Najat Belkacem, la vie en rose

Mue par une volonté de fer, la jeune porte-parole de Ségolène Royal assume à la fois sa filiation marocaine et son intégration à la société française.

Publié le 19 mars 2007 Lecture : 6 minutes.

« On ne se rend pas compte d’où on est partis » Dans son cagibi du QG de campagne, boulevard Saint-Germain, où les câbles d’ordinateurs s’enchevêtrent sous des tréteaux et où les téléphones ne cessent de sonner, la toute nouvelle porte-parole de Ségolène Royal pour la présidentielle française évoquait le chemin parcouru par la candidate socialiste. Soudain, elle s’interrompt dans un sourire. Sans doute consciente que cette phrase s’applique bien évidemment avant tout à elle, à ses origines et aux vingt-neuf années du parcours fulgurant dont elle a franchi les obstacles à la volée.
De Beni Chiker, le village du Rif marocain, proche de Nador, où elle est née et où elle a passé les cinq premières années de sa vie, Najat n’a conservé qu’une poignée d’images « déchirantes » : celles du départ en exil de sa famille, « regroupée » en 1982 dans le nord de la France autour de son père, un immigré économique devenu ouvrier dans le bâtiment. Dans la fratrie des Belkacem – ils seront bientôt sept frères et surs -, il s’agit d’abord, tout simplement, d’apprendre le français. La sur aînée de Najat, aujourd’hui avocate, montre le chemin. C’est elle qui, la première, fera en famille la promotion de l’« école républicaine » comme le meilleur moyen de progresser dans ce quartier populaire de la banlieue d’Amiens dont Najat se contente de dire qu’il était « sans grande mixité sociale ».
Les enfants Belkacem comprennent vite la leçon : lycée pour les plus jeunes, classes préparatoires aux grandes écoles, écoles de journalisme, de commerce ou de théâtre pour les autres. Les parents n’imposent rien. Ils respectent les exigences de leurs enfants et les aident à grimper dans le seul « ascenseur social » dont ils disposent : cette école laïque et républicaine à laquelle Najat a conservé toute sa reconnaissance. Elle décroche sa licence en droit « sans perspectives professionnelles particulières », apprend, sur le tard, l’existence de l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris et se présente, à tout hasard, au concours d’entrée. Jackpot ! Les portes de la vénérable maison de la rue Saint-Guillaume s’ouvrent à la petite « Beurette ».
Serait-ce le signe que le poids culturel des origines et du conditionnement social ne pèse que sur des cancres ? Najat le conteste. Toute brillante élève qu’elle fût, elle n’en a pas moins ressenti elle aussi ce « complexe de l’imposteur » qui lui faisait douter d’être à sa place parmi les rejetons des élites nationales préparés en famille, depuis leur plus jeune âge, à leur futur statut de dirigeant. Deux fois admissible à l’écrit de l’ENA, elle échoue deux fois à l’oral, non parce que, dit-elle, les examinateurs avaient manifesté quelque ostracisme que ce soit à l’égard de son minois manifestement méditerranéen, mais parce qu’elle-même s’était mal préparée aux épreuves, se sentant trop « neuve » dans sa société d’accueil et empêchée d’« y croire » par la certitude qu’il lui manquait encore un « je-ne-sais-quoi » pour prétendre à une place dans la fonction publique française. D’où, peut-être, la force de conviction qui est la sienne, dix ans plus tard, quand elle déclare partager avec Ségolène Royal la volonté de « proposer un projet de société cohérent qui s’adresse à tous les Français, mais dont les jeunes des quartiers seront les premiers bénéficiaires virtuels ».
Contrairement à ce qui lui est souvent reproché dans la presse ou dans les blogs, très bavards à son sujet, Najat est tout sauf une « Marocaine honteuse » ou une « immigrée d’occasion » qui ferait clignoter une identité à éclipses au gré de ses ambitions. Elle assume, sans chichis, et sa filiation marocaine et son intégration dans la société française. Elle se réjouit des progrès réalisés par son pays d’origine – avec, par exemple, le nouveau statut de la femme accordé par le roi. Elle ne jette pas non plus le voile sur son appartenance à l’islam. Najat se dit croyante, affirme participer, en famille, aux principales fêtes religieuses, et n’être, « à titre personnel, choquée ni par le port du foulard ni par la création d’écoles confessionnelles ».
