Comment la France a mis la main sur l’uranium congolais

Lors de la visite de Nicolas Sarkozy en RD Congo, le 26 mars, Joseph Kabila a décidé de confier la relance de la filière uranium à Areva. Mais le gouvernement et les concurrents maintiennent la pression.

Publié le 7 avril 2009 Lecture : 8 minutes.

Tarmac de l’aéroport international de Kinshasa-Ndjili, le 26 mars au petit matin. Dans un voile de lumière, un jet privé loué par Areva dépose en douceur Anne Lauvergeon, la présidente du directoire du groupe nucléaire français. « Atomic Anne », comme la surnomment quelquefois les Américains, précède d’une heure environ l’arrivée de l’Airbus présidentiel de Nicolas Sarkozy, attendu à 8 h 30 pour la première étape de son périple de deux jours en Afrique qui l’a mené dans les deux Congos et au Niger, les 26 et 27 mars.

Mais alors que le chef de l’État français s’apprête à prononcer un discours devant les parlementaires congolais, à 11 heures, l’ancien sherpa de François Mitterrand à l’Élysée a déjà déserté le cortège officiel pour rejoindre, boulevard du 30-Juin, Martin Kabwelulu, le ministre des Mines de la République démocratique du Congo. Jupe noire, veste blanche à fines rayures rouges et gros boutons noirs, Anne Lauvergeon signe alors avec le représentant du gouvernement un accord-cadre d’un genre nouveau. Il attribue au numéro un mondial du nucléaire civil un permis de recherches de gisements d’uranium, ou « yellow cake », sur l’ensemble du territoire de la RD Congo ainsi que l’exploitation future du minerai enfoui dans le sous-sol.

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Du jamais vu ! Côté français, on jubile. « Nous sommes dans un monde de concurrence et notre accord va faire des jaloux », s’est réjouie le jour même Anne Lauvergeon. Depuis la fin de l’époque coloniale, aucun groupe occidental n’avait obtenu le permis d’explorer seul la totalité de la superficie d’un pays africain. « Je crois bien que nous sommes l’unique entreprise dans le monde à avoir ce type de mandat. De plus, nous brisons un tabou. C’est la première fois que l’on ose parler d’exploration d’uranium en RD Congo, une activité qui participait jusque-là du domaine réservé de l’État », ajoute le Burkinabè Zéphirin Diabré, président pour l’Afrique et le Moyen-Orient d’Areva et conseiller de la présidente pour l’international.

L’accord exhale-t-il un parfum de néocolonialisme ? En ouvrant son territoire au numéro un mondial du nucléaire civil, la RD Congo ne prend-elle pas le risque de se transformer en « filiale » d’Areva SA ? « Nous étions à la recherche d’un partenaire sérieux qui nous offre la garantie d’utiliser des technologies fiables dans une industrie sensible et dangereuse afin de relancer les mines d’uranium du Katanga. Il est capital que l’uranium ne tombe pas entre les mains d’États ou de bandes criminels. La réputation d’Areva et de la France a convaincu le gouvernement de reprendre l’exploitation des mines fermées depuis des années, explique Lambert Mende Omalanga, le ministre de la Communication et des Médias de RD Congo. Les négociations, secrètes, ont duré plusieurs mois. »

Ménager Pékin

A priori, la RD Congo fait coup double. D’une part, le pays s’ouvre une nouvelle source de revenus prometteuse sur un marché très porteur avec le retour en grâce du nucléaire civil dans le monde. La construction de plus d’une cinquantaine de réacteurs nucléaires est programmée d’ici à 2020 (Chine, Inde, Russie, Japon, Canada…), selon la World Nuclear Association. De l’autre, le président Joseph Kabila ménage la susceptibilité de son partenaire et principal bailleur de fonds, la Chine. Le géant Areva, qui contrôle de 20 % à 25 % du marché mondial de l’uranium, fournit en effet les centrales nucléaires chinoises en combustible et a vendu deux centrales EPR de dernière génération à la compagnie d’électricité chinoise CGNPC. Demain, elles seront alimentées par du combustible congolais. « Avec Areva, la RD Congo a l’assurance de vendre l’uranium à un prix garanti », promet Anne Lauvergeon. Une bonne nouvelle pour un pays qui souffre de l’effondrement des cours du diamant et du cuivre, sensible depuis 2008.

