De l’Europe aux États-Unis : tempête sur le Vieux Monde
Une vague de contestation sociale et/ou électorale balaie depuis plus d’un an les pays occidentaux, dont les gouvernements peinent à surmonter les séquelles de la crise. Dernier en date : l’Espagne.
À Madrid, la Puerta del Sol, rebaptisée « Plaza de la SOLución », a depuis le 15 mai des airs de place Al-Tahrir, au Caire, et même de Sorbonne façon Mai 68. Des tentes improvisées y forment un joyeux village. Les forums y drainent des centaines de jeunes et de passionnés qui débattent des heures durant de la réforme du système électoral ou de l’abrogation de la loi sur le téléchargement, tandis que les féministes donnent de la voix. Des cantines improvisées nourrissent ces enthousiastes, quand les assemblées générales s’interrompent et que tout le monde s’apprête à dormir à la dure.
Le 27 mai, il y avait un peu moins de monde sous la banderole de Los Indignados (« les indignés », référence à l’opuscule du Français Stéphane Hessel, qui les inspire), mais le cœur y était toujours. Marre des reniements des hommes politiques, et notamment des socialistes ! Marre de ne jamais avoir la parole ! Marre du chômage qui frappe 44 % des moins de 25 ans ! Leur « génération perdue » veut « réformer la société ». Ni plus ni moins.
Leur « mouvement du 15-M » (15 mai) laissait prévoir la claque magistrale infligée au Parti socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero, le président du gouvernement, lors des élections locales du 22 mai. Du jamais vu : les socialistes espagnols ont perdu quatre des cinq régions qu’ils dirigeaient et laissé à la droite le contrôle des seize plus grandes villes. Mais le Parti populaire (PP) aurait tort de se réjouir trop vite : le slogan qui court la Puerta del Sol à l’intention des hommes politiques est en effet sans ambiguïté : « Vous ne nous représentez pas ! » Huit personnes sondées sur dix déclarent n’avoir confiance ni en Zapatero ni en son adversaire, Mariano Rajoy. Leur revirement face à la crise, l’amputation des salaires des fonctionnaires et des retraites, mais aussi leur manque de pédagogie ont ruiné la popularité du gouvernement et de son chef. Pour tenter d’éviter la déroute, celui-ci avait annoncé le 2 avril qu’il ne briguerait pas un troisième mandat lors des élections législatives du printemps 2012. Trop peu et trop tard pour apaiser la colère de l’opinion.
De Lisbonne à Dublin
Mais l’Espagne n’est que le dernier exemple du vent de fronde qui balaie les gouvernements des pays occidentaux. Le Portugal vient de renverser son gouvernement et attend des législatives. Les Allemands infligent aux démocrates-chrétiens (CDU) défaite sur défaite depuis le début de l’année. Pour la première fois, les Verts ont même remporté, en mars, la présidence d’un Land, le Bade-Wurtemberg. Dans les sondages, ils devancent désormais la CDU : 28 % des intentions de vote, contre 23 % !
En Irlande, le Fianna Fáil, parti de centre-droit qui domine la vie politique locale depuis des décennies, a été laminé lors des législatives du mois de février. Pour punir Brian Cowen, son leader, d’avoir laissé filer les déficits et accepté l’aide de l’Union européenne et du FMI quand les banques du pays se sont effondrées sous l’effet de la bulle immobilière, les électeurs ont réduit à 20 sièges – sur 166 – sa représentation au Parlement.
En novembre 2010, Barack Obama a reconnu avoir reçu « une déculottée » lors des élections de la mi-mandat. Le Parti démocrate a perdu la majorité à la Chambre des représentants et l’émergence des Tea Parties, ces groupes frénétiquement antiétatistes, a porté à son paroxysme le rejet des élites et de la classe politique. Une réaction que l’on retrouve, sous des formes diverses, dans presque tous les pays où la reprise économique tarde à faire repartir les embauches.
Au printemps 2010, la Hongrie a pris un virage ultraconservateur en portant au pouvoir Viktor Orban. Il faut dire que l’austérité pratiquée par les socialistes de Ferenc Gyurcsany avait surtout révélé leur impéritie et leurs mensonges.
"Émeutes par les urnes"
Mais ce sont les Islandais qui, les premiers, avaient, en février 2009, déclenché ce qu’on a appelé une « émeute par les urnes ». Geir Haarde, le Premier ministre rendu responsable du naufrage des trois banques du pays et de l’intervention du FMI qui s’est ensuivie, a été sèchement éconduit. Mais c’est moins l’élection d’une femme socialiste, Johanna Sigurdardottir, à la tête du pays que celle de Jon Gnarr, le Coluche islandais, comme maire de Reykjavik, la capitale, qui a le mieux exprimé l’exaspération populaire.
Dans d’autres pays, celle-ci a pris la forme d’une poussée de populisme souvent teintée de xénophobie. Aux Pays-Bas, au Danemark, en Norvège, et même dans la paisible Finlande, les gouvernements ont été obligés de tenir compte de l’irruption de cette extrême droite dans le paysage politique.
Dans certains pays, la vague de contestation n’a pas débordé. En Grande-Bretagne, les 270 000 personnes qui ont manifesté, le 27 mars à Londres, contre la politique d’austérité imposée par les conservateurs de David Cameron n’ont pas entamé la popularité de ce dernier. En Lettonie, pourtant soumise à un remède de cheval qui a fait chuter son PIB de plus de 15 % en 2009, Valdis Dombrovskis, le Premier ministre de droite, a remporté en octobre 2010 une éclatante victoire en promettant de maintenir les sacrifices.
Quant à la Grèce, pays le plus mal en point d’Europe, elle résiste aux tentations insurrectionnelles. Non seulement les élections locales n’ont pas été catastrophiques pour le Parti socialiste de Georges Papandréou, mais l’occupation de la place Syntagma, à Athènes, par les « indignés » grecs depuis le 23 mai ne semble pas mobiliser les foules.
À l’Élysée, où, bien sûr, personne n’a oublié la cuisante défaite des élections régionales de 2010, on observe ces tsunamis électoraux et/ou sociaux avec appréhension. En mai 2012, le chômage aura-t-il suffisamment reculé, et le pouvoir d’achat assez progressé, pour épargner à Nicolas Sarkozy une humiliation comparable à celle infligée à Zapatero, Obama et consorts ?
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