Kad Merad : « Je n’ai jamais renié mes origines »
L’acteur français le plus en vogue joue un immigré qui se fait appeler Dino Fabrizzi plutôt que Mourad Ben Saoud. Un rôle qui a obligé ce fils d’Algérien à repenser à sa propre histoire.
Déjà bien connu depuis les années 1990 grâce à ses sketchs à succès, menés avec son complice Olivier, Kad Merad est devenu en 2008 l’une des célébrités françaises les plus importantes après avoir joué le rôle vedette du film Bienvenue chez les Ch’tis. Cette comédie de Dany Boon, qui a dépassé les 20 millions d’entrées dans l’Hexagone, reposait sur la performance de son acteur principal, jouant un employé de La Poste marseillais nommé dans le Nord. Où le choc des cultures provoquera quantité de scènes burlesques.
Depuis, l’ancien adolescent de la banlieue parisienne leader de groupes de rock, comédien qui a débuté en jouant Racine et Molière avant de devenir acteur comique, n’arrête plus de tourner. On l’a vu dans une bonne quinzaine de films, du Petit Nicolas à RTT, ces deux dernières années. Sans abandonner pour autant sa complicité avec son compère Olivier Baroux, devenu lui-même réalisateur. C’est ainsi qu’il a tenu le premier rôle de ses deux derniers films, Safari et L’Italien, qui est sorti à Paris le 14 juillet.
L’Italien en question, Dino Fabrizzi, s’appelle en fait Mourad Ben Saoud. Vendeur dans une concession Maserati à Nice, cet Algérien travaille sous un faux nom afin de contourner les préjugés racistes. Un arrangement avec la réalité qu’il assume – « Je ne mens pas, je compose avec une société imparfaite » – et que nul ne connaît, à part son meilleur ami. Jusqu’au jour où son père malade lui demande tout à coup de faire le ramadan à sa place. S’ensuivent évidemment toute une série d’événements parfois drôles, parfois émouvants, qui vont bouleverser sa (double) vie.
Un scénario fait sur mesure pour Kad, de son vrai prénom Kaddour, fils d’un Algérien et d’une Française, né à Sidi Bel-Abbès. Il ne cache d’ailleurs pas à quel point il a été troublé par ce rôle de Dino-Mourad, qui l’a obligé à repenser à sa propre histoire. Il en parle sans détour. Et avec sa bonne humeur légendaire. Interview.
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Jeune Afrique : Si l’on vous dit « Algérie », que répondez-vous ?
Kad Merad : Algérie ? Je dis : souvenirs, souvenirs. De beaux souvenirs de vacances, joyeux, lorsqu’on allait là-bas l’été. Dans la famille de mon père, que j’aime beaucoup, même si je ne la vois pas souvent.
Vous êtes né en Algérie en 1964. Votre père, qui avait déjà émigré en France, avait-il alors l’intention de s’y réinstaller avec sa femme ?
Après les événements, après l’indépendance en 1962, mes parents ont décidé de s’y installer. Ma mère, qui était coiffeuse, voulait monter un salon à Bel-Abbès. Cela ne s’est pas bien passé et ils sont revenus en France. Je n’y ai donc vécu qu’un ou deux ans à peine.
Jusqu’où l’histoire de Mourad, qui se fait appeler Dino, croise-t-elle la vôtre ?
Ne faites pas peur aux gens, on ne raconte pas ma vie dans le film, c’est une comédie avant tout. Le personnage que je joue, c’est vrai, et pour la première fois, c’est au moins la moitié de moi : la moitié du côté de mon père. Mais cette histoire, c’est surtout celle de plein de gens en France qui ont des difficultés à cause de leur origine. Moi aussi, d’ailleurs, j’ai cru que mon prénom arabe m’empêcherait de réaliser mon rêve d’acteur. Un prénom, ça change tout, c’est hallucinant. Un simple prénom ! Mon père lui-même se faisait appeler Rémi.
Comment Kaddour est-il devenu Kad ?
J’ai commencé à travailler pour une radio locale dans la banlieue sud de Paris, à Évry, près de Ris-Orangis, où on habitait, qui passait du blues et du folk. Alors on m’a demandé de me trouver un nom qui colle avec ce style, qui sonne américain, et je suis devenu « Mister Kad ». Et Kad est resté. D’abord avec Kad et Olivier, puis, au cinéma, avec Kad Merad. Il ne s’agissait pas de changer de prénom comme dans le film. Et je n’ai jamais renié mes origines.
Vous n’avez jamais envisagé de changer radicalement de prénom ?
Si, je me suis appelé François. François Kaddour. Mais cela n’a duré qu’un après-midi, quand je me suis mis à faire du théâtre. Alors je me suis regardé dans la glace. Et je me suis dit que ce n’était pas possible, j’ai trop de respect pour mon père, pour ma famille. Donc, tant pis, je ferai des rôles d’Ahmed ou de Rachid, et puis peut-être que tout se passera bien.
