Infrastructures : un défi de 1 000 milliards de dollars sur dix ans

Un rapport sans concession de la Banque mondiale chiffre pour la première fois le coût de la mise à niveau des infrastructures africaines. Une facture de 930 milliards de dollars sur dix ans et une longue liste de réformes.

Publié le 2 décembre 2009 Lecture : 5 minutes.

Difficile de poser un objectif aussi clair et ambitieux. « Pour revenir au niveau de l’Asie en matière d’infrastructures, l’Afrique doit investir 930 milliards de dollars sur dix ans. C’est énorme pour combler un retard, mais ce n’est pas irréalisable », assure Vivien Foster, économiste principale pour l’Afrique à la Banque mondiale. Un chiffre astronomique qui ressort d’un rapport publié le 12 novembre dernier et qu’elle a co­piloté. Intitulé « Infrastructures africaines : une transformation impérative », il a été réalisé après avoir passé au crible 24 pays du continent.

Le constat est sans concession. L’état des infrastructures (énergie, transports, eau et assainissement, technologies de l’information et de la communication) est « déplorable ». Il ralentit la croissance de chaque pays de 2 % par an et réduit la productivité des entreprises de 40 %. C’est un peu comme si l’économie africaine avançait le frein à main tiré tout en appuyant à fond sur la pédale de frein. Rien d’irréversible pourtant. « Au cours de ces dernières années, la Chine a consacré 15 % de son PIB à développer ses infrastructures. En s’appuyant sur leur base économique solide et si la volonté politique d’allouer des ressources à hauteur de 12 % du PIB à cet objectif est là, les pays africains riches en ressources (Cameroun, Guinée, Nigeria…) ou à revenu intermédiaire (Afrique du Sud, Cap-Vert, Gabon…) ont les moyens de combler leur écart en une décennie. Pour les pays fragiles, notamment en sortie de conflit (Côte d’Ivoire, RD Congo, Liberia…), il est sûr que les besoins en reconstruction sont si grands qu’ils ne pourront le réduire en dix ans », explique-t-elle.

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Marges des transporteurs

Mais comment faire autrement ? « L’Afrique possède l’infrastructure la plus faible au monde, et pourtant, ironiquement, les Africains paient dans certains pays deux fois plus pour les services de base que les habitants d’autres régions du monde », ne s’empêchent de relever les auteurs du rapport. L’énergie est le cas le plus flagrant. En Afrique subsaharienne, le prix du kilowattheure (kWh) varie entre 0,02 et 0,46 dollar, alors qu’il ne dépasse pas 0,10 dollar, dans les pays d’Asie ou d’Amérique latine. Les 48 pays d’Afrique subsaharienne génèrent la même quantité d’électricité que l’Espagne ! Avec 124 kWh par habitant et par an, la consommation d’électricité n’atteint que 10 % de celle que l’on trouve ailleurs dans les pays en développement. Juste assez pour alimenter une ampoule de 100 watts par personne trois heures par jour. Plus de 30 pays affrontent des pénuries d’énergies et des coupures régulières. Un état de délabrement qui ampute de 5 % à 20 % le chiffre d’affaires des entreprises et réduit de 1 % à 2 % la croissance du PIB par pays.

Dans les transports routiers, le surcoût tient davantage aux marges colossales des transporteurs qu’à l’état défectueux du réseau. Ces marges peuvent ainsi atteindre 60 % à 160 % en Afrique centrale ou occidentale. En matière de technologies de l’information et de la communication (TIC), la situation n’est pas plus favorable. En 2007, le prix moyen des services mobiles prépayés s’élevait à 12,58 dollars par mois sur le continent. Soit six fois plus que les 2 dollars payés au Bangladesh, en Inde ou au Pakistan.

Un coût deux fois plus élevé

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Résultat ? Le coût de la remise à niveau des infrastructures est deux fois plus élevé que prévu. La Banque mondiale l’évaluait en 2005 à 39 milliards de dollars. Aujourd’hui, ce sont donc 93 milliards de dollars à mettre sur la table chaque année pendant les dix ans à venir. Le secteur de l’énergie, principalement l’électricité, engloutit 40 % des besoins d’investissement. Soit une facture annuelle de 40,8 milliards de dollars. Arrivent ensuite l’eau, l’assainissement et l’irrigation (25,3 milliards) et les transports (18,2 milliards).

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Concrètement, cela demandera d’installer une capacité de production d’énergie supplémentaire de 7 000 mégawatts par an. D’installer des lignes de transport trans­frontalières d’électricité de 22 000 mégawatts pour permettre la vente de courant à l’échelle régionale. De relier les capitales, les ports, les points de passage aux frontières et les villes secondaires par un réseau routier de qualité. De doubler les surfaces irriguées qui ne représentent qu’à peine 5 % des terres agricoles. Et d’achever le réseau interrégional de communication par fibre optique, au profit notamment des 15 pays africains enclavés, ainsi que la boucle du câble sous-marin autour du continent.

Seul point de réelle satisfaction du rapport, le continent peut compter sur ses propres forces pour relever ce défi. Car, contrairement à une idée reçue, les dépenses africaines en infrastructures sont plus élevées que ce qu’estimait la Banque mondiale. Elles atteignent 45 milliards de dollars par an. Et, autre découverte d’importance, 30 milliards de ce montant sont alimentés par les deniers publics, donc le contribuable et usager africain. Et « seulement » 15 milliards proviennent du secteur privé, de l’APD et des pays qui ne sont pas membres de l’OCDE (Chine, Inde, finance islamique…).

Mais avant de mobiliser de nouvelles sources de financement, le continent doit partir en guerre contre le gaspillage. « Chaque année, l’Afrique dilapide 17 milliards de dollars qui correspondent au coût de l’inefficacité des infrastructures », déplore Vivien Foster. Tous les ans, près de 2 milliards de dollars ne sont pas décaissés, notamment parce que les administrations n’ont pas exécuté la totalité des budgets. Dans l’eau et l’électricité, seulement 70 % à 90 % des sommes facturées sont encaissées. Les effectifs sont de deux à huit fois plus élevés dans les entreprises publiques que dans les autres pays en développement. Mais ce ne sont pas les handicaps majeurs. « Le problème d’entretien est endémique. Le premier enjeu, c’est la maintenance, car la restructuration d’équipements coûte bien plus cher », souligne l’économiste de la Banque mondiale. Un dollar dépensé dans l’entretien des routes permet d’économiser 4 dollars en réhabilitation. Soit une économie annuelle de 2,4 milliards de dollars. « Le rapport démontre qu’investir dans des fonds supplémentaires sans résoudre les inefficacités reviendrait à verser de l’eau dans un seau percé », insiste Obiageli Ezekwesili, la vice-présidente de la Banque mondiale pour l’Afrique.

En priorité, le continent doit donc réaliser d’énormes progrès en matière de gouvernance et de contrôle, et toiletter ses réglementations pour favoriser la participation du privé dans les projets. Les pays ont tout intérêt aussi à promouvoir l’intégration régionale. Sacrée révolution. Un appel téléphonique international entre les pays d’Afrique est facturé trois fois plus cher qu’un appel du continent vers les États-Unis ! « Avec les connexions aux câbles sous-marins, les prix des communications peuvent diminuer jusqu’à 50 %, pour autant que l’accès aux câbles ne soit pas monopolisé par un fournisseur unique », conclut le rapport…

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