Lutte contre le terrorisme : le calme avant la tempête ?
Depuis la création d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, en janvier 2007, Washington et Londres craignent que le Sahara ne devienne un refuge pour djihadistes. Et soutiennent une riposte concertée des pays riverains.
Quelle sera la politique de Barack Obama en Afrique ? Si le nouvel hôte de la Maison-Blanche ne s’est pas encore exprimé sur le sujet, une note publiée à la mi-février par Phil Carter, chargé des Affaires africaines du département d’État, réaffirme la priorité accordée par Washington aux questions de sécurité. Sans surprise, la coopération militaire américaine devrait donc se renforcer, non seulement en République démocratique du Congo et au Nigeria, mais aussi – et surtout – dans le Sahel, dont les immenses ressources énergétiques en gaz et en pétrole commencent à peine à être exploitées.
Incrustation territoriale
« Depuis la naissance d’Al-Qaïda au Maghreb islamique [AQMI], en janvier 2007, le risque que l’espace sahélo-saharien se transforme en lieu de refuge pour les djihadistes du monde entier est bien réel », confirme Soumeylou Boubèye Maïga, ancien ministre malien de la Défense et directeur de l’Observatoire sahélo-saharien de géopolitique et de stratégie (OSGS). Un danger qui n’échappe évidemment pas aux analystes du Pentagone, lesquels concentrent de plus en plus leur attention sur le Mali, devenu en quelques années le « playground » de la lutte contre AQMI au Sahel.
« C’est là que tout se joue », confirme une source proche de la coopération militaire américaine à Bamako. De fait, le nord du Mali est devenu la principale base arrière des combattants d’AQMI, dont l’objectif est de déstabiliser l’Algérie, sixième fournisseur de brut des États-Unis. « Ils y mènent une politique d’incrustation territoriale très efficace, notamment au nord de Tombouctou », analyse un spécialiste malien. « Cela a commencé par le mariage de convenance de Mokhtar Ben Mokhtar [l’un des chefs d’AQMI au Sahel, NDLR] avec une Malienne d’origine berabiche, une ethnie de la région de Tombouctou. Puis les salafistes ont acheté leur tranquillité en fournissant aux populations de l’argent, des puits, des forages… »
De l’aveu de tous les observateurs, les « barbus », souvent d’origine algérienne et mauritanienne, sillonnent le nord du Mali à bord de 4×4 équipés de téléphones satellitaires, entretiennent des petits commerces, apportent une assistance médicale et alimentaire aux populations : médicaments, jus de fruits, lait pour bébés… « Le plus dangereux pour l’avenir, c’est qu’ils exercent une fascination croissante sur la jeunesse des ethnies arabe et berabiche de Tombouctou, ou chamanama de Gao », s’alarme un ancien travailleur humanitaire malien vivant à Tombouctou. Une situation qui, au grand dam d’Alger ou de Washington, ne provoque pour l’instant aucun émoi du côté de Bamako.
Les raisons de cet immobilisme sont multiples. D’abord, la zone à contrôler – près de 600 000 km2 (une superficie équivalente à celle de la France) – est beaucoup trop vaste pour l’armée malienne, sous-équipée et peu nombreuse. Surtout, le président Amadou Toumani Touré (ATT) a posé comme préalable à tout engagement malien la pleine coopération des pays de la sous-région dans la lutte contre AQMI. Or son projet d’une conférence internationale sur la sécurité dans la zone sahélo-saharienne, lancé à la fin de 2007, n’a toujours pas abouti (voir encadré).
