Un nouveau départ pour TV5 Monde ?
Alors que la chaîne francophone s’installe dans ses nouveaux locaux parisiens de l’avenue de Wagram, l’arrivée d’une concurrente de taille, France 24, l’oblige à aller encore de l’avant.
« L’antenne TV5 est déréglée ! » Autrefois familières, les vociférations des ménagères à l’adresse de la parabole satellite à usage presque unique se font désormais rares dans les rues de Dakar, d’Alger ou de Douala. Et pour cause : la chaîne francophone n’est plus la seule que les Africains – de même que les Asiatiques, les Européens et les Américains – peuvent recevoir 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Avec le déménagement qui l’a vue quitter l’historique rue Cognacq-Jay pour la chic avenue de Wagram à Paris au début de juillet, TV5 – devenue officiellement « TV5 Monde » en janvier dernier – entre dans une nouvelle ère. Où la concurrence s’exacerbe : France 24, la future chaîne d’information internationale française en continu, devrait commencer à émettre en décembre prochain. Son arrivée alimente les discussions dans les couloirs de TV5 Monde et l’on se demande comment deux réseaux francophones subsisteront, tout en sachant qu’à chaque coup dur TV5 s’en est sortie. Enrichie.
La chaîne n’en est effectivement pas à ses premières difficultés. Des tempêtes (celles de la technologie MMDS, du numérique, d’Internet), elle en a essuyé. Produit culturel et informatif issu d’un partenariat entre la France, la Suisse, la Belgique, le Québec et le Canada, elle est un ovni dans le paysage audiovisuel planétaire, et ses responsables ont dû se battre pour la faire exister malgré les fréquentes dissensions entre les contributeurs.
Née en 1984, la petite chaîne qui diffusait en Europe trois heures de programmes quotidiens repris à TF1, Antenne 2, FR3, la RTBF et la Télévision suisse romande est devenue aujourd’hui le deuxième réseau de distribution du monde. Reçue dans 160 millions de foyers par ondes hertziennes, câble ou satellite, TV5 arrive juste derrière l’américaine MTV et devant CNN et la BBC. Elle compte 8 signaux différents sur les cinq continents, 250 employés de 25 nationalités, 300 correspondants dans le monde. Elle est regardée par quelque 73 millions de téléspectateurs hebdomadaires tandis que 70 % des bouquets numériques mondiaux l’offrent à leurs clients.
Celle que les Français ont longtemps considérée comme une « télé ringarde » qui ne proposait que des rediffusions et « qu’on voyait à l’étranger » a bien changé. Confrontée d’abord à la généralisation du câble et du satellite, puis à celle – plus récente – du numérique, TV5 Monde a dû faire face à l’arrivée sur les bouquets satellite des chaînes qui lui fournissaient l’essentiel de ses programmes. Au tournant du XXIe siècle, sous les présidences de Jean Stock (1998-2001) puis de Serge Adda (2001-2005), elle se modernise. En 1999, grâce à la technologie numérique qu’elle utilise depuis déjà quatre ans, TV5 se scinde en cinq signaux différenciés et s’adapte aux fuseaux horaires de chaque continent. Elle est enfin diffusée en continu.
En choisissant de faire des journaux la colonne vertébrale de sa chaîne, Jean Stock dessine la TV5 moderne, celle qui propose aujourd’hui dix-huit rendez-vous d’information quotidiens, dont quatorze réalisés par la rédaction. Serge Adda lui donne un nouveau look, parcourt le monde pour accentuer la pénétration de son réseau dans les zones non francophones et multiplie le recours au sous-titrage (aujourd’hui proposé en neuf langues). « Quand un film est sous-titré, on a entre cinq et neuf fois plus de spectateurs », explique un responsable marketing. Pour la direction, il est clair que cette technique trop peu usitée en France représente l’avenir de la chaîne.
Pour beaucoup de gens sur la planète, TV5 est bien la télé de la langue française, mais une télé ouverte sur le monde, tolérante et différente. Au lendemain du 11 septembre 2001, un Américain écrivait à la rédaction : « Merci de nous avoir montré la compassion du monde arabe. » Les très beaux pics d’audience au moment du déclenchement de la guerre d’Irak en 2003 (certains jours, elle était multipliée par quatre) ont prouvé l’intérêt des spectateurs pour une information diversifiée. Quelque douze chaînes, de l’Argentine à la Thaïlande en passant par Taiwan ou le Chili, ont demandé à TV5 l’autorisation de reprendre ses journaux télévisés. Certaines sont restées des partenaires depuis lors.
Sa mission de service public et sa dépendance institutionnelle à l’égard de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) obligent aussi TV5 à tenir un cahier des charges et « donner la parole au Sud, à ceux qui n’ont pas d’argent ». Marie-Christine Saragosse, longtemps directrice générale avant sa démission à la fin de l’année 2005, aimait à répéter : « TV5 est une leçon de démocratie. »
Sur le continent africain, où elle reste une télévision de référence, on compte souvent sur elle. Denise Époté-Durand, la directrice Afrique, se réjouit que sa région soit toujours considérée comme prioritaire dans le plan stratégique de TV5 Monde, même si, entre les piratages fréquents, la diffusion difficile dans les zones rurales et la concurrence des nouvelles chaînes, le terrain n’est pas toujours facile. Le journal Afrique, créé en 1998, est passé à une heure fixe (21 heures TU) et il est le programme le plus regardé sur le site Internet (www.tv5.org). Deux films africains sont diffusés chaque mois. « Il y a une très forte demande de cinéma de la part des Africains, et il est important que nous jouions notre rôle en soutenant les productions locales. Sans compter que nous sommes le seul signal à avoir 10 % de notre programmation propre », estime-t-elle.
