Serge Bilé: racisme ordinaire au Vatican

À deux semaines de la visite du pape Benoît XVI en Afrique, un essai de Serge Bilé relance la polémique sur la ségrégation raciale au sein de l’Église catholique.

Publié le 3 mars 2009 Lecture : 5 minutes.

« J’ai fait de la réhabilitation de l’image des Noirs un combat. » Après Noirs dans les camps nazis, La Légende du sexe surdimensionné des Noirs, Quand les Noirs avaient des esclaves blancs, Serge Bilé, qui passait pourtant pour un bon catholique, a publié en janvier Et si Dieu n’aimait pas les Noirs : enquête sur le racisme aujourd’hui au Vatican (éd. Pascal Galodé). Un ouvrage que le journaliste franco-ivoirien, actuellement en poste à RFO-Martinique, a coécrit avec un confrère camerounais, Audifac Ignace. Il suscite déjà une très vive polémique. Mgr Méranville, archevêque de Martinique, a appelé ses fidèles à ne pas acheter un ouvrage « stercoraire », adjectif qualifiant les espèces animales ou végétales se nourrissant d’excréments…  

Jeune afrique : Vous attendiez la première visite du pape Benoît XVI en Afrique pour sortir votre livre ?

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Serge Bilé : Non. J’ai rencontré Ignace Audifac lors d’une conférence à Rome début 2005. Nous partagions la même idée : écrire sur les trois papes africains de l’Histoire, Victor Ier (189-199), Miltiades (311-314), tous deux d’origine nord-africaine, et Gélase Ier (492-496), né à Rome de parents africains, alors que l’on commençait à évoquer l’idée d’un pape noir pour succéder à Jean-Paul II. Il m’a présenté quelqu’un qui nous a remis le télégramme envoyé par l’ambassadeur de Grande-Bretagne au Saint-Siège, sir d’Arcy Osborne, au commandement des forces alliées en 1944. Ce courrier demandait, sur requête de Pie XII, qu’aucun soldat noir ne soit déployé à Rome pour la libération. Cela nous a donné envie d’enquêter sur le racisme au Vatican à travers les siècles, ainsi que sur la vie des religieux africains dans la capitale italienne.

On doit néanmoins à Pie XII la nomination du Béninois Bernardin Gantin à la tête de l’évêché de Cotonou, faisant de lui le premier Noir à diriger, à 34 ans, un diocèse dans toute l’Afrique de l’Ouest…

C’est vrai. Mais cette nomination fut une réponse à la protestation d’un groupe de séminaristes antillais et africains, faisant leurs études à Rome, qui ont publié en 1956 un livre retentissant, Les prêtres noirs s’interrogent, pour dénoncer le manque de considération du Vatican à leur égard. En fait, Pie XII a toujours eu une attitude ambiguë. Quand il était nonce apostolique en Allemagne, il s’est associé à la campagne internationale de dénigrement, orchestrée par les nazis, de soldats noirs de l’armée française accusés d’être des violeurs et de répandre la syphilis. Ce n’est pas le seul pape à avoir eu des positions critiquables. Pie XI n’a lui, rien trouvé à redire aux lois raciales adoptées par Mussolini contre les Noirs en Italie et a fait marche arrière, après avoir dénoncé les exactions de l’armée italienne en Éthiopie, de peur de s’attirer les foudres du Duce.

Vous écrivez « l’Église est humaine jusque dans la curie ». La hiérarchie serait donc elle aussi minée par le racisme ordinaire ?

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Ce n’est pas moi qui le dis. C’est l’ancien secrétaire de Gantin, l’évêque béninois Paul Vieira. Voir un Noir gravir les échelons est difficilement accepté en Italie. Gantin, comme l’évêque zaïrois Emery Kabongo, secrétaire particulier de Jean-Paul II, ont subi l’hostilité de prélats et citoyens européens qui n’ont aucune considération pour les ecclésiastiques africains ou asiatiques. Certains ont reçu des insultes, des courriers xénophobes et ont même été agressés par des inconnus, comme Kabongo, dans un passé récent. Gantin avait confié que les prélats africains devaient en faire deux fois plus pour être reconnus.

