RDC – Juge Mbuyi : « Tout laisse à penser que ceux qui ont tenté de m’assassiner appartenaient à la Garde républicaine »

Après onze mois de soins intensifs à la suite d’une tentative d’assassinat à Lubumbashi, le juge Jacques Mbuyi est sorti de l’hôpital début juin. Le magistrat revient sur cette agression et incrimine le régime de Kinshasa. Témoignage.

Le juge congolais Jacques Mbuyi a été victime d’une tentative d’assassinat le 18 juillet 2017 à Lubumbashi. © DR

Le juge congolais Jacques Mbuyi a été victime d’une tentative d’assassinat le 18 juillet 2017 à Lubumbashi. © DR

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Publié le 8 juin 2018 Lecture : 5 minutes.

Il revient de loin. « C’est une résurrection », reconnaît le miraculé, à l’autre bout du fil. Dans la nuit du 18 au 19 juillet 2017, Jacques Mbuyi, 50 ans, a été victime d’une tentative d’assassinat à Lubumbashi, dans le sud de la RDC. Magistrat depuis 23 ans, il devait se pencher le lendemain, et en sa qualité de président de chambre au tribunal de grande instance, sur l’audience en appel d’une affaire opposant un mystérieux ressortissant grec, Emmanouil Stoupis, à Moïse Katumbi. Il en est convaincu : « Lorsqu’on y regarde de près, on se rend vite compte que mon agression est liée à ce dossier. »

Après trois mois dans le coma et près d’une année de soins intensifs, le juge Mbuyi garde toutefois en mémoire les moindres détails de cette nuit cauchemardesque, dont il livre le récit à JA.

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« Il était autour de 23 heures et je me trouvais dans ma chambre, avec mon épouse, en train de regarder la télé. J’ai entendu un bruit dehors, et j’ai tiré les rideaux pour voir ce qu’il se passait. J’ai été surpris de constater que ma parcelle était envahie de militaires. Je me suis vite retourné pour avertir ma femme. Mon premier réflexe a été de prendre mon téléphone pour alerter le général [Paulin] Kyungu, le commandant de la police dans la province. Mais il n’a pas répondu. J’ai alors appelé l’avocat général et le président de mon tribunal.

Ils ont pris des bouteilles et me les ont cassées sur le visage

Dans les minutes qui ont suivi, des militaires ont défoncé la porte et se sont introduits dans la maison. Je suis d’abord allé me cacher dans la salle de bain, mais je me suis vite livré lorsqu’ils sont rentrés dans ma chambre. Trois militaires armés m’ont immédiatement braqué et ont exigé que je leur donne de l’argent. J’ai ouvert mon portefeuille mais il n’y avait que quelque 150 dollars américains. Apeurée, ma femme s’est précipitée pour leur donner sa boîte à bijoux, mais ils l’ont repoussée… Ils ont commencé à me donner des coups de crosse, puis ils m’ont entraîné dans le couloir jusqu’au salon. Ils ont pris des bouteilles dans le bar qui s’y trouve et me les ont cassées sur le visage. »

Touché par cinq balles sur treize tirées

« Ils ont ensuite essayé de me faire sortir du salon. Un membre du groupe, resté derrière, leur a alors donné un ordre en lingala : « Beta moto oyo masasi, azo tosa mokonzi te ! » « Tirez sur ce monsieur, il ne respecte pas l’autorité ». Le temps de dire « pardon », ils avaient déjà ouvert le feu sur moi. Ils tiraient à deux mètres de moi. Je me vois encore dire à mon épouse : « Florence, on m’a tué, garde les enfants. » Puis, je me suis évanoui. »

Cinq balles atteignent le juge à l’abdomen, huit autres échouent dans le mur du salon. Sa femme et ses quatre enfants (une fille de 17 ans et trois garçons) sont malmenés, « très violentés ». Lorsque nous lui demandons si ces violences sont allées jusqu’à des agressions sexuelles, Jacques Mbuyi éprouve subitement du mal à poursuivre son témoignage. Sa voix devient hésitante ; « Retenez juste qu’ils nous ont maltraités chez nous : ils se sont comportés en sauvages, c’était sadique », lâche-t-il seulement.

