ATT montre l’exemple
En renonçant à modifier la Constitution pour pouvoir briguer la présidence une troisième fois, Amadou Toumani Touré a surpris agréablement son monde. Ses pairs africains seraient bien venus de s’en inspirer.
Le slogan était déjà prêt : « Troisième pont, troisième mandat » – allusion au projet de construction d’un nouveau pont sur le fleuve Niger pour désengorger la ville de Bamako. Et les troupes commençaient à se mettre en ordre de bataille. Certains avançaient masqués, comme ce conseiller à la présidence qui signait des tribunes dans la presse malienne en se faisant passer pour un juriste de Montpellier, en France. D’autres, plus courageux, soutenaient ouvertement leur champion, comme le député Hamadaou Sylla. Mais de plus en plus de militants se croyaient en mesure de convaincre le président Amadou Toumani Touré (ATT) qu’il fallait modifier la Constitution pour pouvoir briguer un troisième mandat en 2012. Confidence d’un proche d’ATT à un membre d’une délégation étrangère : « Nous, on veut rester. Il faut nous aider, hein ? »
Le 19 avril, patatras ! Ce jour-là, à Bamako, ATT reçoit les juristes d’une commission qu’il a créée deux ans plus tôt pour lui faire des propositions de réforme constitutionnelle. Pas un mot sur le nombre de mandats présidentiels. Sous-entendu : ils sont limités à deux, et on n’y touche pas. Aussitôt, la presse malienne titre : « Troisième mandat, c’est fini pour ATT » (Info Matin). Les opposants, eux, restent vigilants. Mais ils sont confiants. « Les courtisans zélés, c’est la grande plaie en Afrique. J’espère que mon frère, le président ATT, se hissera au-dessus de ces contingences pour être à la hauteur de l’Histoire » (Ibrahim Boubacar Keita). « Nous allons à contre-courant du mouvement de restauration des pouvoirs autoritaires en Afrique. Les Maliens vivent cela avec un petit brin de fierté » (Tiebile Dramé).
Pourquoi ATT renonce-t-il à un troisième mandat ? D’abord, parce qu’il ne s’est jamais déclaré ouvertement en faveur d’une telle réforme. Habilement, il a laissé dire sans s’engager. Ensuite, parce que, ces derniers mois, il a sans doute hésité entre la tentation d’y aller et le risque d’y laisser sa réputation. Comme le dit l’un de ses anciens ministres, « le président a bâti son autorité sur sa crédibilité à l’étranger… Difficile de la ruiner d’un seul coup ».
ATT prisonnier de son image ? Pas seulement. ATT fidèle à lui-même et à cette année 1992 où il a quitté volontairement le pouvoir une première fois. ATT fidèle aussi à Alpha Oumar Konaré. En 2002, au terme de deux mandats, l’ex-président est parti. En 2012, ATT ne pourrait pas rester sans trahir son illustre prédécesseur. Enfin, le 18 février, un événement a fini par faire reculer les derniers fanatiques du troisième mandat. C’est le coup d’État contre Mamadou Tandja. Dans son entêtement à rester au pouvoir, le chef de l’État nigérien a coalisé contre lui la rue et l’armée. Alliance fatale à Niamey… De quoi faire réfléchir à Bamako.
On promet, puis on oublie
Apparemment, le vent de l’Histoire souffle en faveur des adeptes du troisième mandat. Depuis 2001, pas moins de neuf régimes africains ont supprimé la limite des deux mandats au maximum (voir ci-dessous). Dernière révision en date : à Djibouti, le 19 avril dernier, le jour même où ATT y a renoncé ! Et l’opposition djiboutienne de fustiger « la porte ouverte à une présidence à vie pour Ismaël Omar Guelleh ». Après l’ouverture démocratique des années 1990, les sortants reprennent la main. Après la grande marée sur La Baule, c’est le ressac ! Mieux, les présidents qui s’offrent un troisième mandat invoquent le droit des électeurs à choisir librement. « Nous allons réexaminer les dispositions de notre Constitution afin de répondre aux attentes de la grande majorité de notre population », déclarait Paul Biya, le président camerounais, en décembre 2007.
Pour autant, les champions du troisième mandat n’ont pas tous bonne conscience. Plusieurs chefs d’État promettent de ne pas succomber à la tentation… puis se ravisent. Le Togolais Gnassingbé Eyadéma, en 1999 : « À la fin de mon mandat, en 2003, j’irai me reposer au village. La Constitution, je la respecterai. Parole de soldat ! » Le Tchadien Idriss Déby Itno, en 2001 : « Je ne serai pas candidat en 2006. Je ne modifierai pas la Constitution. Je le dis haut et fort ! » On promet pour rassurer l’opinion qui redoute une présidence à vie. Puis on oublie sa promesse…
Au Burkina, on voit loin
Aujourd’hui, la scène burkinabè est un cas d’école. En 1997, Blaise Compaoré a fait sauter le verrou des deux mandats. Trois ans plus tard, à la suite de l’émoi suscité par l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, il l’a réintroduit. Aujourd’hui, ses partisans veulent s’en débarrasser à nouveau. « La limitation du mandat est antidémocratique. Cela va à l’encontre du droit du citoyen à désigner qui il veut », a lancé Roch Marc Christian Kaboré, le président de l’Assemblée. C’était le 6 février – douze jours avant le coup d’État au Niger.
Au Burkina, on voit loin. L’enjeu n’est pas la présidentielle de novembre prochain, mais la suivante, celle de 2015. Déjà, la société civile lance une campagne de signatures pour faire bloquer le projet. Le mois dernier, à l’initiative d’un collectif anti-troisième mandat, une photo de Barack Obama était placardée dans les rues de Ouagadougou à côté d’une citation de son discours d’Accra de juillet 2009 : « Alors, ne vous y trompez pas, l’Histoire est du côté de ces courageux Africains, et non dans le camp de ceux qui modifient les Constitutions pour rester au pouvoir. L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes. » L’affiche (1,50 x 1,50 m) était posée sur des panneaux publicitaires dûment payés. Au bout de quelques heures, elle a été arrachée, mais le débat ne fait que commencer.
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9 pays ont fait sauter le verrou de la limitation des mandats présidentiels depuis 2001 :
La Guinée en 2001, la Tunisie et le Togo en 2002, le Gabon en 2003, le Tchad et l’Ouganda en 2005, le Cameroun et l’Algérie en 2008 et Djibouti en 2010.
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