Alpha Condé : que va-t-il faire de sa victoire ?
Il a été élu président après avoir constitué une large coalition. Pour rassurer le camp adverse et reconstruire le pays, Alpha Condé pourrait user de la même tactique, et opter pour un gouvernement d’union nationale.
Ce 17 novembre, à Conakry, ni les simagrées de Preta – une héroïne de telenovela –, ni les sourires enjôleurs des candidates du concours Miss Guinée 2010 ne parviennent à détendre l’atmosphère. Dans la plupart des foyers, on guette l’édition du soir du journal télévisé. L’heure est grave. La journée a été émaillée d’incidents, parfois meurtriers, dans la capitale et dans plusieurs autres localités. Pour contenir les violences politico-ethniques, le général Sékouba Konaté, président de la transition, a décrété l’état d’urgence.
Dans le QG d’Alpha Condé (élu avec 52,52 % des voix, selon les résultats provisoires publiés le 15 novembre par la Ceni, la Commission électorale nationale indépendante) comme dans le camp de Cellou Dalein Diallo (47,48 %), on redoute de voir le bilan s’alourdir. Le vaincu et ses partisans n’en continuent pas moins à rejeter les résultats, en attendant que la Cour suprême se prononce sur les recours qu’ils ont déposés. De leur côté, le leader de l’Alliance arc-en-ciel et ses lieutenants respirent, et commencent à envisager l’avenir. Durant ces quatre derniers mois, l’on a parfois cru que le second tour n’aurait jamais lieu. Mais ces quatre mois se sont révélés décisifs. Ils ont permis à Alpha Condé de rattraper un retard de 26 points sur Diallo et de dépasser ce dernier. Une prouesse qui n’est pas le fruit du hasard.
Dès la publication des résultats du premier tour, dans la soirée du 2 juillet, Condé s’empresse de contacter des alliés potentiels. Désagréablement surpris et irrité par son score, il ne ferme pas l’œil de la nuit. Le lendemain à l’aube, il téléphone notamment aux anciens Premiers ministres François Lonsény Fall et Sidya Touré, puis à Ousmane Bah et à Papa Koly Kourouma – tous candidats malheureux à la présidentielle.
Après quelques jours de réflexion, Fall lui accorde son soutien. Avant de devenir le porte-parole de l’Alliance arc-en-ciel, il négocie les ralliements. En particulier celui de Lansana Kouyaté (7 % des suffrages), ex-locataire de la primature, malinké comme lui, et qui a atteint un score inattendu en Haute-Guinée, ainsi qu’en région forestière et en Basse-Guinée.
Condé compte bénéficier du report des voix de ses concurrents du premier tour, et constituer une coalition représentative de l’ensemble des communautés, capable de séduire des électeurs dans les quatre régions naturelles du pays (Basse-Guinée, Haute-Guinée, Moyenne-Guinée et Guinée forestière). Avec ses proches, il multiplie les démarches. Pari réussi. L’Alliance arc-en-ciel voir le jour : 116 partis – soit la quasi-totalité des formations politiques –, 16 candidats et 570 mouvements de soutien. Le leader historique prend ainsi une bonne longueur d’avance sur son rival, handicapé par sa difficulté à aller vers les autres, par un manque de cohésion au sein de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) et par les faiblesses de sa cellule communication. Cette dernière se montre incapable de faire passer des messages cohérents et fédérateurs, et d’effacer l’image de leader peul au service des Peuls que traîne toujours son candidat.
Campagne de proximité
Les prises de position radicales d’Amadou Oury Bah, le vice-président de la formation, n’ont guère arrangé les choses. Au mois de septembre, en plein ramadan, il avait demandé aux commerçants – en majorité peuls – de fermer leurs boutiques pour protester contre l’arrestation de militants de l’UFDG, puis menacé d’organiser des journées villes mortes pour « paralyser le pays ». « Une gaffe monumentale, au moment où la population se plaint de la flambée des prix des denrées alimentaires », reconnaissent aujourd’hui des sympathisants dépités.
À cela s’ajoutent les reports successifs du scrutin et l’affaire Louseny Camara. Les contestations dont l’ancien président de la Ceni a fait l’objet ont en effet conduit à de nouvelles violences qui ont troublé le déroulement de la campagne. Pour couronner le tout, alors que Cellou Dalein Diallo comptait sur les voix de Sidya Touré (13 %) pour obtenir une victoire « éclatante », les résultats du second tour montrent que les consignes de vote n’ont pas été suivies dans les fiefs de ce dernier, comme Boffa ou Kaloum, la commune de Conakry qui abrite les administrations. Si Touré a plusieurs fois appelé à voter « Cellou », il n’a jamais hésité à rappeler dans ses interventions qu’il reviendrait dans cinq ans (la prochaine élection présidentielle est prévue pour 2015) et qu’il restait « autonome ». « Il ne s’est pas mouillé », déplorent des membres de l’Alliance Cellou Dalein président, qui admettent toutefois que le vainqueur du premier tour a aussi péché par excès de confiance.
Laissant l’UFDG se féliciter de ses performances du premier tour, la cellule communication et le directoire de campagne de l’Alliance arc-en-ciel ont affûté leur stratégie. Après leur « défaite » du 27 juin, ils ont compris que la légitimité historique du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) n’était pas un argument suffisant aux yeux des nouvelles générations, qui attendent du concret.