Et pour votre père, comment cela s’est passé ?
Il ne me l’a jamais dit clairement, mais j’ai pu petit à petit reconstituer l’histoire. Il travaillait dans les années 1950 dans un atelier de fabrication de wagons de marchandises et, comme il était doué, il est devenu directeur technique. Il pensait qu’un Mohamed qui dirige des Français, à l’époque, ça le faisait pas. Je crois qu’il a décidé cela aussi pour la famille de ma mère. Vous savez, à ce moment-là, dans le Berry, un Algérien, c’était un indigène. C’est terrible, mais c’était comme cela. Pourquoi Rémi ? C’était venu en fait par des déformations successives de Mohamed sur son lieu de travail, et il a continué à se faire appeler ainsi.
Vous ne craignez pas que l’histoire se répète avec votre fils, Kalil ?
Je n’y ai pas pensé du tout. D’ailleurs, ce n’est pas mon père, vous savez, qui m’a appelé Kaddour, c’est ma mère qui a choisi des prénoms arabes pour tous ses enfants, ce qui était d’un courage insensé alors. Et si on a choisi Kalil avec ma femme, c’est tout simplement parce qu’on aime ce prénom. Il aurait pu s’appeler Marius. Mais après tout il a des origines arabes, mon fils, donc ça le lui rappellera et c’est très bien.
Et vos frères et sœur ? Ont-ils rencontré des problèmes ?
De l’angoisse en tout cas. Mon frère Karim, qui est assureur, a mis sur sa carte de visite K. Merad. Je ne l’ai jamais entendu se présenter comme Karim. Et ma sœur, Yasmina, elle s’appelle Mina pour tout le monde.
Vous n’êtes guère croyant ni pratiquant. Pas de crainte de blasphème en jouant un personnage qui se met tout à coup à faire le ramadan ?
Si ! C’est pourquoi j’ai tenu à ce que les scènes liées au ramadan soient le plus juste possible. Pour y arriver, j’avais un consultant avec moi. C’est une comédie, mais on ne fait pas une parodie de la religion. D’ailleurs, il y a un musulman qui a vu le film et qui m’a fait une remarque géniale : « C’est la première fois qu’on entend “Allah Akbar” (« Dieu est grand ») dans un film sans que cela soit lié au terrorisme. » Mais je suis un acteur : si je devais prier en hébreu, je le ferais aussi.
Scène du film L’Italien, en salle en France depuis le 14 juillet (Pathé distribution)
Le film, au lendemain du triste débat sur l’identité nationale en France, croise des sujets on ne peut plus actuels…
Oui mais on ne le savait pas quand on l’a préparé. Et, de toute façon, le sujet existe depuis des générations. Dans le film, Mourad veut se faire passer pour un Italien. Mais il y a soixante ans, ce sont les Italiens qui étaient montrés du doigt en France et qui connaissaient ce problème de préjugés.
Un film peut-il vraiment aider à combattre les préjugés ?
On ne cherche pas avec ce film à désigner les méchants et les gentils. Mais on aimerait bien qu’il pousse les gens en France à parler, à se dire qu’ils connaissent sans doute des personnes qui sont dans le même cas que Mourad. Ils comprennent bien pourquoi c’est mieux parfois de s’appeler Johnny Hallyday que Jean-Philippe Smet. Ils peuvent aussi se demander pourquoi un type qui s’appelle Mourad ou Rachid est incité à se faire appeler autrement. Devoir cacher sa culture d’origine, son passé, c’est autre chose quand même !
Justement, vous arrive-t-il de retourner en Algérie pour garder le lien avec ce passé ?
Je ne l’ai que très peu fait depuis longtemps. Mais justement j’en ai envie et je vais y retourner avec mes parents. Imaginez qu’il y a tout un village là-bas avec pratiquement que des Merad !
Que pensez-vous, vu de France, de l’Algérie d’aujourd’hui ?
C’est un pays qui a peut-être fait peur, mais ce n’est plus le cas. Il semble toujours un peu instable politiquement, comme s’il n’avait pas encore trouvé sa voie. Et on parle parfois de corruption. Mais c’est un pays magnifique.
Pour le Mondial, supportiez-vous plutôt la France ou plutôt l’Algérie ?
J’ai beaucoup plus vibré pour l’Algérie. C’était facile : je supportais simplement l’équipe qui jouait le mieux ! J’avais déjà été très heureux quand l’Algérie s’était qualifiée. Bien plus heureux que quand la France avait fait de même avec la main que vous savez.
Propos recueillis par C. Desloire et R. De Rochebrune
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Voir la bande-annonce du film l’Italien
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