le marché des enlèvements.
C’est donc entre Européens et Anglo-saxons que se situerait cette ligne de fracture de principe. Dans l’enquête publiée par le quotidien new-yorkais, s’expriment des réprobations américaines et britanniques en direction du vieux continent. Sur un ton autoritaire, une ancienne ambassadrice américaine au Mali exhorte même les Européens à "s’expliquer". Non seulement les rançons assureraient la pérennité des démarches terroristes qui les réclament, mais leur paiement serait contre-productif, du point de vue de la sécurité globale des citoyens occidentaux. Ainsi, en 2009, le refus de payer pour la libération du touriste anglais Edwin Dyer, s’il avait conduit à son égorgement par les sbires d’Abou Zeid, aurait contribué à faire chuter le "cours" des otages anglophones moins prisés, depuis, sur le marché des enlèvements.
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Que répond le Quai d’Orsay ? Il dément tout versement. La dénégation pourrait être un vrai-faux mensonge, de multiples procédures comptables pouvant légalement affecter un versement à un intermédiaire méritant un mécénat humanitaire ou à un partenaire justifiant une subvention. De toute façon, même par acquis de conscience, interroger la France est dérisoire, le principe étant moins de ne pas payer que de pas ébruiter le paiement.
Qui est donc le plus naïf de ce jeu de dupe ? Les tentatives de rouler les opinions dans la farine prêteraient à sourire, si l’issue du bras de fer n’était pas souvent tragique. Le New York Times dévoile qu’en 2011, toujours dans le Sahel, un ravisseur de l’Italienne Maria Sandra Mariani la libéra en lui demandant expressément : "Quand tu rentreras, je veux que tu dises aux gens que ton gouvernement a payé".
Vaut-il mieux une minute de silence pour un otage "sacrifié" ou des années de silence sur les conditions d’une libération ?
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Damien Glez
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