De nombreuses plaintes, mais peu de suites
Combien sont-ils, les Rwandais soupçonnés d’avoir activement participé au génocide, à s’être réfugiés en France ? Impossible à dire. « Ces personnes n’apparaissent que lorsqu’une procédure est engagée contre eux. Mais elles sont nombreuses à y échapper », note André Guichaoua, spécialiste du génocide*, expert auprès du bureau du procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).
Depuis 1995, dix-sept plaintes ont été déposées par le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), basé à Reims. La plupart n’ont pas dépassé le stade de l’ouverture d’une information judiciaire, au grand dam des collectifs de victimes. En Belgique, le quatrième procès d’un génocidaire présumé s’est déroulé en novembre dernier. En France, aucune extradition ni aucun jugement. Mais « cela pourrait arriver très vite », indique une source judiciaire.
Paradoxalement, le premier procès d’un génocidaire présumé en France pourrait concerner l’une des dernières personnes arrêtées : Pascal Simbikangwa. Cet ancien responsable des services de renseignements, surnommé à l’époque « le Tortionnaire » et accusé par Kigali d’avoir appartenu au cercle restreint des planificateurs des massacres, a été arrêté en octobre 2008 à Mayotte (océan Indien) pour une affaire… de trafic de papiers. Confondu depuis grâce aux fichiers d’Interpol, il a été mis en examen le 16 avril 2009 pour génocide et complicité de génocide, crime organisé. Transféré à Paris en novembre 2009, il croupit actuellement à la prison de Fresnes. « Son dossier est le plus avancé. Il a eu un rôle éminent », indique la source judiciaire.
Deux autres personnes ont été mises en examen et font l’objet d’un contrôle judiciaire : le père Wenceslas Munyeshyaka, ancien curé de la paroisse Sainte-Famille, à Kigali, et Laurent Bucyibaruta, ancien préfet de Gikongoro. Tous deux sont accusés par le TPIR de génocide et de crimes contre l’humanité. Le premier a été arrêté à trois reprises, en 1995 et deux fois en 2007, puis relâché pour vice de procédure. Le second avait été interpellé une première fois en 2000 ; il a été de nouveau arrêté en juillet 2007, en même temps que le père Wenceslas, et libéré pour les mêmes raisons.
D’autres Rwandais ont été incarcérés puis relâchés ces dernières années, parmi lesquels Marcel Bivugabagabo (en janvier 2008), un ancien gradé de l’armée qui a refait sa vie à Toulouse, et Sosthène Munyemana (en janvier dernier), un gynécologue de Butare, listé par le TPIR, qui officiait aux urgences de l’hôpital de Villeneuve-sur-Lot, dans le Sud-Ouest. Une information judiciaire a été ouverte en février 2008 contre un autre médecin, Eugène Rwamucyo, condamné à perpétuité dans son pays, qui exerce à Maubeuge, dans le Nord.
Manque de témoignages sérieux
Ces cas médiatisés pourraient cependant aboutir à des relaxes, en l’absence de témoignages sérieux. « Les associations portent plainte contre des préfets ou des prêtres, mais certaines personnes ont eu bien plus de responsabilités et ne sont pas inquiétées. Pourtant, elles vivent en France », affirme un spécialiste qui tient à garder l’anonymat. Selon lui, les « vrais tueurs » savent qu’ils doivent se cacher s’ils ne veulent pas être inquiétés.
Les choses pourtant pourraient changer. Longtemps accusée par Kigali de freiner les instructions judiciaires touchant à des génocidaires présumés, condamnée en 2004 par la Cour européenne des droits de l’homme pour la lenteur de sa procédure dans le jugement de l’un d’eux, la France devrait se doter très prochainement d’un outil plus efficace. Le 3 mars, la ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie, a en effet présenté en Conseil des ministres un projet de loi qui crée un pôle spécialisé dans les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.
* Il vient de publier : Rwanda, de la guerre au génocide, La Découverte, 2010.
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