Autre incertitude qui, du point de vue malien, pèse sur le règlement de la question salafiste : les tensions entre l’Algérie et le Maroc. « Des groupes islamistes bénéficient à l’évidence de certains appuis du côté marocain », accuse un membre des services de renseignements maliens. Selon ce dernier, il s’agirait d’une riposte aux nombreux liens que le Mali entretient avec le Polisario. Il est vrai que la panoplie de l’armement d’AQMI, comprenant radars, systèmes de brouillage et même « orgues de Staline » (rampes de lance-roquettes installées à bord de camions), s’explique difficilement sans l’hypothèse de quelques complicités bien placées…
Dépassé par la complexité des enjeux liés à la lutte contre AQMI, le Mali s’oppose donc à la volonté des Américains de lancer une grande offensive. « Jusqu’à présent, il régnait un accord tacite de non-agression avec AQMI, dont l’aide contre les rebelles d’Ibrahim Ag Bahanga, un moment appuyé par l’Algérie, s’est même avérée très précieuse », explique un officiel malien.
Or cette « drôle de paix » semble sur le point de se rompre. « À partir du mois d’août, la Sonatrach compte procéder à des forages sur ses blocs maliens de la région de Taoudenit et, pour les sécuriser, l’Algérie a décidé d’enrôler comme supplétifs les anciens rebelles touaregs de Bahanga intégrés dans l’armée malienne », témoigne un conseiller du ministère malien de l’Administration territoriale. Alger étant déterminé à en découdre pour de bon avec les islamistes, Bamako devrait suivre le mouvement. D’autant que les Européens et les Américains, excédés par les enlèvements de touristes et de diplomates occidentaux, exercent une pression croissante sur les autorités.
À ce sujet, un tournant a eu lieu à la fin mars avec l’arrestation par l’armée malienne de trois suspects dans l’enlèvement au Niger, le 22 janvier, de quatre touristes occidentaux. « Les services britanniques ont transmis des puces téléphoniques à différents intermédiaires et ont ainsi pu remonter jusqu’aux kidnappeurs présumés », confie un responsable malien. Les autorités de Bamako n’avaient donc d’autre choix que d’intercepter les suspects. AQMI a finalement relâché deux touristes, n’en retenant plus que deux, dont un Britannique que les islamistes menacent d’exécuter si l’imam fondamentaliste Abou Qatada, incarcéré depuis 2002 en Grande-Bretagne, n’est pas libéré.
Autre épisode révélateur, quatre islamistes algériens ont été arrêtés le 26 avril dans le Nord-Mali, à la suite d’un accrochage avec une patrouille de l’armée chargée de sécuriser les élections municipales, organisées ce même jour. Des armes, des munitions et des véhicules ont également été saisis.
Le sujet de la coopération entre services maliens et anglo-saxons est extrêmement sensible. « Personne ne souhaite que la visibilité américaine au Mali attire davantage d’ennemis des États-Unis, et ATT est formel : il n’y aura de base militaire permanente, américaine ou internationale, que si les autres pays de la zone sahélo-saharienne le demandent », explique un expert de Bamako.
En attendant, les militaires américains se font aussi discrets que possible et communiquent chichement sur leur présence au Mali. « Les soldats américains participent à des exercices conjoints avec des pays voisins, comme “Flintlock” en 2007 et 2008, ainsi qu’à des opérations bilatérales avec l’armée malienne, et les soldats américains ne restent au Mali qu’un mois au maximum », explique Gillian Milovanovic, ambassadrice des États-Unis au Mali.
À Bamako, on estime cependant qu’environ 300 soldats américains sont, par rotation, présents sur le sol malien, dont environ une centaine à Gao et Tombouctou. Mais la Grande-Bretagne, en étroite collaboration avec les États-Unis, développe aussi sa propre coopération militaire avec le Mali. « Depuis début 2008, trois avions militaires britanniques ont un droit illimité de survol du territoire malien et, chaque semaine, il y a un ou deux allers-retours Nord-Sud… », explique une source proche de la coopération britannique, qui ne peut cependant préciser la nature de ces discrètes opérations. Le calme avant la tempête ? Commentaire d’un expert malien des questions de défense : « À terme, le conflit est inévitable et seuls les Anglo-Saxons ont les moyens d’écoute et de surveillance satellitaires pour nous aider à neutraliser AQMI. »
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