Qui a peur des archives d’Arafat ?
L’Autorité palestinienne souhaite rapatrier à Ramallah les documents personnels laissés à Tunis par le « Vieux », lors de son départ, en 1994. Les négociations traînent en longueur et les spéculations vont bon train : « trésor » ou « bombe à retardement » ?
Tunis, quartier résidentiel de Mutuelleville. Sur l’avenue Jugurtha, une modeste villa est la cible d’une drôle de chasse au trésor. Entre 1982 et 1994, à l’époque où, chassée du Liban, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) avait trouvé refuge dans la capitale tunisienne, Yasser Arafat y vécut. En 1994, à son retour à Gaza et en Cisjordanie un an après la conclusion des accords d’Oslo (qui prévoyaient – promesse jamais tenue – un retrait israélien des territoires occupés en 1967 et l’instauration d’un État palestinien), le chef historique de la résistance palestinienne préféra y laisser à l’abri ses archives privées. Depuis, la bâtisse, qui comporte deux niveaux, est placée sous la garde conjointe des services de sécurité tunisiens et de quelques hommes maintenus à Tunis de la garde présidentielle palestinienne, qu’on appelait jadis la Force 17.
Petits carnets
Que contiennent donc ces archives pour être à ce point convoitées ? Elles rassemblent évidemment des documents antérieurs à 1994, dont certains remontent sans doute aux années 1960. Il est probable que s’y trouvent des correspondances échangées entre Arafat et des chefs d’État et hommes politiques étrangers, des PV de réunion, des documents financiers (y compris les fameux petits carnets dont Arafat ne se séparait jamais et où il tenait sa comptabilité bancaire), ainsi que des notes demeurées secrètes. Un « trésor », estiment certains. Une « bombe à retardement », écrivait le 19 janvier le site internet debka.com, qui se définit comme indépendant, mais dont les analyses sur le Moyen-Orient sont souvent proches de celles des services israéliens.
Ces derniers ont, de tout temps, fait la chasse aux archives d’Arafat. En 2002, lors d’une attaque de Tsahal contre la Mouqataa, le QG du chef de l’OLP à Ramallah, en Cisjordanie occupée, ils se sont emparés de dizaines de milliers de documents accumulés par lui depuis 1994. « Dans une certaine mesure, raconte Miri Eisin, un colonel dans le renseignement qui a participé à l’opération, nous leur avions pris leur mémoire, nous leur avions pris leur base de données. »
Depuis le décès du « Vieux », le 11 novembre 2004, dans des conditions, comme l’on sait, suspectes, l’Autorité palestinienne, présidée par Mahmoud Abbas, s’efforce elle aussi de récupérer les fameuses archives tunisoises pour les rapatrier à Ramallah. À plusieurs reprises au cours des derniers mois, ses représentants ont fait part de leur souhait aux autorités tunisiennes. Devant les atermoiements de ces dernières, ils ont proposé de photocopier les documents, puis sont revenus à la charge lors de la visite à Tunis, du 22 au 26 février, de Said Abou Ali, le « ministre » palestinien de l’Intérieur, en compagnie de trois généraux : Ziad Hab Errih, chef de la Sécurité préventive, Hazem Atalla, directeur général de la police, et Radhouane el-Helou, responsable des finances.
Tensions et démentis
La délégation n’a pas obtenu que l’affaire soit inscrite à l’ordre du jour des entretiens, qui se sont limités aux « questions liées à la promotion des relations bilatérales ». Certains journaux au Moyen-Orient ayant, à cette occasion, évoqué des « tensions », les deux parties ont publié simultanément des démentis soulignant l’excellence de leurs relations (« solides », « privilégiées »). Dans l’immédiat, les archives resteront donc à Tunis, d’autant que les ayants droit d’Arafat, en premier lieu Zahia, sa fille aujourd’hui âgée de 15 ans, Souha, sa veuve, et Nasser al-Kidwa, son neveu, ont en principe leur mot à dire. En privé, des sources palestiniennes se déclarent convaincues qu’une commission mixte sera amenée, dans quelques mois, à réexaminer l’affaire sous un angle technique.
Si elle est repartie à Ramallah les mains vides, la délégation palestinienne a profité de l’occasion pour achever le démantèlement des institutions de l’OLP encore en place dans la capitale tunisienne. Le département des affaires politiques notamment, qu’Arafat souhaitait maintenir loin des regards israéliens, va être transféré à Ramallah.
Farouk Kaddoumi (alias Abou Lotf), son chef, établi à Tunis depuis vingt-huit ans, est l’un des fondateurs du Fatah et de l’OLP. Il s’est toujours opposé aux accords d’Oslo négociés par Abbas et refuse de rentrer dans les territoires occupés avant le départ du dernier soldat israélien. Pour lui, Ramallah est un « piège » dans lequel les dirigeants de la résistance se sont laissé enfermer. La tenue dans cette ville, en août 2009, d’un congrès du Fatah est donc à ses yeux totalement « illégitime ».
Abbas mis en cause
En juillet de cette même année, Kaddoumi n’a pas hésité à rendre public un document, qu’il affirme tenir d’Arafat en personne, suggérant qu’Abbas était informé des plans d’Ariel Sharon pour éliminer le chef de la résistance. Abbas a naturellement démenti et aussitôt écarté Kaddoumi de toute responsabilité au sein du Fatah. En sa qualité de membre du comité exécutif de l’OLP, dont il se considère un représentant diplomatique légitime, ce dernier conserve toutefois ses bureaux à Tunis. Il est désormais le seul haut responsable palestinien à y résider.
Mohamed Ghoneim (alias Abou Maher), un chef historique du Fatah qui gérait les affaires du mouvement, a quant à lui fermé son bureau à Tunis le 1er février, dans la plus grande discrétion, pour s’installer à Ramallah, où Abbas l’a nommé ministre sans portefeuille dans le gouvernement provisoire dirigé par Salem Fayyad. Moins chanceux, quelque trois cents cadres et employés de l’OLP et du Fatah, dont plusieurs dizaines d’officiers, se retrouvent abandonnés à un sort précaire, à Tunis. La plupart ont été mis à la retraite d’office. D’autres ont été repris – mais dans quelles conditions et pour combien de temps ? – par l’ambassade de Palestine.
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