Konaté, le Tigre de la junte
« Notre président a échappé à un attentat. C’est une honte pour notre nation. C’est une honte pour notre armée. Ce n’est pas le capitaine qu’il faut voir, mais ce qu’il représente. […] Il faudrait qu’on arrive à instaurer la discipline au sein de notre armée. » Le 9 décembre, six jours après l’attaque qui a failli coûter la vie au capitaine Moussa Dadis Camara, le Tigre rugit. « Enfin ! » s’exclament en chœur la population, les leaders politiques et les représentants de la société civile. La radio et la télévision nationales viennent de diffuser le premier message du général Sékouba Konaté. Le ton est ferme. Connu pour sa réticence à s’exprimer en public, le ministre de la Défense, qui faisait le tour des garnisons, a dû se faire violence. Ses nouvelles responsabilités ne lui laissent guère le choix.
Le 4 décembre, à son retour du Liban, où il était en voyage, la confusion la plus totale régnait à Conakry. C’est pourtant tout naturellement que le Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD) et le gouvernement ont confié l’intérim du chef de la junte, en convalescence au Maroc, à Konaté, qui est aussi le numéro trois du CNDD et son second vice-président.
Toto avant lui
Un choix logique, pour au moins trois raisons. D’abord, parce que c’est grâce à lui que Dadis a pu accéder au pouvoir, le 23 décembre 2008. Ensuite, parce que le général Mamadouba Toto Camara, numéro deux du CNDD, venait de subir une opération chirurgicale au royaume chérifien (comme Dadis !) et n’était pas en mesure d’assurer l’intérim. S’il a été préféré à Konaté il y a un an pour devenir numéro deux de la junte, c’est qu’il était beaucoup plus âgé et plus gradé que lui (le Tigre a été promu général après le 23 décembre). Enfin, parce que Konaté, dont on vante la loyauté et les faits d’armes, a davantage d’influence sur la troupe.
Mère d’origine libanaise
Ce fils de commandant, qui a suivi plusieurs formations et a été au front, est, avec l’armée, en terrain de connaissance. Né à Conakry en 1964 d’un père malinké musulman, originaire de Kankan (dans l’Est), et d’une métisse libano-guinéenne chrétienne, Konaté a grandi dans un milieu plutôt privilégié. Il obtient son baccalauréat en 1983, entre dans l’armée deux ans plus tard, puis, admis à l’Académie royale militaire de Meknès, part pour le Maroc. En 1990, il rentre au pays. En 1992, il fait un stage à l’École d’application de l’infanterie de Montpellier et suit une formation à l’École des troupes aéroportées de Pau, dans le sud de la France. Plus tard, en 1995, il intègre l’Ecomog, la force d’interposition de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), chargée d’assurer la sécurité au Liberia et en Sierra Leone. Il reste à Freetown jusqu’en 1999.
Après une nouvelle formation en Chine, il regagne la Guinée en 2000. Il est alors nommé à la tête des « Rangers » (combattants) de Macenta, à la frontière libérienne, qui deviendra le théâtre de violents affrontements entre l’armée guinéenne et des rebelles venus du Liberia et de la Sierra Leone. Son ardeur au combat lui vaut alors le surnom de « Tigre ».
Il quitte la zone en 2007, appelé à la rescousse par Lansana Conté : le président guinéen veut mater les mutineries périodiquement fomentées par Moussa Dadis Camara et Claude Pivi, l’actuel ministre de la Sécurité présidentielle, avec qui Konaté entretient aujourd’hui de bonnes relations.
En 2008, Conté le nomme commandant du Bataillon autonome des troupes aéroportées (Bata), une unité d’élite basée au camp Alpha-Yaya-Diallo. Le 23 décembre 2008, au lendemain de la mort de Conté, c’est au Bata que Sékouba Konaté et Moussa Dadis Camara décident de prendre le pouvoir. C’est le début d’une camaraderie sans histoire jusqu’à la tuerie du 28 septembre 2009.
