La quatrième vie d’Edem Kodjo

Après une longue carrière commencée à la fin des années 1960, l’ancien secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) fait ses adieux à la politique.

Publié le 20 mai 2009 Lecture : 4 minutes.

La nouvelle n’était sans doute plus un secret pour ses proches. Mais Edem Kodjo tenait à tout prix à l’annoncer lui-même aux militants de son parti, la Convergence patriotique panafricaine (CPP). Occasion rêvée : le congrès du CPP, qui s’était ouvert à Lomé le 25 avril. C’est ce jour-là qu’Edem Kodjo a évoqué publiquement sa décision de passer le témoin aux nouvelles générations. Autrement dit, il se retire de la vie politique active alors qu’il vient de fêter ses 71 ans. Il avait déjà, auparavant, fait savoir qu’il ne briguerait pas la magistrature suprême en 2010.

Pourquoi ce départ maintenant ? Et que va devenir l’ancien Premier ministre ? La raison principale reste, selon Edem Kodjo, le peu d’intérêt que présente à ses yeux « la politique politicienne intérieure ». « Je veux orienter autrement mes activités, explique-t-il. J’ai fait le tour de la question à propos de la politique intérieure. J’ai occupé toutes les fonctions, à l’exception d’une seule [la présidence de la République, NDLR]. J’estime avoir apporté ma contribution à la construction de mon pays. Maintenant, je vais reprendre l’initiative dans le domaine du panafricanisme en mettant en place un système qui permettra aux Africains de se retrouver afin de chercher des solutions à nos problèmes. Et continuer à écrire. »

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Natif de Sokodé (centre du Togo), Kodjo est un pur produit de l’École nationale d’administration (ENA) française, d’où il est sorti en 1964. Revenu au Togo en 1967, l’année où Gnassingbé Eyadéma s’empare du pouvoir, il est nommé secrétaire général au ministère des Finances, tout en étant gouverneur au Fonds monétaire international (FMI) jusqu’en 1973. Membre fondateur du Rassemblement du peuple togolais (RPT, au pouvoir), il en est le secrétaire général de 1969 à 1971. Lorsqu’il entre au gouvernement en 1973, il dirige le ministère de l’Économie. L’énarque prend une autre stature quand il devient ministre des Affaires étrangères (1976-1978).

Militant panafricaniste convaincu, son heure sonne en 1978 : il est élu secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), l’ancêtre de l’Union africaine (UA). Son mandat sera marqué par l’une des plus grandes crises de l’histoire de l’organisation continentale : l’admission comme membre à part entière de la République arabe sahraouie démocratique, un État à l’existence controversée. Le Maroc, se sentant humilié, se retire de l’OUA. Bien entendu, le président Gnassingbé Eyadéma est exaspéré par la politique menée par son ancien ministre des Affaires étrangères. Quand il quitte l’OUA en 1983, Edem Kodjo, qui n’est plus en odeur de sainteté auprès d’Eyadéma, préfère s’exiler à Paris, où il enseignera l’économie du développement à l’université. Entre 1985 et 1989, il publie trois livres : Et demain l’Afrique (Stock, Paris, 1985) ; L’Occident, du déclin au défi (Stock, Paris, 1988) ; Africa Today (Ghana University Press, Accra, 1989).

Deux fois à la primature

Edem Kodjo revient sur la scène politique togolaise en 1990 à la faveur de l’ouverture démocratique décidée par le pouvoir. En rupture avec le RPT, il fonde l’Union togolaise pour la démocratie (UTD). Il est même, en 1993, candidat à l’élection présidentielle, avant que le scrutin ne soit boycotté par l’opposition. Après la victoire de cette dernière aux législatives de 1994, Kodjo est nommé Premier ministre (il le restera jusqu’en 1996). Après une nouvelle éclipse, durant laquelle il publie un roman (Au commencement était le glaive, La Table ronde, Paris, 2004), il retrouve la primature de 2005 à 2006 à l’appel du nouveau président, Faure Gnassingbé. Son parcours lui inspire un constat : « Ma carrière a peut-être été déterminée par cette espèce d’amour à la limite de la rationalité que j’ai pour le continent africain. J’ai toujours été guidé par le souci de servir mon pays. Mais cette carrière c’est surtout beaucoup de souffrances et de sacrifices parfois personnels, parfois familiaux. Au fond, mon parcours n’a pas été une affaire facile. J’en garde la satisfaction de n’avoir pas perdu mon temps. »

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Vieux routier qui a reçu des coups et en a également donné, Edem Kodjo n’est pas insensible au regard des citoyens sur leurs dirigeants. Il est souvent agacé, avoue-t-il, lorsque les gens lui disent « vous, les politiciens », voyant en l’homme politique africain un vulgaire prédateur. « Il existe des hommes politiques qui ont conscience que leur mission n’est pas d’accéder au pouvoir pour se remplir les poches, mais de faire quelque chose pour leur pays, explique-t-il. Je ne crois pas que tous soient des prédateurs. Cette idée est néfaste parce qu’elle imbibe, structure la pensée des jeunes à tel point qu’ils sont convaincus que pouvoir et enrichissement vont de pair. »

Kodjo a une autre passion : la théologie. Féru de patristique (tout ce qui concerne les Pères de l’Église) et de patrologie (étude de la littérature chrétienne ancienne), il enseigne cette dernière discipline à l’Institut Saint-Paul de Lomé. À la fin de 2008, il a publié un ouvrage intitulé Les Pères de l’Église, l’élaboration de la doctrine chrétienne de la fin du Ier siècle au Ve siècle. Médiateur de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) dans la crise malgache, il estime que la résurgence des coups d’État peut être évitée si « le pouvoir est exercé par ses détenteurs d’une manière convenable, juste, équilibrée, qui permette à toutes les composantes de la nation de se retrouver autour d’une gestion non patrimoniale ».

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Les derniers événements du Togo, qui ont conduit à l’arrestation de membres de la famille Gnassingbé soupçonnés d’avoir fomenté un coup d’État, ne laissent pas Edem Kodjo indifférent. Convaincu que son pays tente de sortir d’une longue crise, il craint que ce qui vient de se produire ne remette tout en question : « Il est anormal et injuste que nous soyons toujours dans la logique de la crise et de la transition. Je ne supporte plus le mot transition. Nous transitons vers où, vers quoi ? C’est lamentable pour ce pays qui, même s’il n’est pas grand, possède une force humaine considérable. »

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