Quand le CAC 40 joue la diversité

L’origine et la couleur de la peau restent des facteurs de discrimination dans le monde du travail. Si les grandes entreprises commencent à y remédier, les PME sont à la traîne.

Julien_Clemencot

Publié le 29 août 2010 Lecture : 5 minutes.

En France, mieux vaut s’appeler Alain que Mohamed, et le monde du travail ne fait pas exception à la règle. Dans un rapport publié, fin juin, sous le titre « La Promotion de la diversité dans les entreprises», le cabinet Deloitte ne peut que le constater : un homme pourvu d’un prénom maghrébin a, en moyenne, quatre à cinq fois moins de chances qu’un candidat pourvu d’un prénom français d’être convoqué à un entretien d’embauche. De même, selon l’Insee, les immigrés sont deux fois plus touchés par le chômage (15,2 %) que les Français (7,3 %).

Difficile pourtant d’aller plus loin dans l’analyse quantitative. La législation interdit en effet l’utilisation de statistiques prenant en considération l’appartenance ethnique, la couleur de peau ou la religion. Pour deux raisons. La première est la difficulté de définir de telles catégories. La seconde, et la principale, est le risque d’entériner une vision communautariste de la société : les Noirs, les Arabes, les Blancs, les musulmans, les juifs, les catholiques, etc.

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Impossible par conséquent de mesurer scientifiquement l’incidence de l’origine sur les parcours professionnels, ou la persistance d’un « plafond de verre » bloquant l’évolution des talents en raison de leur origine ou de la couleur de leur peau. « Personne n’est en mesure d’évaluer précisément l’efficacité des politiques mises en place pour favoriser la diversité, même si des progrès sont constatés », confirme Benjamin Blavier, de l’association IMS-Entreprendre pour la cité. Un état de fait qui n’incite toutefois pas à l’immobilisme cet ancien DRH de l’opérateur de téléphonie SFR : « D’autres marqueurs permettent d’apprécier l’évolution des pratiques. Au-delà des affichages de façade, il est parfaitement possible de contrôler les moyens dont se dotent les entreprises pour faire évoluer les mentalités. Ont-elles, par exemple, un responsable chargé de cette question disposant d’un budget spécifique ? »

Force est de constater que, depuis plusieurs années, la plupart des groupes du CAC 40 intègrent le respect de la diversité dans leurs objectifs RH. « Plus que les politiques, les chefs d’entreprise ont été précurseurs en ce domaine », reconnaît Jeannette Bougrab, présidente de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde).

Pas de décret d’application pour le CV anonyme

En 2004, tandis que le législateur et la société civile se préoccupaient surtout de lutter contre les discriminations, trente dirigeants, à la suite de la publication d’un rapport de l’Institut Montaigne (Les Oubliés de l’égalité des chances), signaient une Charte de la diversité par laquelle ils s’engageaient à agir concrètement. Aujourd’hui, près de trois mille entreprises sont concernées. Peu contraignante à son lancement, cette charte s’accompagne depuis peu d’un processus de contrôle de ses membres, qui, tous les deux ans au moins, sont tenus de rendre publics les moyens mis en œuvre pour atteindre leurs objectifs. Un virage nécessaire, puisqu’une étude menée en 2009 par l’IMS révélait que seuls 14 % des adhérents avaient prévu de dresser le bilan des actions entreprises.

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Cette même année 2004, l’État créait pour sa part la Halde. Puis, au cours des années suivantes, deux labels, l’un concernant l’égalité (2006), l’autre la diversité (2008). Si de nombreuses entreprises se sont montrées intéressées, peu, au final, utilisent ces nouveaux outils, dont les critères d’attribution, au moins pour le label égalité, leur paraissent difficiles à remplir (obligation de résultats quantifiés).

C’est particulièrement le cas des PME, qui emploient la majorité des salariés du secteur privé. Des petites entreprises qui, d’ailleurs, sont surreprésentées dans les secteurs où les travailleurs d’origine étrangère sont les plus pénalisés, comme l’hôtellerie, la restauration, les services à la personne et les commerces de détail. De manière générale, les discriminations sont particulièrement importantes s’agissant des emplois en contact avec la clientèle, indique l’universitaire Jean-François Amadieu, directeur de l’Observatoire des discriminations.

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Pour tenter de corriger cette tendance, le groupe d’assurance Axa a recours, depuis janvier 2005, au CV anonyme pour le recrutement de ses commerciaux. Nom, prénom, genre, adresse… Tous les éléments non indispensables lors de la première sélection sont masqués. Résultat, le pourcentage d’embauche de candidats d’origine étrangère est passé de 20 % à 26 %. Une réussite qui, en 2006, a incité l’État à inscrire le CV anonyme dans la loi, puis, quatre ans plus tard, à organiser une évaluation de cette technique dans quarante-neuf sociétés volontaires. Peut-être les pouvoirs publics finiront-ils par publier le décret d’application de cette mesure, pour l’instant restée dans les cartons. En 2009, l’utilisation par le groupe de distribution Auchan de tests sur internet pour sélectionner ses futurs chefs de rayon constitue une autre façon d’éliminer l’influence des stéréotypes (du moins avant l’entretien) pour se concentrer sur les compétences.

Le précédent L’Oréal

Le groupe PSA Peugeot Citroën se distingue lui aussi dans le domaine de la diversité. Ses actions visent non seulement à élargir le recrutement, mais encore à conforter l’égalité de traitement dans l’évolution de carrière de ses salariés. Autre mesure forte, la mise en place dès 2002 par Essilor (verres optiques) d’un dispositif d’alerte permettant de prévenir les litiges en matière d’accès à l’emploi, de formation, de conditions de mutation, de promotion ou de rémunération.

Si les entreprises prônent la diversité, c’est aussi parce qu’elles craignent de voir leur réputation ternie, comme ce fut le cas pour L’Oréal et Addeco, condamnés en 2007 pour discrimination raciale à l’embauche. « Le fait de dénoncer publiquement tels ou tels agissements ne doit pas être la règle, mais, dans certains cas, cela peut constituer un utile rappel à la loi », soutient Benjamin Blavier, de l’IMS. Pour le numéro un mondial des cosmétiques, la leçon a été d’autant plus amère que les faits qui lui étaient reprochés étaient anciens : ils remontaient à 2000. L’épisode l’a incité à améliorer la promotion de la diversité en son sein. Après tout, ses clients ne sont-ils pas, eux aussi, indifféremment blancs, noirs ou basanés ?

Mais attention, soulignent tant la Halde que les entreprises, les quotas ethniques ne sont pas une solution. Les choix en matière de recrutement ou de promotion doivent toujours répondre à des critères fondés sur la compétence. Une opposition à la discrimination positive qui n’exclut pas la mise en place de moyens supplémentaires en faveur des populations les plus fragiles, notamment dans le champ de l’éducation. Ainsi, le groupe de distribution Casino a participé, avec d’autres, à la création de l’association Le Réseau, dont l’objectif est d’établir un lien entre les jeunes originaires de quartiers populaires et le monde de l’entreprise.

« Majoritairement, les discriminations à l’embauche se fondent sur le prestige du diplôme et la qualité des stages déjà réalisés », explique Jean-François Amadieu. Des domaines dans lesquels les élèves qui grandissent dans les zones défavorisées ne peuvent rivaliser. Car, plus encore que le rejet de la couleur de peau ou de l’origine, les élites perpétuent dans les entreprises une discrimination sociale. Alors si, en plus, vous êtes noir ou arabe…

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