Congo-Brazzaville : razzia chinoise
BTP, téléphonie, bois, pétrole et même commerce de détail : les groupes chinois ont investi tous les pans de l’économie congolaise. Impossible, désormais, d’y échapper.
Au Congo, la présence chinoise est devenue une réalité tangible. En témoignent les nombreux petits commerces tenus par des ressortissants chinois qui animent la capitale, mais aussi les sièges de grandes entreprises de Pékin, de plus en plus visibles à Brazzaville. Une présence qui s’est affirmée à partir de l’année 2000, après la visite, en Chine, du président congolais, Denis Sassou Nguesso, alors que le Congo sortait de plusieurs années de conflits armés. « Il y a des résultats sur le terrain que tout le monde voit et nous avons décidé d’intensifier cette coopération », a confirmé le chef d’État à son retour de Chine le 6 mai dernier. Un rapprochement qui a été favorisé par l’accord de partenariat stratégique conclu entre les deux pays en juin 2006, prévoyant une enveloppe de l’ordre de 1 milliard de dollars (740 millions d’euros) d’investissements, pour réaliser divers grands projets. Les prêts bonifiés accordés par la Chine, via la China Exim Bank, la China Development Bank, mais aussi par les acteurs de la coopération décentralisée, comme la province de Jiangsu ou la ville de Weihai, représentent près de 80 % des capitaux chinois investis à Brazzaville. Loin derrière se situent les dons et les investissements privés qui ont démarré en 2005.
Tout est importé de Chine
C’est dans le secteur du BTP que se concentre une grande part de ces prêts. Et pour cause. Pour réduire l’énorme déficit dont souffre le pays en matière d’infrastructures, le gouvernement congolais a inscrit, dans son programme d’investissements publics ou dans le cadre de « la municipalisation accélérée », la réalisation de nombreux projets économiques et sociaux de base, dont la Délégation générale des grands travaux (DGGT) est bien souvent le maître d’ouvrage. Chantiers de barrages hydroélectriques, de lignes de transport d’énergie, de routes, de ponts, d’aérogares et autres infrastructures aéroportuaires, de logements sociaux, d’hôpitaux, d’écoles, d’édifices publics, de réseaux d’eau et d’assainissement… tout est bon pour les entreprises de BTP chinoises, principalement celles du secteur public. La plupart importent de Chine les matières premières et les intrants nécessaires aux travaux, ainsi qu’une grande partie des cadres qualifiés. La main-d’œuvre locale étant surtout constituée de travailleurs mal rémunérés et peu qualifiés.
La construction de la centrale hydroélectrique d’Imboulou, en voie d’achèvement, et des lignes à haute tension associées au barrage est l’œuvre de China National Machinery Equipment Import and Export Corp. (CMEC), associé au groupe allemand d’ingénierie Fichtner, pour le contrôle technique et la surveillance des travaux. Sinohydro, pour sa part, devrait réaliser la centrale hydroélectrique de Chollet, dont le démarrage des travaux est prévu en juin 2011.
Dans le BTP intervient aussi Zhengwei Technique Congo, qui a raflé nombre de chantiers : logements sociaux à Brazzaville, rénovation des stades municipaux de Pointe-Noire et d’Owando, etc. Ainsi que Weihai International Economic Technical Cooperative (WIETC), pour des logements sociaux et la nouvelle aérogare à Brazzaville. Les deux sociétés ont en outre réhabilité la centrale hydroélectrique de Moukoukoulou, la plus grande du pays en attendant la mise en route de celle d’Imboulou. Autres entreprises en lice : China Jiangsu International Group, pour le terminal de l’aéroport d’Ollombo, et Beijing Construction Engineering Group, qui a eu d’importants marchés (hôpital de base de Mpissa, Maison de la radio et de la télévision, Cour constitutionnelle, ministère des Affaires étrangères, logements sociaux à Brazzaville, hôpital général spécialisé et hôtel à Oyo, réhabilitation du siège de la Société nationale des pétroles du Congo à Pointe-Noire…).
