Islam contre islamisme
Le gouvernement, depuis un an, combat la doctrine des terroristes en lui opposant une conception mauritanienne de la religion, faite de tolérance et de non-violence. Il s’appuie pour cela sur les imams et les érudits, avec des succès divers.
Le gouvernement mauritanien n’emploie pas seulement la manière forte pour contrer Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). D’un côté, il a élaboré une stratégie militaire classique, qui a notamment conduit à la construction de 45 postes-frontières et à la formation de trois « Groupements spéciaux d’intervention », des unités mobiles de 200 hommes entraînés à quadriller le désert. De l’autre, il mène une bataille moins visible et plus feutrée, inédite dans le pays, sur le terrain des idées. Elle consiste à déconstruire la doctrine va-t-en-guerre colportée par Aqmi.
En mars dernier, le ministère de l’Orientation islamique organisait à Nouakchott un congrès au programme explicite : « Islam médian, application et compréhension. » Il faisait écho à un colloque « pour une interprétation exacte de l’islam », tenu deux mois plus tôt et réunissant, quatre jours durant, oulémas (les docteurs de la loi), imams et intellectuels.
500 imams vont être recrutés
Dans les deux cas, le gouvernement souligne que les appels à la guerre sainte d’Aqmi, son prosélytisme et sa haine des « mécréants » sont autant de dévoiements de l’islam. Il se réfère à la tradition musulmane mauritanienne, fondée sur le rite malékite – pratiqué dans la plupart des pays africains –, souple dans l’interprétation des textes.
« Il s’agit de transmettre un message de non-violence et de rappeler que les musulmans ont un devoir de protection des étrangers », précise le ministre de la Communication, Hamdi Ould Mahjoub. Le gouvernement entend utiliser les imams comme courroies de transmission. À plusieurs reprises, le ministre de l’Orientation islamique, Ahmed Ould Neini, est allé à leur rencontre à l’intérieur du pays. Il en a aussi organisé le recensement, dont les résultats devraient être connus d’ici à un mois. Mi-juin, il a annoncé le recrutement sur concours de 500 imams, qui recevront un salaire mensuel de 50 000 ouguiyas (150 euros). Objectif officiel : enrayer la paupérisation de la profession. Cela devrait aussi atténuer sa dépendance à l’égard du Golfe. Depuis le début des années 1990, les pays de la région, Arabie saoudite en tête, financent en effet les imams ainsi que la construction de mosquées. Selon Yahya Ould el-Bara, anthropologue, près de 70 % des mosquées sont concernées (le pays en compterait environ 1 800). À l’influence financière s’ajoute celle du wahhabisme, rite pratiqué en Arabie saoudite, plus rigoriste et plus proche de la vulgate d’Aqmi que le malékisme.
La réponse des imams aux sollicitations du politique est en demi-teinte. Certains, comme le très respecté Hamden Ould Tah, 77 ans, président du Forum de la pensée islamique et du dialogue des civilisations, abondent dans son sens. « L’islam, en Mauritanie, est modéré, dit Cheikh Ould Zeine, ouléma et secrétaire général du Forum. On peut bien s’entendre avec l’Occident tout en étant musulman. C’est ce que nous voulons faire comprendre. »
Protéger le malékisme des influences extérieures
Il n’est pas le seul à vouloir protéger le malékisme des influences extérieures. Hacen Ould Dedew, lui, se singularise. Formé en Arabie saoudite, cet érudit de 44 ans, rendu célèbre par ses fatwas (notamment contre toute relation avec Israël), a conduit des discussions avec les prisonniers salafistes, en janvier dernier, afin de les inciter à renoncer au djihad. Il a néanmoins dénoncé la condamnation à mort, en mai, de trois d’entre eux, reconnus coupables d’avoir assassiné quatre touristes français. Très écouté par les fanatiques, il est la pièce maîtresse de la campagne pédagogique du gouvernement. Le sachant bien, il préserve jalousement son indépendance. Et incarne à lui seul les nuances et les difficultés de la guerre des idées.
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