L’irrésistible ascension du chant des dunes
Tinariwen, Bombino, Toumast, Tamikrest, Terakaft, Abdallah Oumbadougou, Tartit… Les artistes touaregs sont de plus en plus nombreux à séduire le public occidental. Retour sur un phénomène qui prend de l’ampleur.
Alors que s’annoncent le nouveau disque de Tinariwen (Tassili), prévu le 29 août, et celui du Nigérien Abdallah Oumbadougou (Zozodinga, à paraître en septembre) – héros du film documentaire Desert Rebel réalisé en 2005 par François Bergeron –, Bombino, Toumast, Tamikrest et Terakaft ont tous récemment sorti un nouvel album à l’international. Après la musique mandingue, c’est peut-être le nouveau son touareg avec ses guitares électriques et son blues-rock fiévreux qui va gagner les faveurs d’un public européen qui en est friand.
Portant djellabas et turbans, les musiciens touaregs apportent avec eux une image du désert qui fait rêver l’homme occidental. C’est sans doute l’une des raisons de leur succès. Cependant, la principale explication de cet engouement relativement récent est sans doute à chercher du côté du message fort que ces musiciens délivrent à travers leur musique. Un message rebelle, une certaine idée de la résistance, une volonté de défendre leur culture qui plaît au public. Y compris aux amateurs de rock, séduits par le son incisif de leurs guitares électriques.
Le succès de Tinariwen dans des festivals réputés comme les Trans Musicales de Rennes ou les Vieilles Charrues est à ce titre significatif. Des musiciens célèbres se sont pris d’intérêt pour le groupe. Robert Plant et Carlos Santana ont partagé la scène avec eux. En 2009, Tinariwen a ouvert un concert des Rolling Stones à Glastonbury, en Angleterre, Herbie Hancock les a invités pour un enregistrement en studio l’année suivante. Avant eux, le groupe Tartit avait déjà ouvert la voie à la musique touarègue.
Créé en 1995, dans la région de Tombouctou, au Mali, Tartit s’est formé autour de femmes qui tiennent le premier rôle pour les voix et les percussions (elles jouent du tindé, un petit tambour fait d’un mortier recouvert d’une peau de chèvre). Dans la culture tamasheq, « la femme est le pilier de la société, déclare l’une d’entre elles, Fadimata Walett. Un proverbe dit chez nous qu’“elle est le pantalon de l’homme”. Sans elle, il est nu, il n’est rien ».
Originaire de Kidal, capitale administrative de l’Adrar des Ifoghas, au nord du Mali, où le groupe s’est formé au début des années 1980, Tinariwen, découvert en France par l’entremise du groupe angevin Lo’Jo qui leur a ouvert le chemin des scènes européennes, a été la voix de la rébellion touarègue au Mali. Il se présente comme un groupe tamasheq. « Le mot “touareg” est un mot arabe “importé” », précise Ibrahim Ag Alhabib, dit Abreybone, cofondateur du groupe. Soulignant ainsi l’appartenance des siens au peuple berbère. Utilisé par les Français à l’époque coloniale, le terme est resté dans l’usage courant. Tinariwen s’accommode de ce malentendu et de tous les fantasmes qui traînent sur la vie nomade et les peuples du désert.
En 2010, Tartit et Tinariwen ouvraient à la Cité de la musique, à Paris, un cycle de concerts intitulé « Résistances » qui venait rappeler qu’au-delà de ses fonctions de divertissement la musique peut être aussi un formidable vecteur de conscientisation. Expression d’une identité parfois malmenée par les pouvoirs, politiques ou économiques, elle cristallise des combats d’urgence et de survie. À travers ses chansons accompagnées de guitare, Tinariwen a longtemps visé un seul but : appeler le peuple touareg à se soulever. Aujourd’hui encore, le groupe ne veut pas perdre de vue l’essentiel : la défense des terres et de la culture tamasheqs. Une cause qui hier leur a fait prendre les armes, et aujourd’hui les maintient en éveil.
Le pied à l’étrier
Cette vigilance anime tous les musiciens et chanteurs tamasheqs. Des Nigériens Omara Moctar, dit Bombino, ou Abdallah Oumbadougou, à Tamikrest et Terakaft, deux groupes formés, comme Tinariwen, par des enfants de Kidal, situé dans le sud-ouest du Sahara, à 2 000 km au nord de Bamako. Ousmane Ag Mossa, leader de Tamikrest, créé en 2006 et qui signe un deuxième album avec Toumastin (Glitterhouse/Differ-Ant), reconnaît entre autres influences celle des « grands frères » de Tinariwen. La connexion est encore plus évidente avec Terakaft, qui vient de sortir Aratan Azawad (World Village). Ce groupe a été formé en 2001 par Sanou Ag Ahmed, qui vivait alors à Kidal, avec Kedou Ag Ossad, un ancien de Tinariwen, ainsi que Liya Ag Ablil, alias Diara, qui les a rejoints en 2006, lui aussi passé par Tinariwen.
Aux premiers jours de juin, après un concert au Centre culturel français de Bamako le 27 mai, Terakaft retourne en France pour une résidence au Chabada, à Angers, un lieu qui depuis trois ans les accompagne en les accueillant en amont de chaque tournée pour leur permettre de préparer leurs concerts. Hormis Tartit, qui remettra le pied à l’étrier un peu plus tard, tous ces artistes vont se produire en Europe dans les mois qui viennent. Inexorablement, le son touareg continue sa marche en avant.
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