Quand Ben Ali rompt la glace
Le président de la République exhorte ses ministres à prendre leurs responsabilités. Et se pose en défenseur de la démocratie, du pluralisme et de la liberté de la presse.
Il clame que le gouvernement « agit dans un pays démocratique et pluraliste, où l’information est libre et le citoyen responsable ». Il juge « désormais impératif que les membres du gouvernement rompent avec l’hésitation dans la prise de décision sous prétexte d’attendre des consignes ou des ordres venant d’en haut ». Il précise que « nous [le pouvoir exécutif, NDLR] devons respecter l’opinion contraire, accepter la critique constructive, tirer profit de toute suggestion judicieuse et de toute évaluation utile, et fournir aux journalistes et aux citoyens l’information exacte et le renseignement voulu, avec franchise et réalisme ».
Il, c’est le président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali. C’était le 22 janvier, à l’ouverture du premier Conseil des ministres depuis le remaniement du 14 janvier. Les propos du chef de l’État ont eu un grand retentissement étant donné les sujets abordés, sur lesquels on est habituellement frileux.
Avancées concrètes ?
L’allocution a été retransmise à plusieurs reprises par les chaînes de télévision et a fait la une des médias. Le quotidien progouvernemental La Presse lui a consacré quatre pages de commentaires – évidemment élogieux – émanant d’universitaires, de journalistes, de parlementaires, d’avocats, de chefs d’entreprise, d’écrivains, d’hommes politiques, d’ingénieurs et d’étudiants. Le rappel présidentiel aux membres du gouvernement selon lequel ils agissent dans un pays démocratique et pluraliste, où l’information est libre et le citoyen responsable, figure parmi les points les plus commentés. Pour Laroussi Nalouti, membre du Conseil supérieur de la communication, « le chef de l’État offre une nouvelle fois au secteur de l’information l’occasion de rattraper son retard ».
Les propos de Ben Ali vont-ils se traduire par des avancées concrètes en matière de libertés ? Les sceptiques craignent qu’ils ne restent lettre morte. « Il y a quelques années, commente un avocat sous le sceau de l’anonymat, la télévision nous a montré Ben Ali en train de dire aux journalistes qu’ils n’avaient qu’à libérer leurs plumes des tabous. Mais les tabous sont restés. Espérons cette fois que Ben Ali n’aura pas prêché dans le désert. »
Le président s’adressait-il seulement à son gouvernement ? Le jour même de son allocution, le Parlement européen, à l’initiative de la gauche et des Verts, a été le théâtre d’un débat sur le même thème, au cours duquel ont été évoqués l’emprisonnement d’au moins trois journalistes – dont Taoufik Ben Brik –, de plusieurs étudiants – dont le secrétaire général de l’Union générale des étudiants de Tunisie (Uget), Ezzedine Zaatour –, et le harcèlement des défenseurs des droits de l’homme. La nouvelle commissaire aux Affaires étrangères de l’Union européenne, Neelie Kroes, tout en qualifiant la Tunisie de « partenaire proche et fiable », a déclaré qu’elle attendait du pays « qu’il fasse des progrès en matière de réformes démocratiques et de liberté d’expression ».
« Graves incohérences »
À l’issue d’une enquête en Tunisie du 22 au 26 janvier, Martin Scheinin, rapporteur spécial de l’ONU pour la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, a noté de « graves incohérences entre la loi [antiterroriste de 2003, NDLR] et ce qui se passait dans la réalité ». Il a notamment relevé que « dans la majorité des cas, de simples intentions sont punies, qu’il s’agisse de planification ou d’appartenance, cette dernière notion renvoyant à des organisations ou groupes vaguement définis », et que l’application de la loi antiterroriste « est beaucoup trop large et devrait être limitée ». Le 21 janvier, la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton a cité la Tunisie en deuxième position, derrière la Chine, parmi les pays qui, selon elle, ont accentué la censure sur internet. Les réformateurs tunisiens ont du pain sur la planche.
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