Ali impose son style
Nouvelle équipe, resserrée et plus jeune, fin des placards dorés et des postes de prestiges, le nouveau président a fait ce que son père n’avait jamais osé : mettre de l’ordre dans le Palais.
C’est une fin de semaine orageuse et étouffante. Nous sommes le 16 octobre, tout Libreville a les yeux rivés sur le Palais du bord de mer. Le nouveau président élu, Ali Bongo Ondimba (ABO), prend possession des lieux. Les convives triés sur le volet savourent la victoire. Si seulement le champagne et les petits fours pouvaient suffire à leur bonheur… Mais ils n’arrivent pas à cacher l’anxiété. Quelles seront les premières décisions du président ? Qui va plonger ? Qui va y survivre ?
Montant de tout le pays, la demande de changement menace paradoxalement les postes et les privilèges des artisans de la victoire. Les places sont chères, au gouvernement comme dans la haute administration. L’inquiétude se répand, heure après heure, au fur et à mesure que tombe la cascade des décrets. Paul Biyoghé Mba maintenu comme Premier ministre : c’était attendu. Mais pour le reste, Ali Bongo s’est lancé dans un nettoyage aussi inédit que délicat de la présidence de la République.
Quelques heures seulement après la cérémonie d’investiture, Mamadou Diop est remplacé au poste de secrétaire général de la présidence par un proche d’ABO, François Engongah Owono, 64 ans, ancien ministre du Travail. Originaire du Wolleu Ntem (Nord) et amateur de football, Engongah Owono a posé ses cartons dans le bureau qu’occupait Pascaline Mferri Bongo quand elle était directrice de cabinet pendant le mandat de son père. Logée dans une pièce plus modeste du bâtiment, l’aînée de la famille Bongo officiera désormais comme haut représentant personnel du chef de l’État. Elle partage ce titre avec Honorine Dossou Naki, ancienne vice-Premier ministre.
Le vent du changement
Mission terminée pour la flopée de « hauts représentants généraux » et autres « hauts conseillers du président de la République » entretenus à grands frais par l’argent public. Titres, postes et avantages passés sont supprimés sans préavis. Seuls Jean Pierre Lemboumba et Michel Essonghe, deux membres du premier cercle d’OBO, conseilleront le nouveau président. Mais résisteront-ils bien longtemps au vent du renouvellement ? « Nous lui avons suggéré de ne pas aller trop vite, confie un parlementaire qui a l’oreille du président. Il ne faut pas laisser croire que nous attaquons le système à la hache. »
Le lendemain, samedi 17 octobre, le « tsunAli » se confirme : onze ministres seulement sur les quarante-quatre du précédent gouvernement conservent un portefeuille. En tout, l’équipe est resserrée à trente personnes. Deux jours plus tard, le nouveau chef de l’État préside son premier Conseil des ministres avec de nombreux nouveaux visages autour de la table. De façon générale, les « cadres » rajeunissent. Après vingt ans passés au gouvernement sans discontinuer, le « beau-frère » et néanmoins ancien rival Paul Toungui, 60 ans, ministre des Affaires étrangères, en est désormais le doyen. Jean-François Ndongou (Intérieur), Laure Olga Gondjout (Communication), Angélique Ngoma (Défense), Flavien Nziengui Nzoundou (Équipement) et quelques autres membres de l’ancienne équipe ont été maintenus au gouvernement. En revanche, Idriss Ngari, Richard Auguste Onouviet, Jacques Adiahenot, Georgette Koko, « poids lourds » de cette dernière décennie, ont été remerciés en dépit de leur soutien à la campagne présidentielle d’Ali Bongo.
Le droit d’ingratitude
Les annonces du Conseil ministériel ont été bien accueillies même dans les rangs de ceux qui n’ont pas voté pour lui : le communiqué final accordait un délai d’un mois aux membres du gouvernement pour faire leur déclaration de patrimoine devant la Commission nationale de lutte contre l’enrichissement illicite. Il n’est plus question pour un parlementaire d’exercer en même temps des fonctions de président de conseil d’administration d’un organisme public ni d’une entreprise du secteur privé.