Autre révélation de votre ouvrage : il y aurait une centaine de prêtres africains « clochards » à Rome…

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Ces prêtres, qui viennent compléter leur formation dans la capitale romaine, sont envoyés par leurs évêques avec une bourse qui suffit à peine pour payer leur nourriture et leur loyer. Ils sont amenés à faire des petits boulots, comme célébrer des messes dans les familles au détriment de leurs cours. Si bien que certains ne parviennent pas à finir leurs études et restent sans pouvoir renouveler leur carte de séjour.

Une cinquantaine de sœurs seraient également « en délicatesse avec leur vocation »…

Le sujet est tabou. Nous avons eu un mal fou à trouver des personnes qui ont bien voulu nous parler. Mais il y a effectivement des religieuses noires qui exercent le plus vieux métier du monde pour 50 ou 100 euros auprès d’hommes d’affaires mais aussi de prêtres blancs ou noirs. Cela pose le problème de la vocation. Beaucoup de filles entrent dans les ordres en Afrique pour échapper à la misère. Arrivées en Italie, elles se retrouvent souvent sans moyens, corvéables à merci. Elles ne résistent pas toujours aux avances d’un prêtre ou d’un évêque. Le Vatican n’est bien évidemment pas complice. Mais, dans certains cas, les autorités ferment les yeux. Il y a une filière congolaise que l’on peut difficilement ne pas connaître à Rome…

Vous dénoncez encore les discriminations quotidiennes à l’égard des religieuses et des prêtres africains…

Les sœurs noires sont souvent chargées des tâches ingrates quand leurs consœurs européennes se voient confier les fonctions administratives. Les prêtres africains qui enseignent dans les collèges catholiques mettent plus de temps à être titularisés que les Européens…

Pourquoi se murent-ils dans le silence ?

La peur des sanctions, le carriérisme…

On ne parle plus trop aujourd’hui d’africanisation des pratiques, d’acculturation…

C’est totalement vrai. On fait même marche arrière. Le pape vient de réintégrer toute la communauté de la fraternité Saint-Pie X, dont certains membres sont négationnistes. Tous sont opposés à Vatican II, qui a marqué l’ouverture de l’Église, notamment en matière d’acculturation, et la fin de la malédiction de Cham, utilisée pour justifier le racisme et l’esclavage des peuples d’Afrique noire. En réintégrant 100 000 intégristes, on les conforte dans leurs positions – n’oublions pas qu’ils frayent avec l’extrême droite en France et en Belgique – passéistes et intégristes. On peut se demander si le pape ne partage pas certaines de leurs idées quand on voit qu’il a remis au goût du jour la messe en latin et la prière de conversion aux juifs.

Benoît XVI a-t-il une politique ­africaine ?

J’espère que son voyage africain en mars nous permettra d’en savoir plus. Beaucoup pensent qu’il se désintéresse de l’Afrique et reste très centré sur l’Europe. Jean-Paul II s’est rendu treize fois sur le continent. On a presque l’impression que Benoît XVI y va à contrecœur quatre ans après son élection. Jusqu’à présent, son message s’est limité aux incantations habituelles contre la guerre ou le sida.

L’Afrique est pourtant le continent où la dynamique d’évangélisation est la plus forte…

C’est paradoxal, mais les Africains – qui ne comptent que quinze cardinaux contre quarante italiens – sont sous-représentés au sein de l’Église.

Avec l’élection d’Obama, on se remet à parler de pape noir…

Ce serait un symbole fort. Mais certains considèrent, comme feu le théologien camerounais Jean-Marc Ela, que cela ne change pas grand-chose, car les ecclésiastiques africains, à l’exception de certains, sont devenus plus romains que les Romains. Francis Arinze est, comme Benoît XVI, opposé à l’avortement, au préservatif et à l’ordination des femmes prêtres. Gantin l’était aussi.

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