Les Africains au Salon du livre de Paris, c’est un peu plus que de la littérature
Le Salon du livre de Paris a ouvert ses portes au public vendredi matin. Pour l’édition 2018, l’Afrique subsaharienne est fortement présente à travers le Pavillon des Lettres d’Afrique. Quel intérêt pour le continent ?
Un espace gigantesque de 400 m2 à plus de 300 euros le mètre carré, rien que pour la location du stand, sans compter le coût des équipements, les frais de déplacement et d’hébergement des auteurs, les rétributions des conférenciers et des prestataires (traiteurs, équipement, etc). Pourquoi les États africains dépensent-ils autant pour une présence au Salon du livre de Paris, alors que le rendez-vous littéraire n’a pas l’importance stratégique du Salon du livre de Francfort, réputé pour être un haut lieu de négociation pour la vente des droits des œuvres littéraires ? C’est que l’intérêt de la manifestation se situe en grande partie ailleurs que dans la littérature.
« Dans l’action diplomatique, un pays joue sur plusieurs registres, et dans ce spectre il y a une dimension culturelle. Jouer cette carte, c’est donner une bonne image de son pays. C’est un élément fort dans une stratégie internationale et cela permet, au plan intérieur, de consolider le lien national menacé par les replis identitaires et les clivages ethniques », explique Pierre Jacquemot, ancien ambassadeur français dans différents pays d’Afrique et chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).
Politique culturelle ambitieuse
Le Pavillon des Lettres d’Afrique, nouveau rassemblement des Africains au Salon du livre de Paris, avec pour chef de file la Côte d’Ivoire, a fédéré sept États du continent l’an dernier, pour sa première édition (Guinée, Bénin, Cameroun, Nigeria, République du Congo, Sénégal et Côte d’Ivoire). Il est de retour cette année, avec pour thème « Le livre passerelle des Arts » et dix États africains associés (Côte d’Ivoire, Sénégal, Mali, Bénin, Togo, Cameroun, Gabon, Guinée, Guinée Bissau et l’Afrique du Sud, pays invité). « Il est important pour les États africains de se positionner dans le monde du livre quand ils ont une politique culturelle ambitieuse, comme c’est le cas, par exemple, pour la Côte d’Ivoire », relève Raphaël Thierry, un chercheur spécialiste de l’édition et de la littérature africaine.
À la manœuvre, pour fédérer les pays africains, l’entrepreneuse culturelle d’origine sénégalaise Aminata Diop-Johnson. En un mot, la présence africaine subsaharienne au Salon du livre, c’est elle. Après avoir travaillé pendant huit ans pour Reed Expositions France, organisateur de salons et de foires, dont le Salon du livre de Paris, elle a coordonné, de 2010 à 2016, le stand Livres et auteurs du Bassin du Congo. Depuis, Aminata Diop-Johnson a lancé l’Agence culturelle africaine, une structure enregistrée au Sénégal, avant de fonder le Pavillon des Lettres d’Afrique.
Business et littérature
L’édition 2018 est coorganisée avec la Société d’encouragement pour l’industrie nationale. L’association, fondée sous Napoléon, est présentée par Olivier Mousson, son président, comme « l’ancêtre » de la Banque publique d’investissement française » – BPIFrance. On est loin ici de la culture, mais le stand africain au Salon du livre est, depuis l’initiative pilotée par le Congo, également un lieu de rendez-vous et de réseautage pour les « amis de l’Afrique », soucieux d’y développer leur business.
Dans le salon VIP, des cartes de visites s’échangent, des contacts se créent et des projets voient le jour. « Il y a beaucoup de choses qui se passent, notamment des rencontres politiques avant et après le Salon du livre. Le livre est un instrument de pouvoir, d’échanges et de relation économique dans la politique africaine de la France », explique Raphaël Thierry. Ce n’est pas un hasard si le Conseil français des investisseurs en Afrique, AccorHotels, Vivendi et Canal + International font ainsi partie des partenaires de l’événement.
Financé par les États africains associés et des fondations privées, Pavillon des Lettres d’Afrique est cependant en phase avec les réalités du continent. Certaines administrations africaines ne règlent pas leur contribution à temps, donnant quelques sueurs froides à l’organisation. Dans un registre plus positif, sur les deux espaces dédiés aux conférences, outre les traditionnelles tables rondes avec les auteurs qui font l’actualité littéraire et un espace dédié aux maisons d’édition, des débats sur la jeunesse africaine connectée avec les blogueurs, les Youtubeurs et les influenceurs du continent, ainsi que sur l’art contemporain, la musique ou le cinéma, se tiendront tout le week-end.