La construction des routes aussi mobilise les entreprises de l’empire du Milieu. À commencer par le numéro un du BTP chinois, China State Construction & Engineering Corp. (tronçon de Pointe-Noire à Dolisie), mais également la China Road and Bridge Corp. (route Owando-Makoua-Mambili) et la CMEC. Outre des ouvrages d’art sur la route Obouya-Boundji-Okoyo-frontière du Gabon, cette dernière construit une usine de fabrication de poteaux en béton dans la capitale ainsi que l’extension de l’usine de traitement d’eau de Djiri, avec Degrémont Chine.
Incursion dans les télécoms
Présents sur tous les fronts, les Chinois se sont récemment attaqués au secteur des nouvelles technologies de l’information, avec Huawei Technologies, le troisième équipementier mondial des télécommunications, chargé de construire le réseau de fibre optique terrestre entre Pointe-Noire, Brazzaville et Oyo.
Évidemment, la réalisation de ces chantiers a une contrepartie, avec l’accès aux ressources naturelles du pays : pétrole, bois, pêche et mines. Présente dans l’exploration pétrolière, avec China Congo Wing Wah Petrochemical (Contrat de partage de production sur le permis de recherche Kayo, en onshore) et la China National Offshore Oil Corp. (permis de recherche en haute mer), la Chine l’est aussi dans la filière bois avec cinq sociétés : la Société d’exploitation forestière Yuang Dong (Sefyd), Jua Ikié, Million Well Congo Bois, Congo Dejia Wood Industry et Sino-Congo Forêt (Sicofor).
Après avoir repris la cimenterie de Loutété, devenue la Société nouvelle des ciments du Congo, les Chinois ont mis un pied dans le secteur minier. En avril 2010, Zhong Jin Hui Da Beijing Investment Corp. a obtenu un permis de recherche (dit Aboundji et Ossélé) pour l’or dans la Cuvette-Ouest. Mais le projet d’envergure reste celui de l’usine de potasse de Mengo, que la China National Complete Plant Import & Export Corp. développera avec le canadien MagIndustries Corp. Loin de s’arrêter en si bon chemin, les Chinois visent la création de zones économiques spéciales, dont la première sera réalisée près du port de Pointe-Noire. Une manière d’y mettre un pied.
Au grand dam des Ouest-Africains, les Chinois ont également investi le commerce de détail et comptent même une supérette, Asia, implantée face au supermarché Casino dans le centre de Brazzaville. D’autres privés s’installent, dont Sheng Li, spécialisé dans la vente et la pose de portes-fenêtres en aluminium et de luminaires. Outre les bureaux de leurs assistants techniques dans les secteurs agricole et médical, les Chinois ont ouvert aussi des petites officines et des cliniques privées, et se sont lancés dans le maraîchage.
Si les investissements chinois au Congo montent en puissance, les relations commerciales ne sont pas en reste. Après avoir évincé Taiwan, la Chine, qui importe largement du Congo du pétrole et du bois, tend à ravir aux États-Unis la place de premier pays client. Mais elle dispute également à la France celle de premier pays fournisseur, expédiant de plus en plus vers le Congo ses produits manufacturés : textiles, biens d’équipement des ménages, moyens de transport, ciment et produits alimentaires. À l’évidence, les entreprises chinoises prospèrent au Congo.
Mais tout cela fait-il une politique ? Selon un conseiller financier de Pierre Moussa, ministre de l’Économie, du Plan, de l’Aménagement du territoire et de l’Intégration, « la présence chinoise est intéressante dans la mesure où elle vient concurrencer les fournisseurs et les bailleurs historiques du pays. Il reste que le Congo n’a pas établi de plan de développement ni identifié ses besoins tant en équipements qu’en main-d’œuvre locale et étrangère. Or ce n’est que sur cette base que l’on peut sélectionner l’offre et choisir judicieusement ses partenaires ». Une prochaine étape ?
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