Le pagne et la caméra

La dernière édition du festival de Ouagadougou a révélé la percée des réalisatrices subsahariennes. Avec des films dénonçant sans concession les travers de leurs sociétés, ce qui n’est pas toujours sans risque…

Publié le 18 juillet 2005 Lecture : 4 minutes.

Les Africaines s’invitent de plus en plus dans les manifestations cinématographiques. Et pas pour faire de la figuration ! Elles étaient présentes avec une quinzaine de films à la 19e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), qui s’est tenue du 26 février au 5 mars 2005 et fêtait le cinquantenaire du cinéma africain. À croire qu’elles ont fait de l’image leur nouveau mode d’expression : « Nous ne sommes pas là comme simples accompagnatrices de nos maris, compagnons, frères ou autres », lâche la journaliste et réalisatrice béninoise Jemima Catraye, auteur de Yemadje, un documentaire qui dresse le portrait d’un des maîtres de la tenture par appliques au Bénin, François Yemadje, inquiet d’une possible disparition de son métier. « Nous sommes là pour montrer notre créativité. »
Un discours que soutient le délégué général de la manifestation, Baba Hama : « En Afrique, aux côtés de celles qui luttent pour assurer le quotidien, notamment sur les marchés ou dans les champs, il y a celles qui prolongent ce combat sur leurs bobines. Certes, les réalisatrices ne sont pas encore aussi visibles que leurs collègues hommes. Il incombe à un festival comme le nôtre de leur accorder la place qui leur revient. »
Quand les Africaines se lancent dans le cinéma, c’est pour évoquer les maux qui minent leur société. En toute liberté. La Togolaise Anne-Laure Folly réalise ainsi Femmes aux yeux ouverts (1994). Sa consoeur burkinabè Fanta Régina Nacro dira Puk Nini (Ouvre les yeux, 1995).
La Rwandaise Yolande Mukagasana, rescapée du génocide de 1994, a couché sur le papier son vécu, publiant successivement La Mort ne veut pas de moi (éditions Fixot, 1997), N’aie pas peur de savoir (Robert Laffont, 1999) et Les Blessures du silence (Actes Sud, 2001). Cette plume trempée dans le sang a son équivalent au cinéma. Les Oubliées (1996), d’Anne-Laure Folly, évoque le sort tragique des femmes dans les guerres intestines qui déchirent l’Angola. Peu de temps auparavant, la même Anne-Laure braquait les feux de ses projecteurs sur les Femmes du Niger entre intégrisme et démocratie (1993).
Cependant, l’oeuvre la plus audacieuse à ce jour est à mettre au crédit de la Burkinabè Fanta Régina Nacro. Son long-métrage La Nuit de la vérité, présenté en compétition officielle au dernier Fespaco, relate la guerre ethnique qui oppose Nayaks et Bonandés sur un territoire indéterminé d’Afrique (voir l’encadré). La réalisatrice dit avoir tourné ce film à partir d’une histoire vécue, qui ne serait autre que celle de son oncle, et en pensant au Rwanda ainsi qu’à tous les pays que menace cette folie sanguinaire. Le ton est dur, inhabituel chez une femme.
Dans Kounandi (La Personne qui porte chance), la Burkinabè Apolline Traoré met en scène une jeune naine rejetée de tous. Amoureuse d’un homme marié, elle fera tous les sacrifices nécessaires pour gagner le coeur de ce dernier. La tonalité était moins romantique dans The Price of Ignorance (Le Prix de l’ignorance), où, victime d’un viol à Boston, l’héroïne perd ses illusions sur une Amérique idéalisée. Dans son court-métrage Kare Kare Zwako-Mother’Day, la Zimbabwéenne Tsitsi Danarembga construit, autour d’un plat de termites, un superbe récit sur la sécheresse… et ses profiteurs. Alors que la Franco-Ivoirienne Isabelle Boni-Claverie nous conduit, avec Pour la nuit (2004), dans les méandres d’une histoire à l’humour quelque peu macabre, celle de deux enterrements pour une union – le premier étant celui de la mère de Muriel et le second celui de la vie de garçon de Samir. La rencontre entre les deux jeunes gens se déroule dans un Marseille filmé en noir et blanc.
On retrouve la couleur dans Valley of the Innocent, de la Germano-Nigériane Branwen Okpako. Eva Meyer, partie à la recherche de ses parents, nous plonge dans l’atmosphère de l’orphelinat où elle a grandi, avant que les archives de la police de l’ex-RDA lui livrent un verdict bouleversant. Pour la Nigérienne Rahmatou Keïta, il s’agit de rendre hommage, à travers Al’lèèssi, à sa compatriote Zalika Souley, l’une des premières comédiennes du continent. Après une période de gloire pendant les années 1960, cette dernière vit aujourd’hui dans la plus grande détresse à Niamey. De son côté, Valérie Kaboré aborde, en quinze épisodes, dans Ina, l’éducation des filles. Son héroïne de 18 ans rêve de devenir avocate. Son père, lui, la voit mariée, entourée d’une abondante progéniture. La réalisatrice offre la victoire à Ina, incarnée par une belle plante pleine de vie, Éliane Somé, 23 ans. Un encouragement à l’indépendance pour les milliers de jeunes filles qui se voient contraintes d’épouser le mari choisi par leurs parents.
Mariage forcé, polygamie, répudiation, excision, quand ce n’est pas droit de vote ou libre accès au crédit bancaire… Les femmes cinéastes s’attaquent aux réalités sociales avec constance et entêtement. Finie, aussi, la nuit des fausses pudeurs. Même si on n’a pas encore, au cinéma, l’équivalent des Ken Bugul ou Calixthe Beyala, ces romancières qui abordent sans gêne la sexualité.
Mais s’attaquer aux moeurs sociales n’est pas une entreprise sans risque. En 1995, la Tchadienne Mahamat Zara Yacoub essuie les foudres des « mollahs » de son pays après la sortie du Dilemme au féminin. Son audace ? Avoir révélé au grand jour les souffrances causées par l’excision. La Zimbabwéenne Ingrid Sinclair garde également un mauvais souvenir de son premier film, Flame (La Flamme, 1996) : bobines saisies lors du tournage, interdiction d’accès à certaines salles, etc. Il montre des femmes dans la lutte de libération de l’ancienne Rhodésie. Au-delà de la guerre, Ingrid présente le visage de combattantes décidées à ne pas se contenter du seul rôle de gardiennes du foyer. C’est ce regard très engagé qui déplaît. Ingrid Sinclair n’en démord pas pour autant. Corridors of Freedom, Limpolo Line et The Sanctions Debate dénoncent d’une voix singulière la situation économique et politique du Zimbabwe.

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