Cameroun : Titus Edzoa, quatorze ans de solitude
Autrefois proche de Paul Biya, l’ancien tout-puissant secrétaire général à la présidence Titus Edzoa croupit en prison. Et la justice camerounaise pourrait bien décider de l’y maintenir.
Bientôt quinze ans qu’il est incarcéré dans les locaux du secrétariat d’État à la Défense (SED), à Yaoundé, mais l’homme n’a rien perdu de sa superbe. À 65 ans, Titus Edzoa a toujours l’œil vif et la démarche assurée. Un lit, une table basse, une plante verte et une pile de CD.
Sa cellule est exiguë, mais l’ancien tout-puissant secrétaire général à la présidence, de 1994 à 1996, a appris la patience. Il s’amuse presque des multiples renvois de son procès et des longues heures d’attente qui précèdent chacune de ses audiences devant la cour d’appel de Yaoundé.
En 1997, accusés d’avoir détourné près de 350 millions de F CFA (533 000 euros) destinés à l’Office national de commercialisation des produits de base (ONCPB), Titus Edzoa et un de ses collaborateurs, Thierry Michel Atangana, ont été condamnés à quinze ans de prison.
Tout cela c’est du folklore judiciaire
Depuis 2009, ils comparaissent de nouveau devant la justice camerounaise : ils sont cette fois accusés d’avoir voulu détourner 61 milliards de F CFA, alloués au financement du Comité de pilotage et de suivi des projets routiers Yaoundé-Kribi et Ayos-Bonis (Copisur) et à l’organisation d’un sommet de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en 1996. Des faits que Titus Edzoa nie avoir commis. « Tout cela, affirme-t-il, c’est du folklore judiciaire. »
Débarrassé de la barbe et de la coiffure afro qu’il arborait dans les années 1990, Titus Edzoa est convaincu que l’on cherche à le faire taire. « Ils ont une peur bleue de ce que je pourrais révéler, dit-il. En 1997, lors de ma première comparution, privé d’avocat, j’avais refusé de m’exprimer. Plutôt que de renvoyer l’audience, en une nuit, ils m’ont condamné à quinze ans, soit deux septennats. À présent qu’il les a accomplis, il peut me rendre ma liberté. » « Il », c’est le président Biya, jadis admiré, aujourd’hui détesté.
Ambitieux et sûr de lui
Le clash s’est produit le 20 avril 1997. Ce jour-là, à la surprise générale, Titus Edzoa démissionne de son poste de ministre de la Santé, annonce sa candidature à l’élection présidentielle, prévue la même année, et fait d’Atangana son directeur de campagne. A posteriori, Edzoa affirme qu’il s’agissait d’une « démarche intellectuelle à laquelle Paul Biya, aveuglé par un entourage incompétent, n’a rien compris ».
Mais le politologue Roger Sombaye Koatadiba y voit surtout le geste d’« un être ambitieux, trop sûr de lui, qui avait goûté aux délices du pouvoir et ne supportait pas d’être tenu à l’écart du palais d’Etoudi ».
Invariablement, Titus Edzoa évoque « celui qui, mal entouré, conduit les Camerounais à leur perte » et se souvient de leur première rencontre. C’était en septembre 1981 : jeune chirurgien formé en Italie, il opère avec succès la sœur de Paul Biya, alors Premier ministre, et devient vite un habitué de sa résidence.
Il n’exerce pas de fonctions officielles, mais prend ses quartiers au palais lorsque Biya devient président de la République un an plus tard, en 1982. À l’époque, explique-t-il, il est toujours à l’écoute, « sans jamais attendre quoi que ce soit en retour, si ce n’est une reconnaissance ».
« Pas un ami »
Cette reconnaissance finit par arriver sous la forme de portefeuilles ministériels. Il est d’abord ministre chargé de mission à la présidence, sans attributions particulières, quitte à passer pour l’homme de compagnie de Paul Biya. « J’ai toujours eu la conviction d’être un collaborateur proche, mais sans plus. Pas un ami », se justifie-t-il.
Pourtant, lorsque Biya est fragilisé par le décès de plusieurs de ses proches (d’abord celui de sa première épouse, Jeanne-Irène, puis celui de son aide de camp, Roger Motaze), Edzoa fait partie de ceux qui réconfortent le chef de l’État.