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Vrai jackpot pour Areva ou simple mirage sans lendemain ? « Nous aurons de bonnes surprises », assure Zéphirin Diabré, le chasseur de gisements d’Areva, qui parie sur la richesse supposée du pays. Outre d’importants gisements de manganèse, de bauxite, d’or ou de minerai de fer, l’actuelle RD Congo, souvent décrite comme un « scandale géologique », renferme plus de la moitié des réserves mondiales de cobalt, 10 % de celles de cuivre, 30 % de celles de diamant et plus de 70 % des réserves de coltan, utilisé dans la fabrication des téléphones portables. Pour l’uranium, c’est dans le Bas-Congo, au Nord-Kivu, au Katanga, et peut-être au Kasaï, que les espoirs sont les plus grands, même si à ce jour seule la mine katangaise de Shinkolobwe, à 35 kilomètres de Likasi, atteste d’un gisement connu et exploitable. C’est d’ailleurs Shinkolobwe qui a fourni aux Américains, via les colonisateurs belges de l’époque, l’uranium nécessaire à la fabrication de la bombe atomique de Nagasaki, en 1945. Le maintien sous contrôle américain de cette mine fut d’ailleurs l’une des raisons qui ont convaincu la CIA de placer, puis de soutenir, Mobutu à la tête du Zaïre.

Des rêves de grandeur

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Officiellement fermée depuis près de quarante ans, Shinkolobwe a en réalité toujours été exploitée illégalement par la population locale, alimentant des trafics vers les pays voisins. Elle a également fait l’objet des plus folles rumeurs de vente d’uranium à la Libye, à la Corée du Nord ou à l’Iran… Des fantasmes et des rêves de grandeur qui, au milieu des années 1970, se retrouvent dans le projet fou d’un Mobutu, s’imaginant concurrencer la Nasa et le programme Soyouz avec l’aide d’une obscure société allemande, l’Otrag, dans son projet avorté de créer un centre spatial en pleine brousse afin de mettre sur orbite la fusée des pauvres, la « Volkswagen de l’espace » ! Démesure encore lors de la signature, en septembre 2007, du « contrat du siècle » avec Pékin. Pour 6,5 milliards de dollars d’investissements dans les infrastructures (chemins de fer, routes, logements sociaux…), les entreprises chinoises se sont ouvert l’accès des mines de cuivre, de cobalt et d’or du pays.

Est-ce pour matérialiser le rêve qu’on lui prête de doter son pays de 65 millions d’habitants d’une centrale nucléaire que Joseph Kabila paraît privilégier Areva aujourd’hui ? Outre le ministère des Mines et la direction de Gécamines, l’entreprise publique détentrice jusque-là de tous les droits miniers en RD Congo et pilotée par Paul Fortin, le projet de la relance de l’exploitation de l’uranium en RD Congo passe obligatoirement par la présidence. Et si ce n’est directement par le bureau de Joseph Kabila, c’est immanquablement par celui de son très proche conseiller, le Katangais Augustin Katumba Mwanke.

C’est d’ailleurs le président congolais en personne qui a donné son feu vert au groupe français lors de son séjour à Paris, à la mi-2008. En marge d’un entretien officiel à l’Élysée avec Nicolas Sarkozy, le 16 juillet dernier, Kabila a reçu dans sa suite de l’hôtel Ritz Anne Lauvergeon et Zéphirin Diabré. Aussitôt, le numéro un mondial du nucléaire civil place ses pions sur le terrain dans la plus grande discrétion. Pour prendre le pouls de la stratégie du gouvernement congolais en matière d’exploitation minière, le groupe avancera sous un nom d’emprunt pendant dix-huit mois à travers une filiale créée pour la circonstance. Baptisée Songhaï, « en référence à un peuple du Niger », explique Zéphirin Diabré, qui la dirige, cette société est théoriquement basée en Afrique du Sud. « Nous avons choisi de ne pas nous afficher en tant qu’Areva pour ne pas éveiller l’attention de nos concurrents, ce qui aurait fait grimper les enchères », justifie-t-il.

