Des Sénégalais chez les « gauchos » argentins

Depuis quinze ans, plusieurs milliers d’Africains de l’Ouest se sont établis dans le plus « européen » des pays d’Amérique latine. Souvent, avec le statut – plus ou moins fondé – de réfugié politique.

Beaucoup d’Africains traversent l’Atlantique pour rejoindre l’Argentine. © Reuters

Beaucoup d’Africains traversent l’Atlantique pour rejoindre l’Argentine. © Reuters

Publié le 20 janvier 2011 Lecture : 4 minutes.

Au cœur du quartier branché de Palermo, la mosquée du Roi-Fahd peut accueillir jusqu’à deux mille fidèles. C’est la plus grande d’Amérique latine. Certains viennent des faubourgs les plus reculés de Buenos Aires pour s’y recueillir. Depuis quelques années, près de la moitié des fidèles sont des Subsahariens.

Il y a encore quinze ans, ces derniers étaient quasi absents d’Argentine, pays parmi les plus « européens » du sous-continent. Selon la Direction nationale des migrations (DNM) et certaines associations, ils seraient aujourd’hui entre trois mille et dix mille. Dans la capitale, on les rencontre surtout à proximité des gares, où ils s’adonnent à la vente ambulante de bijoux bon marché. La plupart sont originaires d’Afrique de l’Ouest. Et en premier lieu du Sénégal.

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Abdoulaye est un ancien joueur de football professionnel dont la carrière a été écourtée par une blessure. Derrière son point de vente coincé entre un démonstrateur d’ustensiles de cuisine et un vendeur de ceintures péruvien, il raconte un peu sa vie. « Certains jours, je gagne jusqu’à 100 pesos [20 euros], mais, d’autres fois, même pas 10, explique-t-il. Ce n’est pas facile, mais je suis là pour ma famille. Je lui suis plus utile ici qu’en Afrique. » À quelques rues de là, il partage une chambre avec un autre Sénégalais, dans un immeuble en ruine où vivent également une dizaine de familles boliviennes.

Grâce à Lula

L’Argentine n’était pourtant pas le premier choix d’Abdoulaye, qui a d’abord tenté de s’installer en Europe. Rebuté par une série d’échecs, il a fini par se tourner vers le Brésil. À l’initiative de l’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva, le géant sud-américain a en effet noué de solides relations diplomatiques en Afrique, en particulier avec le Sénégal. Entré au Brésil avec un visa de touriste délivré à Dakar, Abdoulaye s’est empressé de passer en Argentine, comme nombre de ses compatriotes avant lui. Par tradition, les étrangers, même en situation irrégulière, ne sont pas inquiétés par les autorités de ce pays. Ici, les expulsions n’ont pas cours. Mais pour accéder aux soins de santé, à l’éducation ou au marché du travail, il faut être en règle. Pour cela, une seule solution : obtenir le statut de réfugié.

Le siège régional du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) des Nations unies se trouve à Buenos Aires – et ce n’est pas un hasard. En 2009, il a enregistré une augmentation de 142 % des demandes d’asile déposées par des Africains. Ces derniers représentent aujourd’hui le tiers de l’ensemble des demandeurs. Le problème, c’est qu’avec un statut aussi fragile il est presque impossible d’obtenir un emploi régulier, de louer un appartement, de s’abonner à internet, voire de se faire soigner dans un hôpital public.

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Autre difficulté : la xénophobie de nombre d’Argentins. « Presque tous les Africains que j’ai rencontrés reconnaissent avoir été au moins une fois traités de “sale Noir” en pleine rue, rapporte Marcos Filardi, chargé du cas des réfugiés auprès du défenseur du peuple, l’équivalent argentin du médiateur de la République française. Dans les bus, il est rare qu’un Blanc s’assoie à leur côté. Le racisme vient autant de la société que des institutions publiques. Mais le problème le plus grave reste les violences policières. » « Hormis à Buenos Aires, où elle est légale, la vente ambulante n’est que tolérée dans le reste du pays, précise Amalin Rodriguez, de la fondation Citoyens du monde. Nous recevons beaucoup d’Africains victimes d’exactions parce qu’ils avaient refusé de “payer la taxe” à un policier. Ils constituent une cible privilégiée en raison même de la précarité de leur situation.

Les chances de s’en sortir sont minces : 75 % des demandes d’asile émanant d’Africains sont refusées. « Il y a quinze ans, le statut de réfugié était plus généreusement accordé, se souvient le père Sante Cervellin, coordinateur de la Commission catholique des migrations en Argentine, qui exécute les programmes du HCR. L’administration se montre aujourd’hui plus parcimonieuse, surtout envers les Sénégalais. « Quand ils se présentent devant la Commission nationale des réfugiés, ils racontent tous la même histoire, ou presque : ils seraient victimes de persécutions politiques au Sénégal, indique Fernando Manzanares, de la DNM. Mais la situation politique dans leur pays d’origine ne justifie pas l’octroi du statut de réfugié. »

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Mystérieuse organisation

De précaires, les Sénégalais se retrouvent donc tôt ou tard sans papiers. Manzanares n’en doute pas, c’est là le fruit d’un trafic : « Au Brésil, les Sénégalais sont pris en charge par une organisation qui en expédie ensuite un certain nombre en Argentine, où ils sont chargés de vendre de la marchandise au détail, notamment de la bijouterie. Il y a une exploitation de leur travail. » Pour tenter d’endiguer le phénomène, l’Argentine a, l’an dernier, demandé à son voisin brésilien de restreindre l’octroi de visas à partir de son ambassade à Dakar. « Depuis, nous avons constaté une baisse notable du nombre de demandeurs d’asile », se félicite Manzanares.

Pour ceux déjà installés en Argentine, en revanche, rien n’est prévu. Plusieurs associations de défense des droits des migrants tentent d’y remédier. Le 25 mai 2010, à l’occasion du bicentenaire de la révolution de Mai (qui marqua l’indépendance de facto du pays), ils ont réclamé la régularisation pure et simple de tous les Africains. « Nous ne pouvons pas laisser ces gens dans une situation aussi cruelle, admet Fernando Manzanares. D’autant qu’il s’agit d’un phénomène mineur à l’échelle du pays, qui accorde annuellement 140 000 titres de séjour. Nous réfléchissons à un mode de régularisation exceptionnelle. »

Au-delà, le monde associatif fait pression sur les autorités pour qu’elles assurent le respect des droits des migrants africains et intensifie la lutte contre le racisme. Actuellement, 36 % des cas traités par l’Institut national de lutte contre la discrimination (Inadi) concernent des discriminations raciales.

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