Le juge congolais Jacques Mbuyi pendant son hospitalisation en Afrique du Sud. © DR

Le juge congolais Jacques Mbuyi pendant son hospitalisation en Afrique du Sud. © DR

Mes agresseurs s’étaient organisés pour nous empêcher d’alerter les secours

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Comment a-t-il survécu ? « Grâce à mon épouse », répond sans hésiter le magistrat. « Elle a été très brave, elle n’a pas paniqué. Dès que les militaires ont quitté la parcelle, elle est allée chercher son véhicule. Mais mes agresseurs s’étaient organisés pour nous empêcher d’alerter les secours : ils avaient emporté les deux clés de contact de nos véhicules, nos portables ainsi que le téléphone fixe de la maison. Heureusement qu’un de mes quatre enfants gardait toujours une autre clé sur lui. Dans les 15 minutes qui ont suivi, j’ai donc pu être évacué vers l’hôpital du Cinquantenaire. »

Qui a voulu tuer le juge Mbuyi ?

Aujourd’hui, la victime n’a aucun doute sur l’identité de ses agresseurs. « Tout laisse à penser que c’était des soldats de la Garde républicaine, accuse-t-il. Assurés de l’impunité, ces soldats n’avaient même pas pris la peine d’opérer incognito : ils portaient leur tenue militaire. Après avoir maîtrisé ma sentinelle, ils ont tué mon chien. Puis ils ont tiré sur moi et se sont repliés vers la résidence du président Joseph Kabila ».

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À l’en croire, des policiers qui les avaient pris en chasse ont dû « rebrousser chemin » lorsqu’ils ont vu « le véhicule de couleur blanche » pénétrer dans cet « espace présidentiel », boulevard Kamanyola. « Drôle de coïncidence : le chef de l’État séjournait à Lubumbashi au moment des faits », ironise Jacques Mbuyi.

Je savais que le dossier était très politisé et que la justice était instrumentalisée

« Alors que le médecin insistait pour que je sois transféré d’urgence à l’étranger pour des soins appropriés – j’étais sous perfusion sanguine permanente –, le ministre de la Justice, Alexis Thambwe Mwamba, a dépêché sur place son conseiller pour m’interdire de quitter le pays, poursuit-il. J’étais en train de mourir, mais toutes les autorités politiques et judiciaires qui défilaient à l’hôpital ne faisaient que harceler ma femme sur le prétendu lien entre Moïse Katumbi et moi. Je n’ai pourtant aucune relation particulière avec l’ancien gouverneur du Katanga. »

« Appelé à instruire en appel l’affaire [opposant Stoupis à Katumbi, ndlr], j’avais simplement expliqué à mes collègues que je ne céderais à aucune pression. Après ce qu’il s’était passé avec la première juge, je savais que le dossier était très politisé et que la justice était de plus en plus instrumentalisée par le pouvoir pour condamner des opposants [après avoir condamné Moïse Katumbi à trois ans de prison, Chantal Ramazani avait déclaré qu’elle avait rendu son jugement sous la pression]. »

Actuellement en convalescence à Johannesburg, le juge affirme n’avoir reçu aucun soutien de la part de l’État congolais. Il continue de craindre pour sa sécurité et pour celle de sa famille, même si son épouse et ses quatre enfants l’ont entre-temps rejoint. Avec l’aide de l’Institut de recherche en droits humains (IRDH), qui suit son cas de près, mais aussi le soutien d’Amnesty International, il espère obtenir l’asile en Afrique du Sud. En attendant, le juge Mbuyi apprend à vivre malgré les séquelles de son agression.

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