L’Élysée mobilisé

Le groupe français n’a ménagé ni ses forces ni ses appuis. Les politiques ou les « avocats » du groupe nucléaire s’affairent auprès des autorités congolaises depuis des mois. Le 9 janvier, Bruno Joubert, le « Monsieur Afrique » de l’Élysée, a profité d’un séjour à Kinshasa destiné à préparer le déplacement de Nicolas Sarkozy pour évoquer le sujet Areva avec le président congolais. Dans l’ombre, George Forrest, l’incontournable homme d’affaires belge implanté depuis des lustres dans le secteur minier congolais, et Patrick Balkany, le député-maire de Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), intime de l’hôte de l’Élysée, sont les intermédiaires d’Areva en Centrafrique et en RD Congo depuis au moins deux ans. Accueillant régulièrement des émissaires africains à Paris, invité à chaque déplacement présidentiel en Afrique, Patrick Balkany, en voyage dans les Antilles, nous a fait savoir par son service de presse qu’il n’avait rien à voir avec Areva. « Je connais Balkany, c’est un homme dynamique qui pousse les entreprises françaises à s’installer en RD Congo », confiait pourtant George Forrest à Jeune Afrique, début 2008, lors d’un voyage de presse organisé par son groupe pour visiter ses gisements congolais de cuivre et de cobalt. Et pour cause. L’ami de Nicolas Sarkozy est un familier du jet privé de l’homme d’affaires belge. « Il est clair que Balkany a joué un rôle en RD Congo », complète un industriel français présent dans le pays.

Malgré tout, rien n’est joué définitivement en faveur d’Areva. Si le numéro un mondial du nucléaire civil a une longueur d’avance sur ses concurrents, il ne possède aucune exclusivité sur l’uranium congolais. « Malgré les déclarations de Nicolas Sarkozy, le ministère des Mines et Areva n’ont signé qu’un mémo d’intention. C’est un bon départ pour le groupe français, mais ce n’est pas encore un contrat en bonne et due forme. Le gouvernement congolais a fait part de son intention d’ouvrir l’exploitation de l’uranium à d’autres partenaires, russes, américains et chinois. Ces derniers se sont déjà montrés très intéressés », tempère Jean-Marie Longonya Okungu, patron de l’Agence congolaise de presse et proche du pouvoir.

Pour l’instant, beaucoup reste à faire même si les choses avancent vite. Les partenaires franco-congolais doivent régler les détails sur le fond (calendrier des zones de prospection, constitution d’équipes binationales, investissements consentis par les deux parties…). Le principe d’une société commune est arrêté, avec une participation de Gécamines et d’Areva en actionnaire majoritaire, pour mettre en musique l’accord de coopération. Autre point défini : la priorité donnée à la remise en route de la mine de Shinkolobwe, avant d’explorer les autres gisements potentiels du pays.

Les avocats du groupe français sont actuellement mobilisés pour faire enregistrer dans les semaines à venir, à Kinshasa, la naissance d’Areva Congo ou d’Areva RD Congo – le nom fait encore débat. De leur côté, le ministère des Mines et la haute direction de Gécamines peaufinent les exigences congolaises. « L’accord, avec toutes les modalités de mise en œuvre, devrait être validé dans les quinze jours », assure-t-on au ministère des Finances à Paris.

Reste qu’avec un gouvernement congolais qui maintient la pression et des concurrents qui digèrent mal cet accord-cadre concocté en catimini par Areva avec l’appui de l’Élysée, la partie est loin d’être gagnée. Américains et Canadiens sont à l’affût. Ainsi que la China National Uranium Corp., déjà présente au Niger, ou le magnat du diamant israélien Dan Gertler. À 40 ans, le patron de DGI Group (Dan Gertler Investment) diversifie ses activités minières en RD Congo (fer, cuivre, cobalt…). Très proche des cercles dirigeants, il avait convaincu en 2000 Laurent-Désiré Kabila de lui confier l’exclusivité de l’exportation des diamants congolais – un contrat cassé depuis par Joseph Kabila. La bataille pour l’uranium congolais n’est pas terminée.

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