Expatriés non grata
Combiné au chauvinisme ambiant, le contexte économique, marqué par la montée du chômage, a exacerbé les sentiments xénophobes à l’égard des cadres étrangers.
Lorsqu’un sondage réalisé par la banque HSBC a révélé que les expatriés travaillant en Arabie saoudite comptaient parmi les plus riches du monde, de nombreux habitants du royaume ont piqué une colère noire. Éditorialistes, lecteurs et internautes ont commencé à se plaindre de ces étrangers qui, selon eux, extorquent l’argent des Saoudiens. Et de dépeindre les expatriés comme des individus vautrés dans le luxe alors que le pays est en proie au chômage.
« Nous ne sommes pas surpris. Les étrangers contrôlent tout le commerce de détail, les épiceries… Partout, ils sont prioritaires et bénéficient de facilités d’accès. Les Saoudiens n’ont du coup plus aucune chance de trouver des emplois, écrit Rachid al-Fawazan, du journal Riyad. Neuf millions d’étrangers saignent à blanc le pays. Nous n’avons même pas de vraie industrie, qui obligerait les investisseurs à former nos jeunes. » Même s’il est difficile d’imaginer qu’un ouvrier asiatique gagnant 150 dollars par mois puisse parader aux commandes d’un yacht, la frustration des Saoudiens est partiellement justifiée.
Faible niveau d’instruction
Le royaume est la première puissance économique du monde arabe, avec un PIB de 375 milliards de dollars, mais aussi le premier exportateur mondial d’or noir. Pourtant, malgré la manne pétrolière, le taux de chômage a atteint 10,5 % l’an dernier. Le nombre de Saoudiens sans emploi est passé de 416 000 en 2008 à 449 000 en 2009, soit une progression de 8 %. Dans le même temps, 1,54 million de permis de travail ont été délivrés à des étrangers travaillant dans le secteur privé, soit deux fois plus qu’en 2004. Dans un pays où plus des deux tiers des 18 millions d’habitants ont moins de 30 ans, la création d’emplois relève de la sécurité nationale, les jeunes Saoudiens oisifs ou désœuvrés étant des proies faciles pour les groupes islamistes radicaux.
De nombreux jeunes n’ont les moyens ni de se marier ni d’acheter une maison, ce qui accroît les tensions sociales et la criminalité. Le chômage exacerbant les sentiments xénophobes, un nombre grandissant d’étrangers sont victimes de vols à la tire ou d’agressions à l’arme blanche. Chose rare dans un royaume où les rassemblements publics sont interdits, deux cents jeunes diplômés chômeurs ont manifesté aux abords du ministère de l’Éducation, en août dernier pour réclamer des emplois.
Accent mis sur l’éducation religieuse
Si le ministre de l’Intérieur, le prince Nayef, a clairement dit, au début de septembre, que le gouvernement n’était pas en mesure de fournir des emplois à tout le monde, il a aussi donné des signes d’impatience face à la propension de certaines entreprises à ne recruter que des étrangers et appelé le secteur privé à employer davantage de Saoudiens. Mais ce n’est pas si simple. Le gouvernement lui-même peine à créer des emplois bien rémunérés pour des jeunes dont les exigences sont élevées, le niveau d’instruction faible et l’éthique professionnelle souvent limitée. Il faut dire que depuis plusieurs décennies l’enseignement s’est concentré sur l’éducation religieuse aux dépens des sciences et des mathématiques. Le clergé a ruiné les efforts du roi pour réformer l’éducation et modifier les programmes.
Mais le marché de l’emploi saoudien est complexe. La législation sur le travail dissuade l’embauche de nationaux, car, à la différence des étrangers, il est très difficile de licencier un Saoudien. En outre, les expatriés doivent composer avec une législation contraignante en matière de parrainage et de droit du travail. « Comment est-il possible de créer des emplois pour les Saoudiens s’ils ne veulent pas travailler dans le privé et si celui-ci ne veut pas d’eux ? » s’interroge John Sfakianakis, économiste en chef à la banque Saudi Fransi. De nombreux jeunes fraîchement diplômés estiment qu’ils ont droit à un poste de direction en vertu de leur seule nationalité et se plaignent que des « patrons étrangers » leur donnent des ordres. Selon Jarmo Kotilaine, économiste en chef à la banque d’investissement saoudienne NCB Capital, « le gouvernement doit s’atteler à changer certains comportements “nationaux”, largement encouragés lors du premier choc pétrolier, dans les années 1970 ».
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