Guinée : l’opposition suspend sa participation au dialogue politique et menace de reprendre les manifestations
L’opposition guinéenne a suspendu ce jeudi sa participation aux réunions du comité de suivi de l’accord politique du 12 octobre 2016, jugeant notamment la mouvance présidentielle « fermée à toute solution de sortie de crise ». Un retour aux manifestations est prévu dès le 14 mai.
L’opposition guinéenne vient d’opérer une importante volte-face. Le 10 mai, son chef de file, Cellou Dalein Diallo a annoncé la suspension de sa participation aux réunions du comité de suivi de l’accord politique du 12 octobre 2016, signé avec le pouvoir. « Malheureusement, nous sommes obligés de suspendre notre participation », a annoncé le président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) lors d’une conférence de presse.
L’opposition guinéenne menace également de reprendre ses manifestations dès le 14 mai, notamment par une journée « ville-morte ». Enclenché après les élections communales du 4 février dernier, dont elle conteste les résultats publiés par la Commission nationale indépendante (Ceni), ce mouvement de protestation avait été suspendu par l’opposition après la rencontre entre Cellou Dalein Diallo et le président Alpha Condé, le 2 avril dernier.
Au cours de ce tête-à-tête au sommet, les deux interlocuteurs avaient convenu d’aplanir leurs différends par le dialogue. « Nous suspendons nos manifestations en attendant de voir si les engagements pris seront respectés », avait alors confié Cellou Dalein Diallo à Jeune Afrique.
« La mouvance devenait fermée à toute solution de sortie de crise »
Une condition qui n’aurait pas été respectée, selon l’opposition. Un peu plus d’un mois après cette rencontre, celle-ci a donc suspendu sa participation aux réunions du comité. Présidé par Bouréma Condé, le ministre de l’Administration du territoire et de la décentralisation, et composé des représentants de l’opposition, de la mouvance présidentielle, de la société civile et de la communauté internationale, ce comité veille à l’application des différentes clauses de l’accord politique du 12 octobre 2016. Un texte notamment chargé de déboucher sur une solution à la crise née de la proclamation des résultats des élections communales du 4 février 2018.
La délégation du RPG était plus arrogante, fermée au dialogue et menaçante : “Si vous le voulez, manifestez toute l’année mais nous ne bougerons pas. On ne peut pas modifier les résultats !”, déplore Cellou Dalein Diallo
« Tout le monde semblait être animé d’une volonté sincère d’aller vers une solution de sortie de crise. Mais au fur et à mesure que le débat évoluait, la mouvance présidentielle devenait fermée à toute solution de sortie de crise », constate Cellou Dalein Diallo, avant de renchérir : « Les partenaires techniques et financiers ont constaté qu’on n’évoluait pas. Ils ont décidé de s’impliquer en faisant des propositions systématiquement rejetées par la mouvance. La délégation du Rassemblement du peuple de Guinée [RPG Arc-en-ciel, au pouvoir], était plus arrogante, fermée au dialogue et menaçante : “Si vous le voulez, manifestez toute l’année mais nous ne bougerons pas. On ne peut pas modifier les résultats !” Le président du comité de suivi [Bouréma Condé], qui devait être au-dessus de la mêlée, s’est lui-même radicalisé en disant : “On ne touchera pas aux résultats !” »
Reprendre les élections dans les circonscriptions problématiques est la solution la plus rationnelle possible. Lorsqu’un match est contesté, on le rejoue », affirme Amadou Damaro Camara
Du côté de la mouvance présidentielle, le président du groupe parlementaire du RPG, Amadou Damaro Camara, soutient en effet qu’il n’est pas possible de modifier ces résultats, déclarés définitifs par la justice. Toute solution de sortie de crise passe nécessairement, selon lui, par la « reprise des élections dans les circonscriptions où les résultats ont été contestés, ce que refuse l’opposition. […] On peut même les faire surveiller par la communauté internationale. Même dans cette hypothèse, les militants de l’opposition voteront toujours pour elle ! C’est la solution la plus rationnelle possible. Lorsqu’un match est contesté, on le rejoue ».
L’opposition victime d’un acharnement de la justice ?
L’opposition justifie également la suspension de sa participation au comité par un certain « acharnement » de la justice dont elle serait victime. « Nous avons 107 prisonniers parmi des militants et responsables de l’UFDG », énumère Cellou Dallein Diallo, dont les membres de sa coalition ont été arrêtés lors des affrontements post-électoraux entre les villes de Kalinko (Dinguiraye) et Maréla (Faranah), en Haute-Guinée, et de Linsan (Kindia), en Basse-Guinée. « Il y a eu une réconciliation à Linsan entre les différents militants qui se sont bagarrés. Le juge a accordé une liberté provisoire à 25 détenus mais le procureur Kanté s’y est opposé ».
Autre responsable de l’UFDG dans le collimateur de la justice, le député Ousmane Gaoual Diallo. « Le ministre Damantang Albert Camara [porte-parole du gouvernement] a porté plainte contre lui [fin mars] et le ministre de la Justice a écrit à l’Assemblée nationale pour demander la levée de son immunité parlementaire. Les ministres jouissent d’un privilège de juridiction et d’une impunité totale, personne ne peut les interpeller. L’opposition s’est pourtant battue pour l’installation de la Haute Cour de justice, en vain… », déplore Cellou Dalein Diallo.
Autant de griefs qui justifient, selon l’opposition, la suspension de sa participation aux réunions du comité. Pour le président du groupe parlementaire du RPG, une interrogation reste à éclaircir : « L’opposition, au prétexte du contentieux électoral, compte-t-elle quitter purement et simplement le comité de suivi, ce qui impliquerait la suspension des débats autour de la loi sur la Ceni, ou encore l’examen du fichier électoral ? »
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