« L’Africain » de Michel Leeb : « Pas une once de racisme », vraiment ?
À l’heure de fêter ses 40 ans de carrière, l’humoriste français Michel Leeb ressuscite son personnage mythique, « l’Africain », sans éprouver le moindre état d’âme à propos des clichés raciaux qu’il véhicule…
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Mehdi Ba
Journaliste, correspondant à Dakar, il couvre l’actualité sénégalaise et ouest-africaine, et plus ponctuellement le Rwanda et le Burundi.
Publié le 9 novembre 2017 Lecture : 4 minutes.
Sa carrière a atteint son apogée en des temps où le morphisme n’avait pas encore dicté sa loi aux blockbusters cinématographiques. Sans quoi les producteurs se seraient certainement disputé sa collaboration, les uns en vue de l’intégrer au casting de La Planète des Singes, les autres en espérant le voir camper le roi Louie dans le nouveau Livre de la jungle.
Le comédien français Michel Leeb mime en effet les singes comme personne : leur gestuelle, leurs mimiques, leurs cris… À ceci près que dans ses sketches, depuis quatre décennies, ce ne sont pas les singes qu’il évoque en grimaçant, mais bien les « Africains ». Ou plutôt « l’Africain », au singulier, comme on désignerait le dauphin, la sauterelle, ou toute autre espèce animale.
Comique d’un autre temps
Michel Leeb est un comique venu d’un autre temps, mais qui a su rester en phase avec l’époque. La preuve : après une tournée à travers l’Hexagone, il conclura en fanfare la célébration de ses 40 ans de carrière, du 14 décembre 2017 au 7 janvier 2018, au Casino de Paris.
Le 4 novembre, il alléchait les téléspectateurs de « Salut les terriens », sur la chaîne C8, où l’avait convié Thierry Ardisson, révélant que le personnage qui l’a rendu célèbre au début des années 1980 serait à nouveau de la partie en 2017.
« Actuellement je fais ce qu’on appelle « l’Africain ». Ça veut dire que je raconte l’histoire du jazz [il emprunte subitement un accent « Y a bon Banania », roulant les « r » à l’excès] en parrrtant de l’Afrrrique, vrrraiment, avec un personnage qui parrrle de cette manièrre-là, parce que l’Afrrrique, c’est ce langage-là. »
Michel Leeb semble n’avoir rien appris. Et la société du spectacle, pas d’avantage
À ses côtés, Marina Carrère d’Encausse, médecin, animatrice sur France 5 et invitée de l’émission, se gondole, tout comme Thierry Ardisson. Ce dernier n’aura même pas le temps de lui poser la question traditionnelle que chacun de ses confrères se sent obligé de lancer à Michel Leeb lorsqu’il le reçoit : son « Africain » ne véhiculerait-il pas, par hasard, quelques clichés lourdement racistes ?
« Il n’y a évidemment pas une seconde l’once d’un millième de racisme ! », clame spontanément l’intéressé, la main sur le cœur.
Deux ans plus tôt, une journaliste du Figaro TV s’était montrée plus incisive que Thierry Ardisson, demandant à Michel Leeb s’il ressusciterait, lors de son futur anniversaire, des sketches comme « L’Africain », malgré les polémiques.
« J’expliquerai pourquoi je le faisais et pourquoi aujourd’hui on ne peut plus le faire, et que c’est dommage », rétorquait l’intéressé. Et la journaliste d’insister : ce fameux sketch a-t-il « entaché [sa] carrière » ? Michel Leeb semble ne pas comprendre la question.
Du racisme dans ses sketches ? Quelle drôle d’idée ! « Les polémiques qui ont pu avoir lieu sont venues d’une certaine forme de critique intellectuelle, mais le public ne m’en a jamais [tenu] rigueur, jamais ! […] Aujourd’hui les choses ont changé, le politiquement correct est partout, donc c’est très dommage qu’on ne puisse plus être libre de faire des sketches comme on en avait envie, de prendre des accents… chinois, africain, arabe… »
« L’Africain » et « le Bridé »
Manifestement, l’esprit de Molière, Voltaire ou Desproges aurait trépassé en même temps que l’animateur Guy Lux, qui, lui, déployait le tapis rouge à « l’Africain » comme à son alter ego asiatique : « le Bridé ».
Et l’humoriste de conclure: « Vous savez, les gens qui vous taxent de racisme ont eux-mêmes un vrai problème à régler. Moi, je n’en ai aucun, [que ce soit] avec les Noirs, avec les Africains, avec les Jaunes… »
En quarante ans, Michel Leeb semble n’avoir rien appris. Et la société du spectacle, pas d’avantage, à l’instar d’un Thierry Ardisson ou d’une Marina Carrère d’Encausse, qui continuent de pouffer complaisamment en l’écoutant, comme Michel Drucker en 1983.
L’INA et Internet ayant gardé en mémoire « L’Africain » initial, attardons-nous quelques instants sur les stéréotypes qu’il véhicule. Le plus visible (et audible), c’est bien ce cordon ombilical jamais coupé, selon le comédien, entre le noir et le singe – postulat qui irrigue son sketch de bout en bout. Tout aussi remarquable est l’assimilation de « l’Africain » au cannibalisme. « L’autre jour dans l’avion, j’avais une petite faim : alors j’ai demandé la liste des passagers ! » (rires)
Sa vision de l’Afrique ferait presque passer Tintin au Congo pour un ouvrage de Frantz Fanon
Un mafé de clichés lourd à digérer
Au vu d’un tel Everest humoristique, on ne s’attardera pas sur les plates caricatures lexicales qui parsèment cette œuvre d’anthologie « Oui, oui ! Aaah mais oui ! Prrrésentement ! Attends ! Attends ! Oui Bwana ! » D’autant que pour ajouter un peu de piment à ce mafé de clichés déjà lourd à digérer, Michel Leeb nous gratifie de cette saillie mémorable sur la physionomie « africaine », réduite à un appendice nasal hypertrophié : « Ce ne sont pas mes lunettes : ce sont mes narines ! » (rires)
Pour compléter le tableau, « l’Africain » est forcément simplet, pour ne pas dire demeuré : Honoré se rend ainsi chez son médecin avec un tonneau, car, dit-il, « il m’a dit de revenir dans six mois avec mes urines » ; et le frère de « l’épicier africain » (un autre sketch du même auteur) s’y prend à trois reprises pour demander 3kg de pommes de terre (après avoir demandé successivement, en vain, 3 tonnes puis 3 grammes de pommes de terre).
Comme on le voit, la vision de l’Afrique que ressasse Michel Leeb ferait presque passer Tintin au Congo pour un ouvrage de Frantz Fanon. Conçu à une époque où, dans les mêmes émissions qui l’accueillaient, Michel Sardou faisait en chanson l’apologie du « Temps béni des colonies » (J’avais plein de serviteurs noirs/Et quatre filles dans mon lit), « l’Africain » nous rappelle opportunément qu’en matière de négrophobie de fin de banquet, les changements intervenus en 40 ans sont, au fond, très relatifs.
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