Grand invité de l’Économie RFI/Jeune Afrique – Carlos Lopes : « La notion de codéveloppement, c’est du baratin »
Le Bissau-Guinéen Carlos Lopes, ancien secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies, est le Grand Invité de l’économie RFI-Jeune Afrique, samedi 7 avril 2018 sur RFI, à 12 h 10 heure de Paris, 10 h 10 TU.
Après avoir été secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique entre 2012 et 2016, Carlos Lopes enseigne désormais l’économie à l’université du Cap. Actuellement, il est également professeur invité à Sciences Po Paris. Observateur attentif des évolutions du continent, membre du comité de réforme de l’Union africaine piloté par le président rwandais Paul Kagame, le Bissau-Guinéen est le grand invité de l’émission Éco d’Ici Éco d’ailleurs, ce 7 avril. Au cœur de l’entretien, l’intégration économique régionale et continentale, mais aussi la réforme du franc CFA, l’aide au développement et la gestion des matières premières. Extraits.
• Zone de libre échange continentale
« Le panafricanisme est une idéologie profondément politique. Elle a permis les indépendances, la lutte contre l’apartheid et la création de l’Organisation de l’unité africaine. Mais depuis deux décennies, on a tourné cette page et il fallait passer à l’intégration économique. Cela commence par le libre-échange. Cela une importance particulière car nous vivons des modifications du tissu économique mondial considérables.
Par exemple, les chaînes de valeur ont perdu les caractéristiques de l’époque industrielle, la propriété intellectuelle joue un rôle plus grand, les nouvelles technologies font baisser la valeur travail et les pays retardataires vont connaître d’énormes difficultés dans le marché mondial. Une zone de libre échange africaine va surtout servir à protéger la création de chaînes de valeur régionales. »
• Politiques économiques
« D’abord, il faut faire un diagnostic correct de l’état des économies. Il n’y a que douze pays africains qui sont à jour avec leurs comptes nationaux. Quelquefois, ils sont présentés avec plusieurs années de retard et avec des difficultés méthodologiques majeures. Les pays africains ne connaissent pas leurs territoires. Les régimes fonciers sont dans des états catastrophiques. 60 % des Africains n’ont pas de cartes d’identité ou de registre civil complet.
Si on ne connait pas sa population, mal son économie et son territoire, on a un très mauvais diagnostic. Les conséquences macroéconomiques sont majeures. Si on fait le calcul du poids de la dette, alors que le PIB est sous-estimé, nos avons un problème de qualité de l’analyse. »
• Angola
« Le scandale majeur, c’est la dépendance du pays aux exportations de pétrole : elles représentent près de 80 % de ses ressources publiques. C’est un scandale car c’est un pays qui a une activité économique soutenue avec une diversification par exemple dans l’industrie de services, dans les télécoms. Alors pourquoi cette situation ? À cause d’une gouvernance centrée sur les matières premières et la facilité. Beaucoup d’Angolais sont très riches parce qu’ils ne paient pas d’impôts. Ce qui me gêne, ce n’est pas l’informalisation de la pauvreté, c’est l’informalisation de la richesse. »
• Afrique du Sud
« Cyril Ramaphosa va introduire une dimension éthique qui avait disparu pendant la période Zuma. Mais je ne suis pas très optimiste pour un changement au niveau de l’économie sud-africaine. Il n’a sans doute pas suffisamment d’assise au niveau de l’ANC et du pays pour faire des réformes de fond. »
• Optimisme
« En Afrique les grands pays ne vont pas très bien, les petits vont mieux. Quand on regarde la liste des dix pays qui auront la plus grande performance économique prévue en 2018, il y a cinq africains : l’Éthiopie, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, la Tanzanie et le Rwanda. Ce sont des pays qui sont relativement riches en matières premières dites soft (agricoles), mais pas en minerais.
Moi, je suis optimiste dans l’analyse sur le long terme. La croissance démographique est plutôt positive, la possibilité d’adaptation des technologies à des systèmes de production en retard également. Mais je suis conscient que nous partons d’une base modeste. L’Afrique a réussi depuis quinze ans à réduire le pourcentage de pauvres, la mortalité infantile et maternelle, plus de filles vont à l’école. Mais ce n’est pas suffisant. »
• Immigration
« Vraiment, on exagère. Les faits : l’Afrique contribue à hauteur de 14 % à l’immigration mondiale, l’Europe à 25 %, l’Asie à 31 %. Le nombre net de migrants africains vers le monde est de 2,1 millions, c’est relativement modeste. Pour la Chine, c’est 10 millions. Dans les pays européens, on sent une peur liée à l’augmentation rapide du nombre de migrants : + 67 % depuis quatre ans et cela va continuer. La deuxième raison, c’est le drame de Méditerranée. Cela donne l’impression que cette immigration est centrée sur le désespoir, alors que c’est une petite minorité des migrants africains. »
Codéveloppement
« Il n’y a rien de nouveau dans ces notions de partenariats, de codéveloppement. C’est du baratin. Depuis des décennies, on ne fait que recycler la même idée qui est celle d’une relation donnant-donnant, mais au fond, on maintient l’Afrique à l’écart des grands flux de l’économie mondiale. Cela ne permet pas la vraie industrialisation, la vraie croissance. C’est pour maintenir la tête de l’Afrique hors de l’eau. Il faut plus d‘ambition. Ce qu’il faut c’est l’investissement dans les infrastructures, dans le commerce, comme font les Chinois. »
Également dans l’émission, les évolutions du franc CFA, la lutte contre le terrorisme et la conditionnalité de l’aide au développement…
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