Tunisie : pourquoi la Grande-Bretagne finance des campagnes médiatiques dans le pays
Les récentes révélations du Guardian, sur le financement britannique d’une campagne médiatique en faveur des réformes économiques du gouvernement tunisien, ont eu l’effet d’un coup de tonnerre dans le pays. La pratique ne date pourtant pas d’hier. La Grande-Bretagne a multiplié les actions de ce type depuis l’attentat de Sousse de 2015.
Les réformes économiques de la Tunisie ont-elles bénéficié d’une campagne en leur faveur, financée par le gouvernement britannique ? D’après les révélations du quotidien britannique The Guardian, qui publiait l’affaire le 2 juillet, le gouvernement britannique aurait financé une agence de publicité, M&C Saatchi, pour le compte des autorités tunisiennes, afin de réaliser une campagne médiatique favorable aux réformes économiques impopulaires, encouragées par le FMI, qui avaient déclenché une vague de manifestations en janvier dernier. Le tout, dans le but d’obtenir l’adhésion de l’électorat tunisien. Pour le journal britannique, l’objectif était de prévenir un éventuel soulèvement, les jeunes ayant été les leaders du mouvement social survenu au début de l’année, suite à l’augmentation des prix et à l’introduction de nouvelles taxes.
L’argent pour la campagne provient du Fonds secret pour les conflits, la sécurité et la stabilité (CSSF). Créé sous la houlette de plusieurs institutions – telles que le ministère de la Défense, le département du Développement international, le Bureau de l’Intérieur, ainsi que le bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth – ce fonds permet à la Grande-Bretagne d’agir sur des territoires où la sécurité de son pays et ses intérêts internationaux sont directement menacés. Le but : « Protéger la Grande-Bretagne du terrorisme, de la corruption, du trafic et de l’immigration illégale. »
Le signe d’une ingérence ?
Très vite, la révélation a enflammé les réseaux sociaux. Des internautes y ont par exemple vu une preuve d’ingérence. La présidence du gouvernement tunisien a, elle, été obligée de démentir l’existence « d’une campagne médiatique contre les manifestations ».
Du matériel pédagogique sur les finances publiques, ou des sujets comme la caisse de compensation, a bien été financé par la Grande-Bretagne », confirme Iyed Dahmani
« Le ton de l’article du Guardian fait en effet frissonner. Mais il n’y a rien d’incroyable derrière », précise ainsi à Jeune Afrique Iyed Dahmani, le porte-parole du gouvernement. Et reconnaît facilement : « Du matériel pédagogique sur les finances publiques, ou des sujets comme la caisse de compensation, a bien été financé par la Grande-Bretagne. »
Qu’en est-il réellement ? La campagne en question, Nheb Nkadem, est présentée sur Facebook comme « une initiative gouvernementale qui vise à sensibiliser les Tunisiens et Tunisiennes à l’égard des grandes réformes auxquelles fait face la Tunisie. » La page Facebook, qui propose des petites vidéos et des textes abordables sur des questions monétaires notamment, est accolée au site gouvernemental : www.reformes.gov.tn/.
Le CSSF a-t-il réellement financé cette campagne, et a-t-elle été conçue par M&C Saatchi ? « Je crois qu’il s’agit en effet de cette entreprise, avec des partenaires tunisiens, qui ont conçu la campagne », indique une source ministérielle. L’entreprise britannique, elle, décline les demandes de précisions.
Des propos qui rejoignent ceux de l’ambassadrice britannique à Tunis qui, elle aussi, renvoie l’affaire à une simple coopération entre les deux pays. Louise De Sousa a affirmé sur les ondes d’Express FM que cette assistance s’inscrivait bien dans le cadre d’accords entre les deux gouvernements.
Selon elle, il ne s’agit en aucun cas d’une ingérence dans les affaires intérieures de la Tunisie. C’est uniquement à la demande du gouvernement tunisien – à la recherche d’une assistance pour mener une telle campagne -, que les Britanniques se sont, d’après elle, adressés à l’agence MC & Staachi.
La stabilité comme marotte
Le CSSF est en effet bien actif en Tunisie. Sur Internet, on trouve ainsi des exemplaires de deux programmes (1 ; 2) mis en place d’avril 2017 à mars 2018, pour un budget total de 8, 5 millions de livres britanniques. Un financement visant à offrir un soutien « à la bonne gouvernance et au développement économique » mais aussi « dans la lutte contre l’extrémisme et le contrôle des frontières. »
La Grande-Bretagne est reconnue pour être l’un des leaders mondiaux en matière de sécurité et de communication stratégique », indiquent les documents
Les documents posent eux-mêmes la question : « Pourquoi l’aide de la Grande-Bretagne est-elle nécessaire ? » Et apportent la réponse en invoquant les attentats de Sousse de 2015, durant lesquels 31 citoyens britanniques ont perdu la vie. Les mêmes documents détaillent les enjeux de la mission et indiquent que « les services de communication du gouvernement britannique s’assureront que le gouvernement tunisien ait la capacité de communiquer efficacement avec la population, particulièrement lors de périodes de crise et de grandes réformes économiques ». Les documents mettent notamment en exergue un savoir-faire britannique : « La Grande-Bretagne est reconnue pour être l’un des leaders mondiaux en matière de sécurité et de communication stratégique ».
Un document similaire portant sur des programmes pour l’ensemble de l’Afrique du Nord souligne ce qui semble être le leitmotiv britannique : « maintenir une région stable à la frontière de l’Europe. »
Londres à l’offensive
Ce n’est pas la première fois que Londres offre des conseils en communication au gouvernement tunisien. D’autres institutions que le CSSF mettent la main à la pâte et finances des programmes. En février 2015, au lendemain des attentats de Sousse, le gouvernement britannique avait envoyé des experts en communication pour animer des programmes d’entraînement destinés aux agents du gouvernement tunisien. Au total, 30 officiels travaillant au sein de huit différents ministères ont participé à ce programme de communication de crise, d’une durée de cinq jours, délivré à l’ambassade britannique en Tunisie.
Et le pays maghrébin n’est pas le seul concerné. En août 2017, le journal The Times révélait qu’une unité du Premier ministère envoyait des spin doctors en Algérie, en Égypte ou encore en Jordanie, ex-colonie britannique, pour des services de conseil en gestion de crise. On retrouve aussi des programmes du CSSF au Maroc et en Algérie.
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