Dans les pays africains francophones, aucun doute sur la notoriété de TV5. Des études ont montré qu’à Dakar, par exemple, 96 % de la population connaît le nom de la chaîne tandis que 64 % des foyers sénégalais déclarent la recevoir. Et pourtant, malgré ces succès, les risques pèsent sur la programmation africaine, toujours confrontée à des problèmes de budget. « À TV5, on pense trop souvent qu’il n’y a pas d’efforts à faire sur ce continent, que c’est un marché acquis. Mais, si l’on n’y prend garde, les opérateurs finiront par choisir d’autres chaînes sur leurs bouquets, comme on le constate sur l’Asie et l’Amérique », prévient Époté-Durand, alors qu’elle prend justement connaissance d’un dossier sur un réseau de télévision chinoise qui prépare son arrivée au Rwanda. Au Maghreb comme au sud du Sahara, les concurrents arrivent au galop
Mais le concurrent que tous, dans les nouveaux locaux de l’avenue de Wagram, craignent le plus est tout proche, établi depuis peu à Issy-les-Moulineaux, à la porte de Paris. France 24, longtemps appelée CFII (chaîne française d’information internationale), doit commencer sa diffusion le 15 décembre prochain. Sur le contenu, TV5 ne devrait pas forcément pâtir de l’arrivée de cette télé voulue par Jacques Chirac pour présenter l’information d’une autre manière que celle de CNN ou d’Al-Jazira. Généraliste, proposant des émissions de divertissement, des films et, surtout, du sport (elle a acquis l’an dernier les droits de diffusion des jeux Olympiques), TV5 est bien plus qu’une « chaîne d’info ». En revanche, « les problèmes commenceront quand un opérateur voudra mettre une seule chaîne francophone dans son bouquet », explique un responsable de TV5. Et d’ironiser : « France 24 se positionne comme la voix de la France. Voyons ce que le téléspectateur préfère : l’équivalent de CNN ou de Voice of America ? »
Au-delà des querelles de chapelle et des choix des opérateurs, les dirigeants de TV5 Monde redoutent surtout l’orientation que choisira la France dans les années à venir. Financée à 85 % par l’Hexagone et avec des recettes propres à hauteur de 10 % depuis l’introduction de la publicité, TV5 pourrait voir ses ressources réduites au profit de France 24. Soumis à une cure d’austérité depuis plusieurs années, le budget de l’audiovisuel extérieur français n’est pas extensible. Avec 90 millions d’euros, TV5 est mangeuse d’argent, et c’est presque 70 millions d’euros qui ont été mis sur la table l’an dernier pour la création de France 24. Au même moment, le plan de développement élaboré par Jean-Jacques Aillagon (PDG de TV5 d’avril à décembre 2005) pour les années 2006-2009 était refusé par Bercy.
La France aura-t-elle les moyens de financer à 85 % une chaîne multilatérale et à 100 % une autre française ? La succession de trois PDG à la tête de TV5 en moins de deux ans révèle aussi une désaffection des responsables français à l’égard de la télé francophone, probablement conjoncturelle en cette période préélectorale. « Il y a beaucoup de choses qui tiennent la route à TV5, explique un proche du secrétaire général de l’OIF, Abdou Diouf. Malheureusement, la chaîne n’est pas bien traitée par les politiques français. En théorie, tous les partenaires ont leur mot à dire pour le choix du président. En réalité, ils n’ont pas une grande marge de manuvre. C’est la France, largement majoritaire dans le financement, qui décide. » À deux reprises, Abdou Diouf et les partenaires étrangers ont soutenu la candidature de Marie-Christine Saragosse (alors directrice générale). Mais ce sont des proches du pouvoir français – Jean-Jacques Aillagon hier, François Bonnemain aujourd’hui – qui l’ont emporté.
Choisis par l’Élysée, les successeurs de Serge Adda ne sont pas des professionnels de la télévision (l’ancien ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon est un haut fonctionnaire) ou bien ils connaissent mal la francophonie (François Bonnemain, nommé en avril dernier pour finir le mandat d’Aillagon démissionnaire et reconduit pour cinq ans le 28 juin, est un ancien journaliste passé à la communication politique). Les deux hommes ont été par ailleurs impliqués dans l’élaboration de France 24, le premier en tant que ministre de la Culture, le second comme conseiller de Jean-Pierre Raffarin. Il n’en faut pas plus aux catastrophistes pour dire qu’on tente de tuer TV5 à petit feu
Dans ce contexte, bien malin qui pourrait dire où en sera TV5 dans dix ans. En augmentant de manière substantielle leur participation, les partenaires de la France pourraient aider à lui redonner un nouvel élan. Il faudra alors moderniser encore, être présent sur les téléphones portables, généraliser le sous-titrage afin d’être accessible à tous, notamment en Asie, continent qui comptera 60 % des foyers télévisés en 2010 Bref, il faudra avoir une réelle vision pour « cette idée utopique et géniale, réalisée à force de pragmatisme », comme le dit Marie-Christine Saragosse.
Les décisions rapides prises depuis un an (changement de nom et de logo, déménagement coûteux) et la valse des présidents ne sont pas de bon augure. Mais François Bonnemain a été mieux reçu par les syndicats que son prédécesseur Jean-Jacques Aillagon, et il faut lui laisser le temps de faire ses preuves. Surtout, TV5 reste un outil très précieux pour l’influence de la Francophonie dans le monde. Le jour où le péril sera véritablement en la demeure, il est certain que les autorités de l’Hexagone réfléchiront à deux fois avant de le sacrifier.
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