Côte d’Ivoire : la guerre des images

Alors que les partisans de Laurent Gbagbo et d’Alassane Ouattara ont pris les armes, un autre combat se livre, transformant télés et radios en outil de propagande.

Le siège de la RTI à Abidjan, une télévision publique au service de Laurent Gbagbo. © D.R.

Le siège de la RTI à Abidjan, une télévision publique au service de Laurent Gbagbo. © D.R.

Publié le 2 avril 2011 Lecture : 5 minutes.

La scène a quelque chose de surréaliste. Elle se déroule dans un maquis (restaurant en plein air) du quartier de la Riviera 2, en pleine zone pro-Gbagbo, juste en face d’une cité universitaire toujours prompte à répondre aux appels de Charles Blé Goudé, le chef du mouvement des Jeunes patriotes. Deux policières en tenue prennent leur déjeuner et regardent d’un œil distrait les émissions de Télé Côte d’Ivoire (TCI), la chaîne créée par les partisans d’Alassane Ouattara et considérée comme un média « pirate » par le Conseil national de la communication audiovisuelle. En quelques mois de diffusion, TCI s’est installée dans le paysage audiovisuel et dans les esprits de nombreux téléspectateurs.

Elle est le symbole d’une forme de « guerre dans la guerre ». Alors que le bruit des armes résonne, la bataille des images bat son plein. Elle oppose la Radio Télévision ivoirienne (RTI), fidèle à Laurent Gbagbo, et dont le directeur général, Pierre Brou Amessan, est sur la liste des personnes sanctionnées par l’Union européenne pour « incitation à la haine », à TCI et à RHDP FM, la radio lancée par le camp Ouattara. Les deux machines de propagande se trouvent dans la même commune de Cocody, mais représentent deux mondes pour l’instant irréconciliables.

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Les travailleurs de la RTI continuent de se rendre, tous les jours, à la « Maison bleue », le siège de leur institution. Construit en 1963, à l’époque de l’houphouétisme triomphant, il se trouve à quelques minutes en voiture de la résidence officielle de Laurent Gbagbo. Convoité par le camp Ouattara, le siège de la RTI est désormais protégé par plusieurs « barragistes » civils, qui quadrillent les rues environnantes. Mais aussi par un dispositif militaire de plus en plus impressionnant. TCI, de son côté, est hébergée au Golf Hôtel, dans lequel Alassane Ouattara a établi son quartier général. Journalistes et techniciens logent eux aussi dans le complexe hôtelier, dont ils ne peuvent sortir que par hélicoptère…

Le personnel de la RTI, notoirement pléthorique, a quelque peu « maigri » ces derniers mois. Une partie des salariés a rejoint TCI, à l’instar du présentateur vedette Pascal Brou Aka, qui devait occuper le poste de directeur général de la RTI si Alassane Ouattara avait réussi à prendre effectivement les rênes du pouvoir. Finalement, il dirige TCI. D’autres journalistes, à l’image de la présentatrice Habiba Dembelé, ont pris des vacances opportunes…

"Rétablir la vérité"

La télévision officielle de la présidence Ouattara dispose de moins d’espace et d’agents que sa rivale. Ses studios et sa table de montage se trouvent au premier sous-sol. Environ quarante personnes, journalistes et techniciens, font « tourner » TCI, qui n’émet que quelques heures par jour, de 11 h 30 à 00 h 30. Parmi elles, des dissidents de la RTI connus du grand public ivoirien, à l’image des anciens directeurs généraux Lazare Aka Sayé et Maixent Dégny. Dans l’ombre, les équipes de communication d’Alassane Ouattara jouent, discrètement, un rôle de « commissaires politiques ». « Beaucoup de nos auditeurs et téléspectateurs estiment que notre radio et notre télévision permettent de rétablir la vérité et de maintenir un esprit combatif », explique un animateur. De son côté, RHDP FM relaie les programmes de RFI et de Onuci FM, tout en produisant ses propres bulletins d’informations, présentés par deux journalistes issus des radios de proximité, Serge Allah et Joël Faki.

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En dehors de leurs lignes éditoriales totalement divergentes, la RTI et TCI se ressemblent comme des sœurs siamoises. Même verrouillage idéologique serré, même contrôle des informations et des commentaires, mêmes dénonciations à sens unique des violations des droits de l’homme perpétrées par l’adversaire. Quand TCI fait des émissions spéciales sur la tuerie de sept femmes à Abobo, exécutée selon l’Onuci par le camp Gbagbo, la RTI insiste sur le massacre commis, selon Human Rights Watch, par les forces pro-Ouattara dans le village d’Anonkoua Kouté, situé dans la même commune. Une des émissions emblématiques de TCI, État de droit, est une sorte de clone de Raison d’État, de la RTI : le présentateur reçoit des invités, intellectuels ou politiques, qui viennent offrir une sorte de cadrage idéologique aux téléspectateurs.

Les deux chaînes relaient chacune l’information militante de proximité, les mots d’ordre de manifestations ou de protestations silencieuses – pour la Journée internationale de la femme, TCI a appelé les femmes pro-Ouattara à se vêtir de noir et de blanc en signe d’hommage à leurs martyrs. Les médias audiovisuels des deux bords servent également d’outils d’alerte : les uns mobilisent les Jeunes patriotes dès qu’un mouvement « suspect » de l’Onuci est signalé, les autres informent les pro-Ouattara des offensives ennemies et donnent des consignes de sécurité et de « résistance ». Les médias des deux bords ont également la même conception du participatif. Des sympathisants appellent pour calmer leurs angoisses ou pour transmettre leurs encouragements.

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Insécurité journalistique

La guerre de communication qui se déroule en Côte d’Ivoire prend des tournures quasi militaires. Il faut émettre, mais aussi empêcher l’autre de diffuser. Les deux camps utilisent des techniques de brouillage des signaux adversaires, avec du matériel sophistiqué dont la provenance relève du secret défense. « À chaque fois que la radio du RHDP se met sur une fréquence FM, l’Agence des télécommunications de Côte d’Ivoire (ATCI) place Radio Côte d’Ivoire sur la même, histoire de rendre le tout inaudible », explique un journaliste.

À Abobo, le « commando invisible » pro-Ouattara a incendié le centre émetteur de la RTI, l’empêchant de diffuser pendant près de vingt-quatre heures. Au prix de trois personnes brûlées vives au sein du centre… Depuis plusieurs mois, des journalistes de la chaîne TV Notre Patrie, créée par les Forces nouvelles à Bouaké, croupissent à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca). Capturés à proximité du Golf Hôtel, ils ont été assimilés à des « rebelles ».

L’insécurité journalistique s’élargit progressivement à la presse écrite. Un chauffeur du quotidien Nord-Sud, pro-Ouattara, est porté disparu, tandis qu’un coursier de Notre Voie, organe du parti de Laurent Gbagbo, a été égorgé non loin de son domicile, dans la commune de Koumassi. Longtemps critiqués en raison de leurs passions partisanes, les médias ivoiriens sont désormais embarqués dans une guerre sans merci où ils font figure de cibles, quasiment au même titre que les militaires.

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