Après le Nigeria en 2017, un pays anglophone est pour la seconde fois l’invité d’honneur de l’espace africain. Cette année, il s’agit de l’Afrique du Sud. Une stratégie d’ouverture vers la littérature africaine d’expression anglaise assumée pour Aminata Diop-Johnson, avec un objectif : rassembler tous les pays africains autour d’un même festival du livre et de la lecture.
Une vitrine politique
Le premier pays à s’être essayé à cette diplomatie culturelle à l’africaine à travers les lettres, c’est le Congo-Brazzaville – déjà avec l’incontournable Aminata Diop-Johnson. Elle propose en 2009 à Jean-Paul Pigasse, une des éminences grises du président congolais Denis Sassou Nguesso, de créer un grand stand mettant en valeur la littérature africaine au Salon du livre de Paris à l’occasion du 50e anniversaire des indépendances africaines. C’est ainsi que naît en 2010, le stand « Livres et auteurs du Bassin du Congo », le plus grand stand africain (300 m2 lors de sa dernière édition en 2016) qui ait jamais existé jusqu’alors au Salon du livre.
Une vitrine très politique et un enjeux qui dépasse l’éditorial pour le petit État pétrolier, bien qu’il puisse se targuer de compter parmi ses nationaux de grandes plumes de la littérature africaine (Alain Mabanckou, Emmanuel Dongala, Henri Lopès, Sony Labou Tansi, Tchicaya U Tam’si). « Le Congo Brazzaville n’est pas réputé pour être un des pays phares de l’édition francophone. Posséder un stand au Salon du livre de Paris, était un instrument de représentation politique qui passait à travers la culture », décrypte Raphaël Thierry.
L’édition 2016 de ce « mini Salon africain dans le Salon » fut d’ailleurs en forme d’apothéose pour le stand congolais : Brazzaville et Pointe-Noire, capitales économique et politique du pays, étaient les deux villes invitées à l’honneur du Salon. Une « distinction » pouvant coûter entre 700 000 euros et 1,3 million d’euros pour le financement du Pavillon, selon les chiffres du magazine Livres Hebdo.
Le divorce est depuis consommé entre Aminata Diop-Johnson et Livres et auteurs du Bassin du Congo. Ce dernier est depuis deux ans le grand absent du Salon. Après avoir manqué à l’appel en 2017, le stand congolais a confirmé qu’il ne sera pas présent cette année encore, dans une note publiée le 8 mars sur sa page Facebook. D’après une source proche de l’organisation, le Congo avait pourtant réservé un espace, avant de renoncer finalement. Un désistement qu’il faudrait mettre sur le compte des difficultés économiques que connaît actuellement Brazzaville. Frappé de plein fouet par la baisse des cours du pétrole, le Congo n’aurait plus les moyens d’assurer sa coûteuse présence au Salon du livre. Une éclipse qui a un goût amer pour nombre de Congolais qui expriment en coulisses leur désarroi, l’événement étant réputé pour être géré par des intérêts puissants au Congo.
Présence plus modeste
La Côte d’Ivoire, la Guinée et les pays du fleuve Mano ont également eu une présence plus modeste au Salon du livre faute de moyens. Côté Maghreb, en dehors de l’Algérie (stand F82) qui sera représentée par une structure sous tutelle du Ministère de la Culture, la présence au Salon se fait surtout via des groupements d’éditeurs. L’Union des éditeurs tunisiens (stand N84), Les éditeurs marocains (stand P77) ainsi que l’Arab Publishers Association (stand B67) seront quant à eux bien présents cette année.
Quelques autres stands marqueront également la présence africaine subsaharienne. Le distributeur L’Oiseau Indigo (stand K18), diffuseur de plusieurs maisons d’édition aura une programmation avec un fort prisme africain. Popo Loves cooking (stand R47), alias Julie Kassa Mapsi, présentera son livre de recettes apéritives permettant de valoriser et faire découvrir la gastronomie africaine contemporaine. Des ateliers dégustations auront lieu sur le stand les samedi et dimanche. La jeune maison d’édition Ekima Media (stand D26), fondée en octobre dernier, présentera les ouvrages à son catalogue. Enfin, les stands des maisons d’éditions française Actes sud (stand J40), Le Serpent à plume (stand G18) ou Gallimard avec sa collection « continents noirs » (stand L-P63) ont également à leur catalogue de nombreux écrivains africains.
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