Mais, de tout cela, elle fait « une affaire privée » qui ne télescope aucunement ses engagements politiques socialistes et républicains. Rien ne l’irrite donc davantage que l’existence dans les médias de ce « rayon beur » qui lui vaut de voir son image systématiquement accolée à celle de son homologue de droite Rachida Dati, dont tant de choix la séparent. Najat revendique sa propre personnalité, et, comme principale réussite, d’avoir su réaliser un équilibre entre son appartenance, ses valeurs et son action. Pourquoi se laisserait-elle emprisonner par le conformisme des autres ? « Bien des choses me définissent davantage que mes origines, comme, par exemple, mon parcours et la manière dont j’ai mené ma vie. Entre l’inné et l’acquis, j’ai toujours privilégié le second. »
Sciences-Po est pour Najat le lieu des rencontres. Celle de son futur mari, aujourd’hui jeune sous-préfet dans le Sud-Ouest. Celle de la vie politique : militante associative, elle décroche le « job étudiant » dont elle a besoin en devenant l’assistante parlementaire de la députée socialiste Béatrice Marre. « Avec elle, j’ai découvert le fonctionnement de l’Assemblée nationale, mais aussi les vicissitudes du métier d’élu, noyé dans les sollicitations, souvent discrédité, bref, pas vraiment enviable » Comme on peut le comprendre d’un coup d’il, les « quinquagénaires blancs » qui tiennent le haut du pavé en politique ne marchandent pas leurs compliments à Najat. Résultat : celle-ci ne cessera plus désormais de dénoncer « la faible présence des femmes à leur rôle » et le machisme ambiant. « Y compris au sein du Parti socialiste [PS] ? » Les cils battent timidement, mais la réponse est claire : « Oui. »
Rencontre, enfin, avec la femme de Gérard Collomb. Celle-ci la « branche » sur son mari, sénateur socialiste, qui remportera en 2001 les élections à la mairie de Lyon. Najat, qui commençait à se languir quelque peu dans un « travail monacal » au sein d’un cabinet d’avocats internationaux, saute sur cette nouvelle opportunité : en janvier 2003, sa carte du PS en poche (la fausse alerte lepéniste à la présidentielle de 2002 l’avait décidée à la prendre), elle se fait embaucher par le maire pour travailler sur les questions de démocratie participative. Lyon est réputé pour son chauvinisme séculaire, sa bourgeoisie hautaine, son sectarisme : pour Najat, qui la voit s’illuminer sous la neige le jour de son arrivée, la deuxième ville de France est tout simplement « féerique ! »
À partir de là, le mouvement s’accélère, dans un tempo dont on ne sait s’il doit son rythme à la chance ou à l’extraordinaire capacité de Najat à se saisir de la moindre aspérité pour poursuivre son ascension : en 2004, elle est candidate au dix-huitième rang sur la liste de Jean-Jacques Queyranne aux élections régionales. « Normalement, je n’aurais pas dû passer » Mais portée par la vague rose d’alors, elle est élue, et aussitôt présidente de la commission culture du conseil régional. En 2005, la voilà nommée par François Hollande conseillère nationale au PS. Jusqu’à ce défi, qu’on pouvait croire perdu d’avance, quand Najat se présente aux législatives de 2007 dans la 4e circonscription du Rhône, considérée comme « ingagnable » par la gauche. Encore une surprise : le député sortant UMP Christian Philip refuse le « parachutage » du ministre Dominique Perben qui briguait une victoire facile. Il se maintient et, du coup, la droite se divise, les espoirs de la gauche renaissent et Najat se retrouve sous les projecteurs, entre Saône et Rhône.
C’est là que « Ségolène Royal apparaît dans le paysage. Après mûre réflexion, je constate qu’elle incarne ce en quoi je crois et je m’efforce de le lui faire savoir. » Le 22 février dernier « au soir », l’affaire est faite : aux côtés d’Arnaud Montebourg et du député européen Vincent Peillon, la « petite Najat » intègre l’équipe de campagne socialiste comme porte-parole de la candidate.
Vous avez dit « Beurette de service » ? Najat répond, d’une voix égale : « Les médias restent marqués par les images du passé, avec un temps de retard sur la société civile. Moi, comme des millions d’autres, je suis en manque de débats de fond ! »

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