Le développement d’une campagne de proximité, avec porte-à-porte et minirassemblements quotidiens dans tout le pays, n’a pas été le seul atout du nouveau chef de l’État. Depuis le début, son équipe travaille avec le cabinet de conseil Euro RSCG, adaptant ses recommandations aux réalités du terrain. « Le cabinet nous avait dit de ne pas communiquer dans les langues nationales, mais que nos intervenants ne devaient pas hésiter à le faire au niveau local », se souvient Kiridi Bangoura, le directeur de campagne adjoint, pour qui les interventions en soussou du Malinké Alpha Condé ont contribué à son succès. Son discours a eu d’autant plus d’impact qu’il a su utiliser ses liens avec la communauté dont sa mère est issue. « Beaucoup d’électeurs ont été surpris d’apprendre qu’il avait fréquenté l’école coranique de Boulbinet à Conakry, dirigée par Ayé Fodé Camara, l’ancien grand imam de la ville », ajoute-t-il.
Plus de la moitié des Guinéens ont accordé leurs suffrages au professeur Alpha Condé, devenu pour eux l’homme du changement au service d’une Guinée réconciliée. L’opposant historique prend les rênes d’un pays meurtri, déstructuré et affaibli, où tout ou presque reste à faire. Durant sa campagne, il a promis d’incarner ce changement, tout en s’entourant de nombreux anciens cadres des années Conté. Réussira-t-il à faire du neuf avec de l’ancien ? Quelles sont aujourd’hui ses priorités et les grandes lignes de son début de mandat ?
« C’est un homme neuf, qui n’a jamais été associé ni de près ni de loin à la gestion des affaires », argumente un proche. Bangoura, lui, assure que tous les anciens (dont il fait partie, puisqu’il a été ministre de l’Intérieur de 2004 à 2007) sont « des réformateurs qui ont échoué sous Conté ». Et de rappeler qu’il avait toutefois réussi à imposer le bulletin unique et les urnes transparentes aux communales de 2005, que François Lonsény Fall avait tout fait pour que le général-président Conté reconnaisse devant l’Union européenne l’existence d’un « déficit démocratique », ou encore qu’Ibrahima Kassory Fofana, alors ministre de l’Économie et des Finances, avait opté pour le rajeunissement des effectifs dans l’administration…
Quel Premier ministre ?
Tandis que le camp adverse attend la proclamation des résultats définitifs en espérant un jugement de la Cour suprême en sa faveur, la question du choix du Premier ministre retient déjà l’attention à Conakry. Les pressentis, candidats ou non, sont nombreux.
Le Peul Ousmane Bah, ingénieur-chimiste de formation et ancien député, considéré comme l’héritier d’un autre opposant historique, Siradiou Diallo, décédé en 2004, figure parmi les « favoris ». Certes, une partie de sa communauté lui reproche son rapprochement avec Condé, mais son appartenance ethnique permettrait peut-être de faire retomber la tension. Il est également question du Soussou Ibrahima Kassory Fofana, et de Saran Daraba Kaba, une militante des droits des femmes qui fut ministre des Affaires sociales. Enfin, de Jean-Marie Doré, l’actuel chef du gouvernement, qui pourrait constituer une nouvelle équipe et rester jusqu’aux législatives censées mettre un terme définitif à la transition.
Seule certitude : la volonté du président élu de constituer un « large gouvernement d’union nationale » après son investiture, dont la date n’était pas encore connue.
Les cent premiers jours seront déterminants pour Alpha Condé, qui doit rapidement poser des actes de nature à rassurer aussi bien les électeurs de Diallo que les indécis qui ne sont pas allés voter (dans certaines localités, le taux de participation dépasse à peine 50 %), sans oublier l’armée et la communauté internationale. Les violences postélectorales l’ont conduit à placer la réconciliation nationale en tête de ses priorités. Il a déjà lancé un appel à son « jeune frère Cellou pour l’édification d’une Guinée unie et prospère ». Et un rapprochement avec Sidya Touré n’est pas exclu. Selon son entourage, il devrait très vite organiser une conférence nationale et mettre sur pied une commission vérité et réconciliation, comme promis pendant la campagne. Il envisage en outre l’instauration d’un service civique pour « développer l’esprit citoyen et redonner force aux liens sociaux », indique Moustapha Naité, son directeur adjoint de la communication.
Bataillon du génie
Le développement de l’agriculture et l’autosuffisance alimentaire, l’assainissement des finances publiques, la réalisation d’infrastructures routières et ferroviaires comptent aussi parmi les grands chantiers du chef de l’État. Bien que suscitant encore la méfiance, l’armée sera associée à la mise en œuvre de certains projets. Elle possède en effet un bataillon du génie d’environ 800 hommes, susceptible de participer à la construction de routes et de voies ferrées, dont celles du Transguinéen (1 020 km), qui devrait relier Conakry à Lola. Par le passé, elle avait tracé des pistes et construit des ponts dans des zones enclavées, participé à la construction du stade du 28-Septembre ou de l’université de Conakry.
Quant au général Sékouba Konaté, qui a conduit cette difficile transition, la décision de jouer un rôle dans les mois – voire les années – à venir lui appartient, estime Alpha Condé.
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