Lusafrica sur un nuage

Grâce aux albums de Cesaria Evora, mais aussi au prix d’une gestion rigoureuse, José da Silva a réussi à construire le premier label africain indépendant.

Publié le 24 mai 2004 Lecture : 4 minutes.

Le mois de février 2004 a été décidément l’un des plus euphoriques chez Lusafrica. Après avoir reçu trois semaines plus tôt le prix du Meilleur album contemporain de musiques du monde aux Grammy Awards, l’équivalent américain, en plus prestigieux, des Victoires de la musique, Cesaria Evora est remontée sur le podium du Zénith de Paris le 28 février. Avec, à ses côtés, son mentor, José da Silva, le bienheureux patron du principal label indépendant africain.
Ce Français d’origine cap-verdienne est né à Praia, capitale de l’archipel, en 1959. Huit jours après sa naissance, sa mère s’installe à Dakar avec son fils unique. En 1973, elle débarque à Paris pour travailler comme femme de ménage chez un dentiste. Comme elle rentre tard, son fils, seul, fait des virées nocturnes avec des amis. Il obtient quand même un BEP de comptabilité. Après quelques petits boulots, José entre à la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) où il devient aiguilleur. Entretemps, il s’est rapproché de sa communauté où, très tôt, ses capacités d’organisateur sont repérées. « Comme président de l’association des jeunes, nous avons monté un groupe, Sun of the Cap, raconte-t-il. J’étais à la fois producteur, manager et percussionniste. » L’aventure s’arrête en 1987.
C’est au cours d’un dîner à Lisbonne, dans le restaurant de Bana, un artiste cap-verdien, que José découvre, saisi de frissons, la voix de Cesaria Evora. Il l’invite à venir chanter pour la communauté cap-verdienne de Paris : un triomphe. « Pour la première fois, elle monte sur scène avec des chaussures, à cause du froid. Très vite, elle va s’en débarrasser. Le public les lui subtilise et les remplit de billets de banque. »
En 1988, grâce à l’argent des soirées, José da Silva entreprend de produire le premier disque de Cesaria. Il y engloutit ses économies et se fait « virer » de sa banque. Son audace séduit le conseiller financier de la banque d’en face. « Il avait lui aussi essayé de devenir producteur dans sa jeunesse. Il m’accorde un prêt de 20 000 FF. » José vendra trois mille vinyles de la Diva aux pieds nus. Fort de ce succès, il frappe à la porte des labels qui ont pignon sur rue. « Quand on voyait la photo de Cesaria, l’entretien coupait court. Pas très marketing ! »
Gilbert Castro, le patron de Mélodie, label parisien de référence en musique africaine, veut faire le coup du « tube de l’été » avec une musique cap-verdienne. Il accorde à José une avance pour produire un nouveau Cesaria. Ainsi voit le jour l’album Destino di belita, très « électrique », surtout destiné à la communauté. Mais, chez Mélodie, François Post, qui s’occupe de la promotion, croit davantage aux chansons acoustiques de la diva. Il obtient pour elle un concert au Festival des musiques métisses à Angoulême, en 1991. Pour la première fois, un public « extracommunautaire » l’écoute et s’enthousiasme pour ses morceaux plus roots. José da Silva réunit les musiciens dans un studio et, pendant deux nuits, enregistre. « Je lui ai demandé de chanter ce qui lui plaisait, comme au pays, dans les bars de Mindelo. »
Mar azul sort en octobre 1991. « Pour moi, c’est l’album le plus authentique de Cesaria. Il marque le début de sa carrière internationale. » Il s’en vendra 50 000 sous le label Lusafrica. « Je m’occupais de Lusafrica dans mon salon quand les enfants étaient à l’école. Une belle-soeur ingénieur sans emploi assurait la permanence. » En 1992, José da Silva démissionne de la SNCF et installe son entreprise à la porte de Pantin. Lusafrica se professionnalise. Miss perfumado (près de 800 000 exemplaires à ce jour) sera en 1993 le premier album effectivement produit, avec trois semaines de studio et le célèbre tube Sodade. Henri de Bodinat, alors patron de Sony, propose un chèque en blanc au producteur. Refus poli : « Les majors n’ont pas compris que c’était une artiste à part, qui ne se gérait pas comme une star du rock. En plus, Cesaria était devenue la grand-mère de la maison. » Seul BMG accepte le principe d’une licence et donne carte blanche à Lusafrica pour le volet artistique.
Aujourd’hui, Cesaria représente entre 35 % et 40 % du chiffre d’affaires du label. Et les ventes de ses albums ne se sont jamais aussi bien portées. Après son Grammy Award, elles ont progressé de près de 300 % à l’international. En quelques années, Cesaria a vendu plus de 4 millions de disques dans le monde. Le marché de Lusafrica se répartissant principalement entre la France (50 %), les États-Unis (30 %) et le Cap-Vert (10 %).
Après une forte croissance, Lusafrica perd toutefois de l’argent depuis trois ans. Car l’essentiel des bénéfices générés par Cesaria a financé les « délires artistiques » de José. « J’ai produit beaucoup d’artistes par coup de coeur, ce qui a englouti beaucoup d’argent. » Rattrapé par la réalité économique, José a réduit le catalogue et changé de bureaux. Le Cap-Vert ne représente plus que 30 % du catalogue. D’une dizaines de personnes, la société a ramené ses effectifs à quatre agents permanents qui ont « appris à tout faire ». Les finances sont assainies.
Principale faiblesse des labels africains, la gestion a toujours été l’obsession de José da Silva, qui ne laisse aucune place à l’informel et au « ghetto ». Il a aussi investi pour diversifier ses activités. Du repérage d’un artiste à la mise en rayons du disque, Lusafrica, qui emploie une vingtaine de personnes sur trois continents, s’est dotée de structures adéquates (voir encadré). Le chiffre d’affaires oscille entre 2,5 et 3,5 millions, en fonction des sorties de disques de Cesaria.
En 2004, Lusafrica devrait renouer avec les bénéfices, grâce à une croissance de plus de 30 % de son chiffre d’affaires. Voz d’Amor, le dernier album de Cesaria, s’est déjà écoulé à plus de150 000 exemplaires en France. Des marges de progression existent par ailleurs. Grâce notamment aux deux cents références et à un fonds de deux mille titres en circulation qui font de José da Silva un producteur heureux.

Cesaria Evora, Voz d’Amor, Lusafrica, 2003.

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