Téhéran perd l’ami Wade
Rappel de l’ambassadeur du Sénégal en Iran, soupçons de livraison d’armes à la rébellion en Casamance sont autant de signaux d’une brouille entre Dakar et Téhéran.
Pour les Iraniens, c’est une sale affaire. Le 31 octobre, un bateau en provenance d’Iran fait escale à Lagos. Petite inspection de la douane nigériane. Surprise : treize conteneurs estampillés « laine de verre » et « palettes de pierre » sont bourrés d’armes, de lance-roquettes et de grenades. Destination : « Estate House, Kanilai, Gambia ». Kanilai, c’est le village natal de Yahya Jammeh, le président gambien.
Aussitôt, Abdoulaye Wade voit rouge. Pour lui, pas de doute. Ces armes devaient finir entre les mains des rebelles de Casamance. Le président sénégalais somme Téhéran de s’expliquer. Le 13 décembre, Manouchehr Mottaki, le ministre iranien des Affaires étrangères, se rend à Dakar pour calmer le jeu. Il prétend que ces armes ont été expédiées par une société privée.
« J’ai du mal à croire que cela puisse se faire à l’insu d’un État aussi organisé que le vôtre », réplique Madické Niang, son homologue sénégalais. Pour ne rien arranger, c’est pendant son séjour à Dakar que le ministre iranien est limogé par Mahmoud Ahmadinejad, son président. « C’est inamical », commente le chef de la diplomatie sénégalaise. Dès le lendemain, Wade rappelle son ambassadeur à Téhéran. « Signe que le Vieux est très fâché », commente un diplomate de la place.
Double jeu
Bien sûr, le Sénégal n’est pas le seul partenaire africain de l’Iran. La Gambie, le Mali, le Nigeria, Djibouti, le Kenya, l’Ouganda, le Zimbabwe, les Comores… autant de pays où Ahmadinejad s’est rendu ces deux dernières années. Chaque fois, les Iraniens proposent une aide économique en échange d’un soutien à leur politique nucléaire. Mais le Sénégal est plus qu’un partenaire, c’est un ami de l’Iran, du moins est-ce ce que disait Abdoulaye Wade jusqu’à cette année. En novembre 2009, lors d’une visite d’Ahmadinejad à Dakar, il avait même lancé, avec sa verve habituelle : « Si quelqu’un me demandait si j’ai caché une bombe atomique dans ma cave, je n’aurais pas à le prouver. C’est celui qui accuse qui doit prouver. Dans le cas de l’Iran, on n’a rien prouvé jusqu’à présent. »
Mais en coulisses les choses sont un peu plus compliquées. Wade se méfie depuis 2006. « À l’époque, confie un diplomate de Dakar, nous avons appris grâce aux services de renseignements d’un pays ami que des armes iraniennes étaient livrées à la Gambie. Notre ministre des Affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio, a convoqué l’ambassadeur d’Iran. Celui-ci nous a servi la fable des armes légères pour équiper la police gambienne. Pas dupes, nous l’avons averti des conséquences éventuelles. Il nous a promis que cela ne se reproduirait plus… » Aujourd’hui, la colère d’Abdoulaye Wade ressemble donc à celle du partenaire qui se sent trahi…
Pourquoi ce double jeu des Iraniens, au risque de perdre une tête de pont en Afrique de l’Ouest ? À Téhéran, il y a plusieurs centres de pouvoir. Très actifs dans le trafic d’armes, les gardiens de la révolution mènent une vraie diplomatie parallèle. Manouchehr Mottaki ne le supportait plus. D’où peut-être sa chute. Surtout, le régime iranien n’imaginait sans doute pas que Wade réagirait ainsi. Une agence de presse proche du pouvoir se console en disant : « Le Sénégal a subi d’énormes pressions de la part d’Israël et des Occidentaux pour prendre ses distances avec nous. » Possible. À Dakar, un diplomate murmure : « Ce n’est pas un hasard si les douaniers nigérians ont ouvert les fameux conteneurs. Depuis son départ d’Iran, le bateau était suivi par les services de renseignements américains. »
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