Pat Masioni
Après une première carrière de dessinateur en Afrique et des années de galère, ce Congolais réfugié en France exporte désormais son trait jusqu’aux États-Unis.
Il a débarqué un jour de l’hiver 2002 à Paris, seul, sans logement et sans papiers. Une caricature politique de trop dans un journal l’a poussé à fuir Kinshasa, laissant derrière lui sa famille et une longue carrière dans la bande dessinée congolaise. Patrice Makamba Masioni, alias Pat Masioni, pilier de la bande dessinée kinoise, était à son arrivée à Paris un quasi-inconnu du milieu de l’édition française. Aujourd’hui, à 49 ans, l’auteur a déjà dessiné deux tomes de Rwanda 1994 pour l’éditeur français Drugstore et vient d’entamer une collaboration avec l’éditeur américain DC Comics-Vertigo sur l’une de ses séries phares, Unknown Soldier. Une consécration pour cet auteur, mais aussi une première : Pat Masioni est le premier auteur d’origine africaine à collaborer avec la puissante édition de comics aux États-Unis.
Confortablement installé dans le grand atelier d’artiste parisien où il vit maintenant avec ses quatre enfants, l’artiste n’a guère envie de s’étendre sur son succès américain. À peine souffle-t-il : « C’est un honneur pour moi. » Après réflexion, il ajoute tout de même fièrement : « Et pour mon pays, car je suis le premier Congolais. »
Pat Masioni n’aime pas parler de lui, et ce n’est qu’avec beaucoup d’hésitation qu’il raconte que tout ne fut pas simple à son arrivée dans la capitale française : « Je n’avais pas le droit de travailler tant que je n’avais pas de papiers et je ne disposais pas d’un logement. Je dormais où je pouvais. Quand je croisais des compatriotes, ils me disaient : “Prends un travail au noir dans le bâtiment et disparais. Avec un peu de chance, tu pourras rester plusieurs années !” Moi, je leur répondais : “Non, je veux l’asile politique. Et faire de la BD.” Eux disaient : “Tu rêves. ça, c’est un truc de Blancs !” »
« De toute façon, ajoute-t-il en riant, je ne pouvais pas travailler, je ne sais rien faire d’autre que de la BD ! J’ai toujours dessiné, avant même de savoir écrire, je dessinais déjà par terre ! » Originaire d’un petit village de la province de Bandundu, Pat Masioni n’a jamais pensé à autre chose qu’à devenir artiste, malgré des origines modestes : « À Kinshasa, où nous avons déménagé quand j’avais 2 ans, mon père travaillait à l’intendance de la présidence de la République et ma mère vendait du poisson, mais je crois que j’ai été influencé par leurs anciens métiers. Au village, mon père était forgeron et ma mère faisait de la poterie artisanale. Ils ne savaient pas lire, mais ils avaient un vrai sens artistique. »
Avant d’arriver à Paris, Pat Masioni s’était taillé une solide réputation d’auteur à Kinshasa. Pendant trente ans, il a été le dessinateur vedette des éditions Saint-Paul, et la plupart des Congolais sont sans doute tombés un jour sur ses dessins illustrant des vies de saints ou des guides pratiques. Tous ouvrages confondus, il aurait vendu pas moins de 250 000 exemplaires en RD Congo ! « Je suis croyant mais pas pratiquant », répond Pat Masioni quand on évoque ses liens avec la religion. Avant d’ajouter en riant : « Non, je dirais que je suis avant tout un artiste ! Il n’y a pas besoin d’être un saint pour faire des livres religieux, non ? Les éditions Saint-Paul m’ont permis de vivre de mon art et de me former. »
Parallèlement à ces travaux, l’artiste multiplie également les collaborations : il illustre des livres de l’écrivain Zamenga Batukezanga, « un grand artiste », dessine pour la presse, devient directeur artistique du salon de la BD africaine de Kinshasa et fonde, avec Barly Baruti et Thembo Kash, autres stars de la BD congolaise, l’Acria, une des principales associations d’auteurs de BD de RD Congo. En 2002, c’est du jour au lendemain qu’il quitte Kinshasa.
« On nous a fait croire qu’il y avait une ouverture. En fait, c’était un piège, j’ai été harcelé, mis en prison… », soupire l’artiste, qui n’est pas retourné en RD Congo depuis ses caricatures politiques. « C’est toujours un semblant de démocratie. Les personnes qui ont le souci des autres et la capacité de tout chambouler sont rares. Elles existent, mais elles sont étouffées par ceux qui ont des armes. »
À son arrivée à Paris, Pat Masioni n’a pas de contact chez les éditeurs français. Cela ne l’arrête pas : « Mes parents étaient des gens droits et travailleurs. Ils nous ont enseigné, à mes quatre sœurs et moi, l’esprit d’effort ! » précise l’artiste, qui se lève tous les matins très tôt pour dessiner. Têtu, il s’accroche. À ses papiers, en faisant le siège de l’Ofpra, l’administration qui gère les demandes d’asile. À la BD, en démarchant les éditeurs. Il mettra plus d’une année avant d’obtenir le précieux sésame de réfugié, deux ans pour un logement et… beaucoup moins pour obtenir sa première commande de BD.
Cécile Grenier est une journaliste française. Elle revient d’un reportage au Rwanda et souhaite l’adapter en BD. On pense immédiatement à lui pour dessiner son histoire : il connaît les paysages, les architectures, le décor et malheureusement trop bien le sujet : « Mon meilleur ami, du temps où j’étudiais aux Beaux-Arts à Kinshasa, a été tué. Je pense souvent à lui », confie l’artiste. C’est ainsi que naît Rwanda 1994, qui paraît en deux tomes en 2005 et 2008, et qui ne laisse rien soupçonner des conditions dans lesquelles Pat Masioni l’a réalisé : « Je n’avais toujours pas de logement, j’ai dû dessiner le premier volume sur des bancs et dans des cafés ! » se souvient l’auteur.
Rwanda 1994 contribue à faire repérer Pat Masioni, notamment aux États-Unis, où l’éditeur américain DC Comics pense à lui pour Unknown Soldier 2 : une sombre et violente histoire de médecin justicier sur fond de guerre en Ouganda. Après Rwanda 1994, l’artiste se replonge dans un conflit africain. Travailler pour les prestigieux comics américains, diffusés à des milliers d’exemplaires, est pour n’importe quel auteur une vraie consécration : « Quand ils m’ont contacté, je n’y croyais pas », se souvient Pat Masioni. Unknown Soldier 2 est sorti en mars 2010.
Et depuis ? Pat Masioni dit travailler d’arrache-pied sur d’autres projets. « Je ne veux pas en parler pour le moment », ajoute-t-il, toujours aussi secret. S’arrête-t-il jamais ? « L’essentiel de son temps est consacré à son travail et à ses enfants, Pat est quelqu’un qui a vraiment envie de s’en sortir, c’est un ambitieux dans le bon sens du terme, explique Antonia Neyrins, illustratrice et amie proche de l’artiste à Paris. Mais il aime aussi beaucoup aller dans les musées, les brocantes et il adore voyager. » Admirative, l’artiste française ajoute également que « Pat a une vision très moderne et humaniste de la vie » et évoque à demi-mot des projets « en partie autobiographiques » sur lesquels ils travaillent ensemble. « Pat n’aimerait pas qu’on l’enferme dans la case Afrique », prévient-elle.
Après des livres religieux et des BD consacrées aux guerres africaines, sans doute Pat Masioni court-il après un nouveau défi à la hauteur de son coup de crayon ?
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