C’est avec une amertume mêlée de plaisir qu’il évoque ces moments où ils parlaient « de tout et de rien, mais de choses importantes ». « Notre appartenance commune à l’Ordre rosicrucien Amorc [Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix, NDLR] nous a probablement rapprochés. Sauf que j’avais ma liberté de penser et le droit de ne pas m’identifier à Monsieur Paul Biya. »
Depuis son incarcération, il ne vit plus, mais survit. En 2003, il doit être opéré d’un ulcère en urgence. La presse camerounaise annonce sa fin prochaine, mais Edzoa se remet. Il dit n’avoir jamais été ébranlé par ce qui lui arrivait, mais reconnaît trembler lorsque ses proches se sentent menacés.
Il est persuadé qu’en 2003, lorsque sa belle-sœur est assassinée, c’est son épouse, Geneviève, qui était visée. Il a mal vécu aussi la vente de sa maison du quartier Bastos : « Une relique dans laquelle j’avais mis toute mon âme. »
Je suis comme dans une tombe, mais je garde un œil ouvert
« Je suis comme dans une tombe, mais je garde un œil ouvert, dit Titus Edzoa. Et gare à eux lorsque le second s’ouvrira. » Fanfaronnade ? Peut-être. Mais l’homme affirme avoir encore des combats à mener. Comme briguer la présidence de la République, dès sa libération.
Sa « béquille », c’est son épouse, 64 ans aujourd’hui. Munie d’un laissez-passer permanent, c’est elle qui lui porte chaque jour son panier-repas composé des produits de leur plantation. « Je suis le seul prisonnier qui mange bio », plaisante-t-il.
Parce que l’homme prend ses précautions. Il n’accepte pas le moindre verre d’eau, refuse de manger autre chose que ces plats préparés par sa famille : beaucoup de poissons, de légumes et de fruits, très peu de féculents et de viande. « Je n’aurais jamais pensé résister dans un espace de 9 m², avec trois portes blindées, enfermé vingt heures sur vingt-quatre. Mais j’y suis arrivé. »
C’est grâce peut-être aux arts martiaux, qu’il pratique trois fois par semaine, ou à la discipline qu’il s’impose en se levant tous les jours à 8 h 30. Titus Edzoa s’occupe comme il peut. Et comme astiquer sa cellule de fond en comble ne suffit pas, il s’est battu pour avoir le droit de lire.
Au début, il devait en faire la demande au procureur. « Jusqu’au jour où je lui ai signifié qu’il n’était pas en mesure de comprendre les livres que je lisais. La brimade s’est arrêtée et, à présent, je lis ce que je veux. Ils n’ont jamais fouillé ma cellule. »
Horaires aménagés
Bercé par les musiques de Bach, Haendel et Rossini, qu’il écoute sur le lecteur CD qu’on l’a autorisé à conserver, il a dévoré d’une traite Kamerun !, le dernier ouvrage de Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa, et vient de s’attaquer à celui d’Achille Mbembe, Sortir de la grande nuit.
Il s’accommode de ne pas avoir le moindre contact avec les autres détenus du SED. Il ne communique ni avec Gilles Roger Belinga, ancien directeur général de la Société immobilière du Cameroun (SIC), ni avec Emmanuel Gérard Ondo Ndong, ex-directeur général du Fonds spécial d’équipement et d’intervention intercommunale (Feicom).
Thierry Michel Atangana ne souhaite pas ma compagnie et ça me va
Un mètre à peine sépare sa cellule de celle d’Atangana, qu’il ne voit jamais, leurs horaires ayant été aménagés à cet effet. « Il ne souhaite pas ma compagnie et ça me va. »
Titus Edzoa veut croire qu’il a encore des amis bien placés. Jusqu’à sa mort en 2001, il y avait l’écrivain Mongo Beti, qui dirigeait un comité de soutien du fond de sa librairie à Yaoundé. Aujourd’hui, il pense pouvoir compter sur certains de ses ex-collaborateurs, qui lui sont redevables.
Sauf que, n’ayant jamais été un pilier du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir), il ne peut pas se prévaloir de l’appui de politiques.
La magistrature suprême restera-t-elle à jamais un rêve inaccessible ? Probablement
La magistrature suprême restera-t-elle à jamais un rêve inaccessible ? Probablement. À l’allure où se déroule le procès, rien ne dit qu’il sera sorti à temps pour la présidentielle de 2011. Ni même pour celle de 2018. Il aura alors 71 ans.
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