Pour un franc CFA rénové et débarrassé de ses oripeaux coloniaux
Facinet Sylla, économiste et ancien directeur de la banque centrale de Guinée, plaide pour une monnaie commune dépouillée des poids symboliques que sont son nom et la présence d’officiels français au sein de ses instances de gouvernance.
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Facinet Sylla
Économiste à la BAD, ancien directeur des études, de la statistique et des relations internationales de la Banque centrale de la République de Guinée, Ancien chef de division à l’Institut monétaire de l’Afrique de l’Ouest.
Publié le 9 mars 2018 Lecture : 4 minutes.
Tribune. Jamais le débat sur le franc CFA, cette monnaie commune à huit pays d’Afrique de l’Ouest (UEMOA) et à six pays d’Afrique centrale (Cemac), n’aura atteint un tel niveau. Ses partisans font l’éloge de la stabilité macroéconomique qu’il sous-tend, tandis que ses détracteurs y voient un moyen d’asservissement de l’ex-puissance coloniale.
Sans verser dans une polémique passionnelle, et parfois stérile, nous plaidons pour un franc CFA débarrassé de ses poids symboliques, à commencer par la dénomination « Franc de la communauté financière en Afrique » ou « de la coopération financière en Afrique centrale », qui rappelle encore son ancienne appellation de « Franc des colonies françaises d’Afrique ».
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Le fait que des officiels français siègent au sein des organes de gouvernance de la monnaie commune (conseil d’administration, comité de politiques monétaires) n’est-il pas anachronique ? L’argument selon lequel leur présence est un garant pour le bon fonctionnement du système de convertibilité de la monnaie commune ne tient pas. Il existe des arrangements monétaires sans que cela ne débouche sur une représentation dans les instances décisionnelles du pays qui arrime sa monnaie.
Stabilité
S’il est vrai que la monnaie est un instrument de souveraineté, force est de constater qu’en Afrique, les pays qui frappent leur monnaie nationale ont montré leurs limites. De l’Angola aux géants Nigeria et l’Afrique du Sud, en passant par l’Égypte, le Ghana ou le Kenya, les monnaies de ces grandes économies ont subi d’incessantes fluctuations préjudiciables à l’activité économique.
La forte volatilité de ces monnaies nationales est souvent alimentée par le financement apporté aux gouvernements par les banques centrales pour contenir les dérapages budgétaires. Cette volatilité nuit à l’investissement et décourage toute projection à moyen et long terme. En outre, ces pays affichent en général des taux d’inflation à deux chiffres très pénalisants pour le citoyen lambda.
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En revanche, le constat est tout autre dans la zone monétaire franc CFA, particulièrement au sein de l’UEMOA. L’inflation y est faible, l’instabilité monétaire n’est un souci pour aucun investisseur et l’on y observe une relative stabilité macroéconomique.
Au-delà des considérations purement monétaires, cette union est un creuset d’avantages, au premier rang desquels l’on peut citer la discipline budgétaire. Ce qui éloigne le spectre du financement du déficit budgétaire par les banques centrales, amenant ainsi les États à miser sur la mobilisation des recettes plutôt qu’à recourir à la planche à billets inflationniste. Mieux, les échanges intra-UEMOA sont relativement importants.
Enfin et c’est un argument de taille, l’UEMOA est aujourd’hui un modèle d’intégration socio-économique plus ou moins abouti. En dépit de quelques tracasseries administratives imputables à la corruption, vous pouvez traverser librement les frontières terrestres inter-États de l’UEMOA, vous établir et exercer une profession dans le pays de votre choix. Pour toutes ces raisons, nous plaidons pour un F CFA, qui pourrait être rebaptisé « wari » (argent, en bambara), pour l’UEMOA. Une monnaie débarrassée des oripeaux coloniaux du F CFA et ce, jusqu’à l’avènement d’une monnaie unique pour la Cedeao.
Dynamique positive
Le cas du Cap-Vert, dont la monnaie est également arrimée à l’euro, doit d’ailleurs nous interpeller sur le fait que cette situation n’est pas en soi un problème. C’est plutôt la gouvernance dans la gestion des deniers publics et la bonne orientation des politiques publiques qui devraient être au cœur du débat. Pour illustrer davantage cette « neutralité » de l’arrimage du franc CFA à l’euro, il suffit d’observer les difficultés économiques que rencontrent les pays de la Cemac en comparaison avec l’embellie des indicateurs économiques au sein de l’UEMOA.
Aucune union monétaire existante n’a rempli les critères de la zone monétaire optimum
Plutôt que de se focaliser sur les liens historiques avec la France, nous estimons que les citoyens Ouest-Africains gagneraient à accentuer la pression sur leurs gouvernants pour l’avènement de la monnaie unique ouest-africaine. L’épineuse question de l’asymétrie des économies et le mode de gouvernance de la future banque centrale devraient pouvoir trouver une solution.
Plusieurs recherches prouvent qu’une union monétaire crée sa propre dynamique positive. Ainsi, selon Frankel et Rose (1998), l’intégration commerciale influence positivement la corrélation des cycles économiques, ce qui rend la création d’une zone monétaire plus souhaitable.
On ne le soulignera jamais assez, une union monétaire est une question de volonté politique. Sans Helmut Kohl et François Mitterrand, il n’y aurait jamais eu l’euro. L’Allemagne de l’Est, qui n’a jamais respecté aucun critère de convergence macroéconomique, a tout de même été intégrée dans la zone euro au lendemain de la chute du mur de Berlin. Aucune union monétaire existante n’a rempli les critères de la zone monétaire optimum, qui reste une notion théorique derrière laquelle s’abritent tous ceux qui souhaitent le statu quo.
Pour ce qui est de la Cemac, la crise économique qu’elle traverse depuis la chute des cours du pétrole devrait être mise à profit pour opérer de profondes réformes à même de promouvoir la bonne gouvernance, l’intégration régionale et la diversification de ses exportations.
(*) Précision : Facinet Sylla écrit ici en tant que « citoyen » et non en tant que représentant de la banque africaine de développement.
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