Opération mains propres

Du nouveau code de procédure pénale à la création d’une Agence nationale d’investigation financière, tout un arsenal de lutte contre la corruption se met en place. Notamment au port de Douala.

Publié le 1 août 2005 Lecture : 5 minutes.

L’anecdote est significative. Le 5 juillet, un quotidien indépendant de Yaoundé, pourtant considéré comme crédible – Mutations -, annonce à ses lecteurs que « le chef de l’État a quitté le Cameroun samedi pour une destination inconnue ». Et de poursuivre : « Le dispositif de sécurité qui précède habituellement ses déplacements n’était pas en place. Bien des membres de son entourage, d’ordinaire associés à ses préparatifs de voyage, avouent avoir été pris de court par le caractère inopiné de ce départ du pays. » Et pour cause : si Paul Biya a effectivement, ce jour-là, quitté son palais d’Etoudi, à Yaoundé, c’était pour se rendre… chez lui, dans son « village » de Mvomeka’a, ainsi qu’il le fait chaque week-end, ou presque. Sans excuser l’erreur, il faut avouer qu’elle est compréhensible : pour ce qui est des faits et gestes du président, a fortiori de son calendrier, la non-communication est, au Cameroun, une seconde nature. Si cette stratégie a jusqu’ici plutôt bien réussi à Paul Biya, elle génère des effets pervers. Ainsi en va-t-il du rythme de travail présidentiel. Tous les secrétaires généraux d’Etoudi vous le confieront : Biya les épuise, à force de demandes, d’exigences, de notes renvoyées pour compléments d’informations, de réunions impromptues, d’appels téléphoniques en pleine nuit. « J’attends de vous, a-t-il l’habitude de dire à ses principaux collaborateurs, une disponibilité totale. » Mais la légende demeure, tenace, du « président vacancier » adepte des 35 heures et des RTT, travailleur à mi-temps, familier des terrains de golf. Comment en finir avec cette dichotomie ? Le principal intéressé semblant en avoir une fois pour toutes pris son parti, c’est à l’observateur de déceler le mouvement sous les eaux dormantes du lac Cameroun. Il y faut de bons yeux, certes, mais les signes d’une évolution positive méritent d’être relevés.
Exemple : la lutte contre la corruption. Vaste chantier, dira-t-on, tant le mal fut et demeure profond au Cameroun. Pourtant, du nouveau code de procédure pénale à la création de l’Agence nationale d’investigation financière (voir encadrés), des pas décisifs semblent avoir été accomplis ces derniers mois pour maîtriser – si ce n’est réduire – un fléau extrêmement préjudiciable à l’image du pays. Emblématique à cet égard est le cas du Port autonome de Douala (PAD), qui fut longtemps l’une des principales usines à corruption du Cameroun. En nommant, début février 2005, Emmanuel Etoundi Oyono au poste de directeur général du PAD, Paul Biya savait à quoi s’attendre. Ce Béti de 54 ans, administrateur civil principal, diplômé de l’Institut d’administration publique et de la Cour des comptes de Paris, jouit d’une solide réputation d’incorruptible. Pendant douze ans, à la tête de la Société nationale de recouvrement des créances, il a mené la chasse aux « grosses baleines » dans un pays où la plupart des créanciers de l’État sont aussi des barons du régime. À son tableau de chasse figurent ainsi des personnalités d’envergure dont il n’a pas hésité à faire saisir les comptes, alors même qu’elles étaient au faîte de leur puissance : Jean Fochivé, Titus Edzoa, Sadou Hayatou, Robert Mbella Mbappe…
En arrivant à Douala, Etoundi Oyono découvre avec effarement que le Port autonome, avec son millier de salariés, est au bord de la faillite. Un simple chèque de 6 millions de F CFA adressé à une société pétrolière (Mobil) lui est retourné par la banque. Motif : provision insuffisante. Pourtant, le PAD sort de trois années de vaches grasses, avec la construction du pipeline Doba-Kribi, la logistique des opérations de l’ONU au Darfour et le détournement d’une partie du trafic du Port d’Abidjan, qui lui ont apporté des revenus substantiels. En 2003 et 2004, plus de sept mille navires ont ainsi été « traités » par le PAD, qui présente néanmoins un bilan financier désastreux : 47 milliards de F CFA de dettes cumulées et 4,5 milliards de découvert bancaire. La raison de ce naufrage ? Un système quasi généralisé de corruption, avec minoration systématique des taxes, entrepôts fictifs et transbordements de cargaisons en haute mer alimentant une contrebande industrielle à l’entrée du chenal, via un incessant ballet de pirogues.
Certes, l’utilisation du port de Douala, mais aussi de ceux de Limbe et de Kribi (sur lesquels le DG du PAD a autorité), comme vache à lait par des dizaines de hauts fonctionnaires, ministres, généraux et feymen de tout acabit n’est pas nouvelle. À l’époque d’Ahmadou Ahidjo déjà, les entrepôts fictifs étaient une source connue d’enrichissement pour les alhadjis du Nord, et le règne, à la tête du port, d’un Tchouta Moussa, par exemple, reste encore dans les mémoires. À la fin des années 1990, l’éclatement de l’Office national des ports du Cameroun (ONPC) en entités autonomes ne fait qu’accentuer le phénomène. Sur le port de Douala, la gabegie et les abus sont partout. Des exemples ? Comment expliquer qu’en 2004 la direction du PAD ait octroyé à ses employés 650 millions de F CFA en bons d’essence, 450 millions en frais de réparation et d’entretien de véhicules de fonction, 1,5 milliard en primes d’assurances et 450 millions en dotation de téléphones portables avec abonnement obligatoire à un opérateur unique ? Comment expliquer aussi qu’en dépit de la multiplicité des contrôles – police, gendarmerie, douane, marine nationale, sociétés privées de gardiennage -, le port soit une passoire où les vols et l’insécurité font partie du quotidien ?
Déterminé à trancher dans le vif, Emmanuel Etoundi Oyono a, dès son arrivée, diffusé une trentaine de notes de service drastiques. Suppression des dotations de portables, réduction de 60 % des dépenses en carburant, fouille systématique de tous les véhicules entrant et sortant du port par une force contraire (la police fouille la gendarmerie et vice versa), plan de restructuration d’un personnel pléthorique, suivant les recommandations de la Banque mondiale – les effectifs devraient passer de mille à six cents salariés -, restriction des accès et port de signes distinctifs de la part de tous les agents, etc. Objectif : assainissement, rééquilibrage financier et remise à neuf du PAD d’ici au début 2006. Les méthodes, l’impulsivité et le franc-parler d’Etoundi Oyono ne lui font pas, on l’imagine, que des amis. Chacun sait ainsi à Douala que le nouveau DG est en conflit ouvert tant avec son prédécesseur Alphonse Siyam Siwé, actuel ministre de l’Énergie, qu’avec le délégué du gouvernement auprès de la communauté urbaine de Douala, par ailleurs président du conseil d’administration du PAD, le colonel Édouard Etondé Ekoto, alias « colonel Piment ». Mais le DG aux éternelles lunettes fumées, qui confie avoir reçu des menaces de mort, est un opiniâtre. De l’issue du combat qu’il livre à Douala dépend une part de la crédibilité des autorités camerounaises, aux yeux des bailleurs de fonds certes, mais aussi vis-à-vis d’une opinion nationale pour qui la corruption est génétiquement associée à toute forme de pouvoir.

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