Cherif Belkacem, une certaine idée de l’Algérie

Au cœur du pouvoir ou loin de toute responsabilité, l’ancien moudjahid, disparu le 23 juin, ne se départait jamais de deux vertus rares : une clairvoyance à toute épreuve et un sens de l’humour ravageur.

Publié le 29 juin 2009 Lecture : 2 minutes.

Cherif Belkacem s’est éteint le 23 juin, à Paris. À presque 79 ans, il avait conservé des allures de John Cassavetes, le célèbre cinéaste américain. Attaqué par le cancer voilà une quinzaine d’années, il avait réussi, jusqu’à ces derniers mois, à le tenir en respect. Il vivait seul sur les hauteurs d’Alger, loin de ses trois enfants. Son appartement exigu ne désemplissait pas. Des visiteurs de tous bords, vétérans de la guerre de libération ou technocrates en fonction. On refaisait le monde et l’Algérie en rigolant un bon coup. Au cœur du pouvoir ou loin de toute responsabilité, celui qu’on appelait Si Djamel (son nom de guerre) ne se départait jamais de deux vertus rares : une clairvoyance à toute épreuve et un sens de l’humour ravageur. Il a eu au départ le même itinéraire qu’un certain Abdelaziz Bouteflika, mais leurs personnalités sont on ne peut plus dissemblables.

Né en 1930 au Maroc d’un père originaire des Aurès et d’une mère issue de Fès, il rejoint en 1956 l’Armée de libération nationale (ALN). Autour de Houari Boumédiène, on le retrouve à l’état-major avec les Medeghri, Kaïd et autres Bouteflika, qui vont former le fameux « groupe d’Oujda ». Après l’indépendance, en juillet 1962, Boumédiène et ses amis apportent leur soutien à Ahmed Ben Bella, le premier président de l’Algérie, pour mieux contrôler les rouages du nouvel État. Djamel est ministre de l’Éducation. Les dissensions entre le président et l’armée ne vont pas manquer et aboutiront au putsch du 19 juin 1965. Boumédiène succède à Ben Bella et Djamel siège au Conseil de la Révolution. Il a la haute main sur le FLN, qu’il ramène dans le giron de l’armée. En mars 1968, ses talents d’organisateur sont requis aux Finances, dont il est ministre d’État. Au fil des années, le groupe d’Oujda se désagrège. Kaïd s’exile, Medeghri « se suicide », Djamel se retire. Seul Bouteflika restera aux côtés du président jusqu’à sa mort, en 1978.

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Une seule fois Djamel sortira de sa retraite. C’était en février 1994, quand les chefs de l’armée jettent leur dévolu sur Bouteflika et le sollicitent pour faire tomber les réticences de son ancien compagnon d’armes. Il s’y prête sans résultat. En 1999, Bouteflika est élu président, mais il ne trouvera jamais grâce à ses yeux. « Je suis celui qui le connaît le mieux », disait Djamel pour justifier ses imprécations. Mais on peut se demander si l’excès de connaissance ici ne perturbe pas le jugement et si la proximité n’empêche pas de voir l’essentiel. Cherif Belkacem incarnait une certaine idée de l’Algérie et enrageait qu’elle ne mette pas à profit ses immenses moyens : « Imaginez un homme qui doit creuser un tunnel, il dispose de pioches, de pelles et même d’un marteau-piqueur. Mais, curieusement, il s’acharne avec une cuillère à café. Et quand on attire son attention sur l’inefficacité de l’outil, il prend… une cuillère à soupe ! »

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