Le jatropha, nouvel arbre à palabres
Les projets de production de biocarburant à partir de cette plante se multiplient en Afrique subsaharienne… mais sont loin de faire l’unanimité.
Plante miracle ou arbuste maudit ? Entre ses partisans acharnés, multinationales et politiciens en tête, et ses détracteurs, ONG et syndicats paysans, la polémique sur le jatropha fait rage. Les premiers voient dans la culture de cette plante oléagineuse un moyen de reverdir le Sahel tout en produisant du biocarburant, les seconds prédisent un désastre pour la petite paysannerie africaine et son environnement.
Depuis cinq ans, les géants verts de l’agrobusiness africain ne jurent que par cette plante. Le pétrolier BP s’est même associé avec la société britannique D1 pour créer un joint-venture dédié spécialement au jatropha. Celui-ci affiche l’ambition de cultiver 1 million d’hectares d’ici à quatre ans. L’allemand Deutsche Biodiesel ou encore l’Indian Oil Corporation (IOC) louent et achètent des terres ou des graines de jatropha.
Madagascar, la Tanzanie, le Mali et le Ghana sont les pays en pointe en Afrique, et la Côte d’Ivoire songe sérieusement à s’y mettre. L’industriel BPR Afrique, qui organisait un séminaire sur le sujet en novembre dernier, fait du lobbying à Abidjan pour monter une filière dans le pays.
La fin des petits paysans ?
Jusqu’à ce que les chercheurs le sortent de son anonymat, à la fin des années 1970, le jatropha poussait tranquillement en Afrique sans embêter personne, planté en haies par les paysans pour délimiter leurs parcelles. Introduites au XVIIe siècle par les Portugais depuis l’Amérique du Sud, les graines de cette plante, connue aussi sous le nom de pourghère (tabanani en wolof ou bagani en bambara), étaient utilisées comme purgatif dans la pharmacopée traditionnelle.
Selon les scientifiques, on est loin de tout connaître sur cet arbuste et sur les risques associés à sa culture intensive. « Aucune étude sérieuse n’a été publiée », indique Michel Partiot, directeur du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) en Afrique de l’Ouest. « Les racines plongent à 5 m dans le sol. Une fois engagé dans cette culture, il est difficile pour un petit paysan de revenir en arrière. Il n’a pas les moyens de se payer le bulldozer nécessaire à l’arrachage », ajoute le scientifique.
Des inquiétudes partagées par le collectif d’ONG et d’organisations paysannes Les Agrocarburants, ça nourrit pas son monde*. « Contrairement à ce qu’on nous dit, ces grandes sociétés ne vont pas s’installer sur les terres les plus arides, explique Ambroise Mazal, membre du collectif. Le jatropha peut pousser presque partout, mais il ne donne son meilleur rendement que sur les terrains irrigués, qui sont donc privilégiés par les industriels, et il est en concurrence directe avec les cultures pour l’alimentation. »
Autre critique, ce modèle de grande plantation détruit la petite paysannerie, poussant les agriculteurs indépendants à devenir ouvriers agricoles. À Tamale, dans le nord du Ghana, l’agence de presse des Nations unies Irin a fait état d’un conflit entre des paysans qui affirment avoir été expulsés de force au profit de plantations de jatropha par l’entreprise norvégienne Biofuel Africa (laquelle dément). À Madagascar, les paysans de la région de Tuléar ont saboté en 2007 les plantations de la société britannique Green Energy Madagascar (GEM).
Mais la culture du jatropha n’est pas totalement rejetée par les paysans et les ONG : « Si l’on évite l’écueil de la monoculture et si le paysan reste maître sur ses terres, le jatropha, associé au maïs et au mil, est intéressant à la fois pour l’agriculteur comme pour l’industriel », explique Victor Tiendrébéogo, député burkinabè et chef traditionnel connu et respecté.
Bon rendement
« Un petit paysan peut produire chaque année entre 5 et 10 t de graines et gagner de 240 000 à 600 000 F CFA (entre 365 et 914 euros), un complément de revenu appréciable à ce qu’il tire de ses céréales », explique le député, qui a monté une petite usine de pressage à 60 km de Ouagadougou. Selon M. Tiendrébéogo, depuis 2007, ce sont pas moins de 62 000 producteurs burkinabè qui ont adopté le jatropha pour une surface cultivée d’environ 70 000 ha.
La production de carburant n’est pas destinée à l’export mais aux 300 plates-formes villageoises d’électrification, capables de fonctionner à la fois au jatropha et au diesel classique. Ce modèle en « circuit court » se déploie aussi au Mali, appuyé par le Cirad et l’entreprise française Agrofuel. « L’huile nous permet aussi de fabriquer des savons, de l’huile pour les cheveux. Nous compostons les résidus pour fabriquer de l’engrais. Associé à des céréales, le jatropha fertilise les sols et favorise une meilleure irrigation », énumère Victor Tiendrébéogo. Dans le jatropha, tout (ou presque) serait bon… à condition de le cultiver à une échelle raisonnable.
* Membres du collectif Les Agrocarburants, ça nourrit pas son monde : Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), Oxfam, Synergie paysanne (Bénin), Fase (Brésil), Cinep (Colombie), Les Amis de la Terre.
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