Sans attendre, le Conseil des ministres s’est emparé de l’affaire des détournements de fonds survenus au bureau parisien de la Banque des États de l’Afrique centrale. Annoncé de manière abrupte par le Conseil des ministres, le remplacement du gouverneur Philibert Andzembé à la tête de l’institution monétaire pourrait être le signe que les temps ont changé, et que s’engage une véritable lutte contre l’impunité.
Ces premières décisions ont fait naître un courant de sympathie au sein d’une opinion qui désespérait de ses hommes politiques. La corruption des élites, les détournements de l’argent public et l’impossible renouvellement de la classe politique constituaient l’un des ferments du rejet de la succession « dynastique » à la gabonaise.
Ali semble vouloir gérer l’héritage en s’adaptant à l’air du temps, sans toutefois renier la mémoire paternelle. S’il se montre suffisamment habile, espèrent ses partisans, peut-être parviendra-t-il à tisser un « lien singulier » avec les Gabonais à l’instar de celui qui lie le roi Mohammed VI aux Marocains depuis son accession au trône. Un exemple qu’Ali cite d’ailleurs en privé. « S’il s’inspire des changements opérés par le souverain chérifien, alors on peut dire qu’il va encore plus vite et plus loin dans le nettoyage », se félicite le juriste gabonais Guy Rossatanga-Rignault.
Ceux de ses amis « rénovateurs » qui lui sont restés fidèles n’en pensent pas moins. Le groupe, dont aucun membre n’est entré au gouvernement, joue les « visiteurs du soir », conseillant et surveillant les arrières du président. « Nous devons l’encourager à user d’un droit d’ingratitude pour lui éviter le piège des nominations en récompense de fidélité », confie un parlementaire.
Héritier d’un pouvoir absolu, le nouveau chef de l’État semble également avoir opté pour une « certaine continuité », notamment en pratiquant un hyperprésidentialisme. Lorsque le président a martelé que le Palais du bord de mer fonctionnerait en tandem avec la primature pour animer l’exécutif, il n’a pas tout dit sur le rôle qu’il entend faire jouer au secrétaire général Engongah Owono. Dans la nouvelle nomenclature, eu égard à son profil politique, certains lui prédisent un rôle de Premier ministre bis. Quoi qu’il en soit, il ne fait aucun doute que le Palais continuera de donner l’impulsion de l’action gouvernementale. Même si, au regard de son empreinte sur les dernières nominations, Paul Biyoghé Mba concentre plus de pouvoirs que n’importe lequel de ses prédécesseurs à la tête du gouvernement.
S’agissant des ministres, dont on attend des « résultats palpables à bref délai », ils seront évalués tous les trois mois. « Peut-être est-ce la meilleure solution pour faire avancer les chantiers qui se font urgents », décrypte un politologue. « Bien entendu, poursuit-il, une telle posture d’interventionnisme comporte des risques. Si les choses n’avancent pas assez vite, le président ne pourra pas dire que tout est de la faute du Premier ministre. »
Le « bongoïsme » aux oubliettes
Le grand coup de balai enchante les Gabonais. Il n’en heurte pas moins une élite issue de la politique et de la haute administration. Le réveil est douloureux pour ces privilégiés du système qui voient se tarir d’importantes sources de revenus. Le président a-t-il pris la juste mesure de toutes les forces et de l’ensemble des intérêts qu’il bouscule ? Là où Omar Bongo Ondimba marchait sur des œufs, lui passe en force. Toute son attention est fixée sur l’objectif qu’il s’est fixé, à savoir faire de son pays une nation émergente. « Il est au cœur de l’appareil depuis dix ans et dispose de dossiers contre les barons qu’il a éjectés », plaide un familier. Il pourrait néanmoins être rattrapé par le principe de réalité lors des législatives de 2011. Les piliers de l’ancien régime ne se laisseront pas reléguer aux oubliettes du bongoïsme sans combattre. Peut-être finiront-ils par rejoindre l’opposition, qui médite sur son échec électoral en attendant les premiers faux pas pour rebondir. Mais, pour l’instant, Ali Bongo Ondimba n’en fait pas.
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