Ennahdha – Nidaa Tounes : divorce à la tunisienne
Rien ne va plus entre les deux principales composantes politiques du paysage politique tunisien. À la veille des municipales, prévues le 6 mai prochain, le parti d’Hafedh Caïd Essebsi a déclaré que les islamistes seront désormais ses concurrents et non ses alliés.
Le samedi 6 janvier, à l’issue d’une réunion sur l’organisation des élections municipales qui se tiendront le 6 mai, le parti au pouvoir, Nidaa Tounes, a renié son alliance avec les islamistes d’Ennahdha. « Nous sortons du consensus pour aller vers une situation concurrentielle avec le mouvement Ennahda », assène Borhène Bsaies, chargé des affaires politiques de Nidaa Tounes.
L’accord tacite de non-belligérance, établi depuis 2014 entre les deux partis qui ont remporté les élections, a volé en éclats en décembre dernier lorsque Nidaa Tounes a perdu les législatives partielles qui se tenaient en Allemagne.
Sûr de l’appui d’Ennahdha, le parti fondé par Béji Caïd Essebsi, actuel président de la République, pensait l’emporter ou du moins conserver le siège de Hatem Ferjani, nommé secrétaire d’État auprès du ministre des Affaires étrangères. La victoire de l’outsider Yassine Ayari, du mouvement Al Amal, a été un revers qui a dévoilé le faible soutien apporté par Ennahdha et les limites de son alliance avec son allié au pouvoir. Pourtant, il avait été question que les deux formations fassent liste commune sur certaines villes pour les municipales.
Une crise structurelle
Cette situation souligne la fragilité du parti présidentiel qui n’en demeure pas moins le parti dont sont issus le président de la République, l’Assemblée et le chef du gouvernement. Malgré sa victoire aux législatives en 2014, son alliance avec Ennahdha et des problèmes de leadership lui ont valu la défection d’une vingtaine de députés, devenant ainsi la seconde formation à l’Assemblée. Le parti, qui ne cesse de reporter la tenue de son congrès électif depuis sa création en 2012, est sous la coupe de son directeur exécutif, Hafedh Caïd Essebsi, et des hommes qu’il a mis en place.
Nidaa Tounes aurait perdu 200 000 électeurs
Un courant sans vision ni stratégie politique qui peine à fédérer, estiment les experts. Des sondages à usage interne auraient démontré que Nidaa aurait perdu 200 000 électeurs, soit près du quart de son électorat, selon des proches du bureau exécutif. Mais cela n’augure en rien de son échec aux élections municipales, même si le parti peine à établir des listes dans des villes importantes. « L’électeur ne se comporte pas comme les élites politiques », tempère Zyed Krichen, analyste politique.
En quête d’un repositionnement
Le moment est délicat : après avoir défendu bec et ongles la stratégie du consensus pour diriger le pays avec Ennahdha, Nidaa Tounes fait volte-face. « Il y a une différence entre ces deux partis, sur tous les plans, idéologique, politique et économique. Ennahdha est le principal et presque le seul vrai concurrent de Nidaa Tounes. Nous passons ainsi du consensus à la concurrence démocratique », souligne Mongi Harbaoui, porte-parole de Nidaa Tounes.
Des explications qui peinent à convaincre. Le consensus avait ainsi été décrié par une large majorité de Tunisiens, aboutissant à un immobilisme politico-économique. Pour regagner en crédibilité, Nidaa Tounes a intégré de nouvelles figures politiques dont des ministres jusque-là indépendants et tenté, sans succès, de battre le rappel auprès de ses dissidents. Aucun n’a été sensible à l’argument « tous unis contre Ennahdha », d’autant qu’un front de dix partis démocrates feront liste commune aux municipales.
La fin de l’alliance Nidaa/Ennahdha n’est effective que si Béji Caïd Essebsi l’exprime clairement
« Entendre dire que Nidaa se désengage d’Ennahdha pour divergence de vues sur le projet sociétal, cela ne peut que faire rire. Nidaa ignorait-il le projet d’Ennahdha ? », s’interroge Mustapha Saheb Ettabaa, secrétaire général du parti El Wifak.
La position de Nidaa Tounes n’en demeure pas moins ambiguë. Le parti confirme en effet être en accord avec Ennahdha sur la feuille de route du gouvernement. La séparation de corps ne serait pas une séparation de biens. Rivales sur les municipales, comment vont se comporter Nidaa Tounes et Ennahdha à l’Assemblée ? Que changera le résultat du scrutin dans les équilibres de l’hémicycle ? « Pas grand-chose », selon Rym Mourali, cofondatrice du Mouvement de l’Indépendance Tunisienne, fondé en 2015. « La fin de l’alliance n’est effective que si Béji Caïd Essebsi l’exprime clairement et qu’elle aboutisse à une rupture du consensus gouvernemental. »
Silence chez les islamistes
De fait, en septembre 2017, le président de la République avait ouvert les hostilités en déclarant : « nous nous sommes trompés sur Ennahdha ». Six mois plus tard, à l’issue de la réunion de Nidaa Tounes, Noureddine Ben Ticha, conseiller politique de Béji Caïd Essebsi, réclame un remaniement ministériel conforme aux résultats des législatives de 2014.
Entre temps, Ennahdha reste silencieux. Aucun de ses dirigeants n’a ainsi commenté la décision de Nidaa qui indiffère les Tunisiens. Ces derniers manifestent contre les augmentations du coût de la vie. « C’est bien les politiques et les partis qui nous ont conduits au désastre économique », assène Leith, un activiste du mouvement « #Fech_Nestanew » (Qu’attendons-nous ? ).
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