Abdelaziz Mathari
Le premier banquier de la Tunisie indépendante est décédé le 20 mai à Tunis, à l’âge de 81 ans.
Depuis quelque temps déjà, ton état clinique ne laissait guère espérer de rétablissement. Tu comptes désormais parmi les pionniers de la Tunisie nouvelle disparus. Après un demi-siècle d’activité continue, commencée avant même l’indépendance du pays en 1956, et concernant tous les aspects de la vie économique et financière, tu laisses derrière toi un bilan précieux et enviable.
Diplômé de l’école des Hautes études commerciales (HEC) de Paris, tu démarres ta vie active en 1950, en Suède, par un stage de dix-huit mois à la Stockholm’s Enskilda Bank. Une expérience qui forge tes exigences sur l’éthique du métier de banquier, que tu n’as cessé d’afficher tout au long de ta carrière. À ton retour, chef de cabinet d’Habib Bourguiba, Premier ministre lors de l’autonomie interne (1955-1956), tu te vois confier, dès l’indépendance, l’exaltante mission de créer une banque nationale. Tu réussis à inculquer à ton équipe, dont j’ai eu le plaisir de faire partie, une motivation et un dynamisme extraordinaires. Dès l’ouverture de ses premiers guichets le 26 mars 1958, la Société tunisienne de banque (STB) envahit littéralement le pays. Au terme de son premier exercice, la STB devient, et le demeure encore à ce jour, la première banque de Tunisie tous critères confondus (capitalisation, dépôts, engagements, bilan…).
Dès sa naissance, la Société est fondamentalement tunisienne, par son capital (public et privé), son personnel et son management. Toutes les forces vives du pays ont accès à ses interventions même si l’encouragement des investisseurs étrangers est aussi l’une de ses actions prioritaires. La création de la STB, grâce à la confiance que tu as su inspirer et qui ne s’est jamais démentie pendant toute la durée de ta présidence (1957-1970), a eu, sans nul doute, une influence considérable sur l’évolution économique et financière du pays.
Elle a très rapidement été en mesure de gérer les programmes d’aide au financement de PME tunisiennes qui, aujourd’hui, représentent une bonne partie du tissu industriel national. Elle a également largement contribué à la mobilisation de l’aide publique extérieure pour la création de grands ensembles industriels. En visionnaire affranchi, tu as su positionner la banque sur des opérations sectorielles stratégiques, comme le tourisme à Hammamet et à Djerba. Tu as été à l’origine de la création de la SNI (Société nationale d’investissement), dédiée au financement à moyen et long terme, et de bien d’autres institutions comme Cofitour (pour le financement de projets touristiques) et l’Union internationale des banques (UIB).
Après plus de vingt ans de vie de bâtisseur à la STB, tu as tenté quelques expériences à l’étranger, sans te détourner toutefois de ta vocation de base : la lutte contre le sous-développement. Une première expérience t’a conduit à Genève pour la création de la Sifida (Société financière de développement pour l’Afrique). Une deuxième au Koweït, où tu as entrepris avec succès la création de la Compagnie d’assurances arabe.
En 1977, Habib Bourguiba te propose de devenir son nouveau ministre des Finances (1977-1980), un poste où tu n’avais certes plus grand-chose à apprendre, mais beaucoup à apporter. Dans cette activité débordante, je t’admire d’avoir toujours su trouver le temps pour cultiver ton « coquelicot de Mouloudji », une passion sans borne : la mer et la voile. Pour cela aussi, tu savais associer l’utile à l’agréable, et si demain l’île de Zembra prenait une dimension internationale en matière de sports nautiques, tu en auras sûrement été le précurseur. Ce qui ressort le plus de ta personnalité hors du commun, c’est ton attachement à la seule valeur qui en vaille la peine – la relation humaine. Tu la pratiquais avec ferveur et conviction. Tous tes amis – ils sont nombreux – te pleurent aujourd’hui aux côtés de ta famille avec beaucoup de tristesse et d’affection.
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