Rhissa Ag Boula : la fin d’un baroudeur ?

Accusé de complicité de meurtre, le ministre du Tourisme et de l’Artisanat, qu’on pensait inamovible, a démissionné, avant d’être incarcéré.

Publié le 1 mars 2004 Lecture : 5 minutes.

Il a été membre du gouvernement sous le régime du président Ibrahim Maïnassara Baré, puis
sous la junte militaire de Daouda Mallam Wanké avant de servir Mamadou Tandja. Responsable du département du Tourisme et de l’Artisanat depuis le 1er décembre 1997, il a battu des records de longévité ministérielle dans une période tourmentée. Pourtant, Rhissa Ag Boula va certainement devoir mettre un terme à sa carrière politique : il a été inculpé le 19 février à Niamey et aussitôt placé sous mandat de dépôt. D’après l’avocat du prévenu, Me Moussa Coulibaly, le jugement en cour d’assises de son client interviendra au plus tôt dans deux ans. L’ex-ministre est accusé de complicité dans le meurtre d’Adam Amangué, président de section du Mouvement national pour la société de développement (MNSD, au pouvoir). L’homme a été abattu le 26 janvier de trois balles dans la tête à
Tchirozérine, près d’Agadez, dans le nord du pays, d’où est également originaire l’ex-ministre. Enlevé dans son véhicule tout-terrain alors qu’il sortait d’une réunion politique, Amangué a été retrouvé mort dans la brousse.
Pour accélérer les recherches, une récompense de 5 millions de F CFA (7 600 euros) a été promise par le gouvernement « pour tout renseignement susceptible de faire avancer l’enquête ». Trois membres du gang qui a éliminé Amangué ont été arrêtés dans les jours qui ont suivi le meurtre. Tous trois auraient désigné Rhissa Ag Boula comme leur « complice ». Tout en niant catégoriquement être impliqué dans ce meurtre, le ministre a préféré quitter de lui-même le gouvernement pour ne pas « gêner » le régime. « Je ne me reproche rien. Chaque fois qu’il se passe quelque chose dans le Nord, on y voit la main de Rhissa. Mais j’ai la conscience tranquille », a-t-il déclaré après sa démission.
Le départ d’Ag Boula, que l’on pouvait croire inamovible, est une petite révolution à l’échelle du gouvernement nigérien. Cette figure emblématique de la communauté touarègue faisait partie du paysage politique national et contribuait à améliorer l’image du pays à l’étranger.
Né en 1957 à Tchirozérine, ville charbonnière de l’Aïr située à 1 200 km au nord de Niamey, il fonde en 1983 Temet Voyages, la première agence d’Agadez, avec Mano Dayak, leader touareg mort en 1995. En 1991, alors que le pays vit au rythme consensuel de la Conférence nationale, il fait partie du petit groupe qui lance la lutte armée contre le pouvoir central. Celle-ci va durer quatre ans. Leader charismatique de la rébellion, il dirige le Front de libération de l’Aïr et de l’Azawagh (FLAA), dont le premier fait d’arme consiste en l’attaque d’un poste militaire à Aderbissinat, le 30 décembre 1991.
En 1993, le FLAA éclate en trois mouvements : le Front de libération du Tamoust (FLT), l’Armée révolutionnaire de libération du Nord-Niger (ARLNN) et le Front de libération de l’Aïr (FLA), que dirige Rhissa Ag Boula. Celui-ci participe aux négociations avec Niamey. Les pourparlers débouchent sur la signature d’un accord de paix définitif le 24 avril 1995. Deux ans plus tard, l’ancien rebelle fait son entrée au gouvernement, sans l’avoir vraiment choisi : « Comme je me trouvais dans le Nord, j’ai appris ma nomination le 5 décembre 1997, soit quatre jours après la formation du gouvernement, raconte-t-il. De toute façon, je ne pouvais pas refuser, le processus de paix en dépendait. »
Contraint de séjourner dans la capitale, le nouveau promu n’apprécie pas particulièrement le mode de vie sédentaire et s’offre une escapade dans le Ténéré dès que son agenda le lui permet. Il reconnaît avoir du mal à travailler dans un bureau, à se plier au protocole d’État : « Habiter Niamey, c’est le bagne ! » Ce qui ne l’empêche pas de s’investir sans retenue dans sa mission ministérielle. Véritable VRP de la « destination Niger », il va se faire l’ambassadeur du pays auprès des voyagistes européens. De foires en salons, toujours coiffé de son chèche touareg, il multiplie les déplacements pour convaincre ou rassurer les sceptiques. Dans un français hésitant, il parle avec passion des grands espaces où il a vu le jour. Il ira même jusqu’à relever le pari insensé lancé en 1998 par le styliste Alphadi : organiser dans les dunes de Tiguidit le premier Festival international de la mode africaine. « Il ne ménageait pas sa peine pour que les professionnels du tourisme se sentent bien au Niger, raconte Maurice Freund, le directeur de Point Afrique. Et il ne travaillait pas seulement pour sa région. Il s’est toujours attaché à développer une industrie touristique sur l’ensemble du territoire nigérien, y compris au Sud. »
À la suite de sa démission, le département de l’Artisanat a été rattaché au ministère du Commerce et de l’Industrie, et celui du Tourisme au portefeuille des Transports. Ce remaniement marque également l’entrée de Mohamed Anako comme ministre délégué auprès du ministre de l’Économie et des Finances, chargé de l’encadrement fiscal des collectivités locales et du secteur informel. Originaire de la même région que Rhissa Ag Boula, Anako s’opposa au chef du FLA lorsque la rébellion sévissait encore dans le nord du pays. Fondateur de l’Union des forces de résistance armée (Ufra), il se fit le porte-voix des rebelles touaregs réfractaires à l’application des accords jusqu’en novembre 1997. Sa nomination contribue à maintenir l’équilibre géopolitique au sein de l’équipe gouvernementale.
Pour l’heure, Rhissa Ag Boula n’a plus qu’à préparer sa défense… et prendre son mal en patience. « Je suis d’abord un guide saharien, j’ai besoin d’espace : c’est génétique », confiait-il quelques mois après son installation à Niamey, où il disait ne pas vouloir faire carrière. Ne cachant pas son envie de retourner vivre avec les siens, aux portes du Ténéré, le ministre évoquait ses projets dans le domaine de la lutte contre la désertification. « Et s’il me reste un peu de temps, j’aimerais bien écrire un livre pour raconter notre petite histoire », concluait-il alors. La petite histoire de Rhissa Ag Boula mérite certainement d’être écrite. Mais, qu’il soit innocent ou coupable, on se serait bien passé du dernier chapitre en date.

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