Si, depuis plusieurs mois, des rumeurs faisaient état de désaccords profonds entre les deux hommes en raison de la volonté de Dadis de se présenter à l’élection présidentielle et de conserver le pouvoir, les faits ont montré que le Tigre lui est longtemps resté fidèle. Le 29 mars 2009, lors du premier grand meeting de soutien à la junte organisé au stade du 28-Septembre, il était à ses côtés. Lorsque militaires, policiers et gendarmes, genou à terre, juraient sur le Coran et sur la Bible « fidélité au capitaine Moussa Dadis Camara », il était là, encore et toujours. Et il se rendait régulièrement dans les grandes villes pour y faire l’apologie du CNDD et de son chef. Allant jusqu’à déclarer, le 5 septembre, à Fria (à 160 km de la capitale) : « Si le capitaine s’est présenté à cette élection, c’est parce que vous l’avez réclamé. Il entend respecter la volonté du peuple et le verdict des urnes. »
Il avait « Toumba » à l’œil
À Conakry, son domicile de Taouyah ne désemplissait jamais. Selon des voisins, des groupes de jeunes et de femmes en ressortaient systématiquement avec des paquets de tee-shirts à l’effigie de Dadis.
Ces allées et venues ont cessé après le massacre du stade et l’arrestation avortée du lieutenant Aboubacar « Toumba » Diakité, à laquelle Dadis s’est opposée. Selon une source proche du camp Alpha-Yaya-Diallo, cela faisait des mois que le Tigre avait à l’œil le jeune lieutenant. Sa méfiance avait redoublé lorsque, au début de septembre, des militaires avaient accusé Toumba d’avoir emprisonné et torturé des éléments censés être hostiles à Dadis.
Ce même mois de septembre, moins de quinze jours avant le drame du stade, le général Konaté défendait encore la cause de son ami Dadis hors des frontières guinéennes. Comme à Paris, où, après quelques réticences, sa délégation avait été reçue par Alain Joyandet, le secrétaire d’État à la Coopération, ainsi que par des conseillers de l’Élysée et du ministère des Affaires étrangères. Outre ce voyage officiel, il en a fait beaucoup d’autres, à titre parfois personnel.
Des amis controversés
Depuis la mi-juillet, il s’est rendu plusieurs fois au Maroc pour y passer des examens médicaux. Aucune information officielle n’a jamais été donnée sur son état de santé. Il souffrirait d’une maladie du foie liée à un abus d’alcool. Quant au Liban, son autre destination privilégiée, il y a fait plusieurs voyages d’affaires, organisés par ses amis Roda Fawaz et Ali Saadi, qui y sont consuls honoraires. Malgré leurs fonctions, ces derniers passent la majeure partie de leur temps à Conakry et fréquentent assidûment Konaté. À en croire certaines sources, ils chercheraient ensemble des fournisseurs en riz, en produits pétroliers et en équipements divers. Fawaz a déjà été accusé de trafic d’armes, ce qu’il dément. Saadi et lui passent aussi pour des proches de Lansana Kouyaté, l’ancien Premier ministre, que l’on soupçonne de soutenir Dadis. Konaté s’est également rendu en Turquie et en Ukraine pour y négocier la fourniture de matériels militaires, ainsi qu’au Sénégal et au Gabon.
Aux commandes depuis le 4 décembre, Sékouba Konaté engage une partie périlleuse. La Guinée attend désormais de découvrir la « méthode Sékouba ». Ses proches jurent qu’il mettra toute son énergie à assurer la sécurité du pays et conduire une transition apaisée. « C’est un homme simple, qui n’aime ni le pouvoir ni les honneurs. Ce qu’il veut, c’est recommencer à aller tranquillement dans les maquis avec ses amis », disent-ils…
Article paru dans Jeune Afrique n°2553 du 13 au 19 décembre 2009
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